Il n’y a pas de « calendrier » européen secret visant la City, a déclaré à Londres le ministre allemand des Affaires étrangères.
Il en est certainement un autre, interne, celui de la commission Vickers et de la Financial Services Authority qui donne aux banquiers au moins huit ans pour scinder leurs activités d’établissements de dépôt et de banques d’affaires.
Cela semble convenir à l’Allemagne, qui en appelle à la cohésion européenne.
« Pour l’Allemagne, le Royaume-Uni est un partenaire indispensable… ».
C’est à 27, voire à 28, avec la Croatie que l’Allemagne envisage le destin commun.
Britanniques : « vous pouvez compter sur nous, et nous comptons sur vous. ».
D’accord, mais pour quoi faire dans l’immédiat ? Sauvez l’euro ou sauver l’Europe ? Les deux ?
Fetchez la vache
Eh oui, le château des Français ne renferme pas de Saint-Graal.
Celui des Monty Python et de leur Quête du Graal (The Quest for the Holy Grail). La décisive journée de ce lundi a débuté par un billet très rigolo de Boris Johnson, le « maire » de Londres, dans le Telegraph. Pour lui, Français et Brits adorent se lancer des invectives, voire des insultes, voire des cailloux dans les jardins respectifs, comme l’illustre la célèbre scène du lancer de cadavre de vache sur le roi Arthur et ses chevaliers interprétés par les Monty Python. En fait, pour le facétieux Boris, les Frogs aiment les Rosbifs, mais détestent franchement les Teutons, les Fridolins, les Boches, mais « quand les Français sont vraiment déçus par l’Allemagne, c’est mis sur le dos de la Grande-Bretagne. ».
Car pour Boris, contrairement à ce qu’affirme Guido (Westerwelle), « les Allemands ne sont ni désireux ni capables d’aider d’autres pays pour faire face à l’agonie de l’euro… ». La prolonger, peut-être. Avec l’apport de sonnantes livres sterling au FMI ?
Dans le même Telegraph, moins de 9 % de ses lecteurs ou visiteurs sont favorables au versement d’une contribution de 30,9 millions d’euros au FMI, contre plus de 70 % farouchement opposés (« Non, pas même un penny »), le reste se réfugiant dans l’attentisme ou plaidant pour concéder une bien moindre somme… Allez, 80 % des Britanniques (ou plutôt des Anglais) vont, ce lundi soir, approuver Cameron et Osborne : pas une livre, pas une guinée, pas un fiver, pas un seul penny pour l’Eurozone.
Alors, Westwelle peut bien raconter ses vacances en camping en Angleterre dans les années 1970 et ses émotions anglophiles, les faits sont têtus. Les vacheries ne vont guère cesser…
Car les mauvaises nouvelles s’accumulent. La prochaine Grèce, c’est la Hongrie, qui, malgré ou à cause du forint, la devise hongroise, a un besoin urgent de 12 milliards d’euros. La Roumanie est aussi encore sous transfusion du FMI, la Bulgarie profite… de la fuite des Grecs qui s’installent à sa frontière méridionale pour profiter d’un coût de la vie moins cher, et sans doute d’une saisie bancaire de leurs impôts.
En Europe centrale, les banques occidentales (et grecques, si) contrôlent 80 % des fonds disponibles. Elles ont injecté 139 milliards, concédé des crédits aux particuliers à tout va, remboursables en euros, ou via des saisies immobilières ou d’automobiles.
Leurs agences s’alignent à tout-touche dans les artères des grandes villes, leurs tours, celles de la SocGen, de Raiffeisen, d’UniCredit, d’Intensa SanPaolo, voire d’Emporiki ou Pireaus, dominent les dômes et les clochers des cathédrales.
Mario Draghi (BCE) admet ce jour à Bruxelles que la zone euro peut se scinder, mais, au-delà, c’est bien l’Union européenne qui peut flancher. La Roumanie, qui n’a reçu que 5,4 Md€ du FMI, risque de devoir encore tendre la sébile.
La réalité, c’est que ni le Fonds monétaire international, ni l’ECB-BCE ne peuvent faire face…
Les sanctions, fort bien. Là, c’est la banque centrale irlandaise qui inflige 3,35 M€ à une société d’assurance, Combined Insurance Co. Les mutuelles et les caisses privées de retraites irlandaises se sont aussi livrées aux joies de la roulette au casino… Vont-elles pouvoir tenir ?
Bon, Draghi n’a pas de doute : l’euro restera solide et « irréversible ». Croisons les doigts…
Que demander aux peuples ?
Quand lira-t-on dans Le Monde ou Libération ce que Laury Penny écrit ce lundi dans The Independent ? « Pour ma génération, celle sans mémoire d’une alternative politique au capitalisme débridé, les questions ne sont plus de savoir si nous pourrons faire des emprunts immobiliers, trouver un emploi stable assorti d’une retraite, ou nous soigner (…). Nous savons déjà les réponses (…). La seule question subsistant, c’est allons-nous laisser faire cela ? ».
Laury Penny réagit sur la récente couverture de Times Magazine qui a désigné le protestataire pour 2011 : personnage de l’année, l’Indigné.
Histoire de mieux l’évacuer ? L’espoir, ce n’est pas seulement d’élire un président, poursuit-elle, en se référant à Obama. L’espoir, « c’est une arme pour forcer votre progression vers un devenir vivable. ».
Jamais je n’aurais imaginé que, dans l’Independent, Ulrike Meinhof, journaliste devenue combattante de la la Fraction armée rouge (Rott Armee Fraktion), serait citée autrement que pour condamner ses thèses. Dany « le Rouge » Cohn-Bendit ne suffit plus, on en vient à se référer à Rudy Dutschke. Je ne pensais revoir cela de mon vivant.
Pour Mario Draghi, « on » n’a pas le choix : l’austérité créera de la récession, mais c’est inévitable. Pour y faire face, il faut aussi « de la cohésion entre les citoyens et les gouvernements. ». Sarkozy fouette plus fort, Hollande ne lave pas la finance plus blanc, optez pour le plus méchant ? Cela donne plutôt envie d’en larguer quelques-uns avec un parachute doré uniquement sur la tranche et de larges trous dans la voilure pour en vêtir d’autres.
Un message clair de cohésion aurait été de dire que la BCE continuera de prêter aux seules banques qui gèleront les dividendes versés, supprimeront les primes aux dirigeants, et cesseront de jouer avec l’argent des épargnants comme au casino. On peut toujours attendre… Ah, les traités ne permettent sans doute pas de choisir à qui on prête ? Bel argument.
Mais voila Draghi qui nous la joue social : « Les jeunes gagnent moins qu’il y a dix ou quinze ans. ». Mais enfin, pas du tout : les jeunes pauvres, seulement. Ou les jeunes ingénieurs, techniciens, fonctionnaires… quand ils arrivent à transformer des stages…
En tout cas, il ne faut pas compter sur l’Angleterre pour aider le FMI ou la BCE. Sur le 38,7 milliards de livres consentis déjà au FMI, près de 30 sont dégagés engagés à l’international. Reste 9, alors que Bruxelles en demande 25.
It’s a No!
Du coup, George Osborne (ministre britannique des Finances), a envoyé une fin de non-recevoir à ses homologues européens. C’est non, comme hier, ou avant-hier : pas question que le Royaume-Uni vienne au secours de la zone euro, d’une manière, ou d’une autre. Et d’autres ministres des finances ont émis des doutes sur la capacité de leurs pays de contribuer au fonds autant que souhaité. Les 200M€ requis ne sont pas trouvés, le calendrier des versements reste flou. Le prochain sommet, avancé de mars à fin janvier, semble mal parti.
Certes, George Osborne n’a pas définitivement claqué la porte, il veut bien faire un effort pour le FMI, mais surtout pas pour que tout soit fait pour sauver l’euro. Le considère-t-il lui aussi condamné à très court ou court ou moyen terme ? Petit espoir, son homologue suédois, Anders Borg (la Suède a conservé sa devise, la couronne), estime qu’un accord est en vue. On nous l’a déjà faite. L’accord peut se faire, mais sur quel montant ? Les Tchèques rechignent à abonder (on leur demande le dixième de leurs réserves en devises). Le Danemark serait le seul pays à s’engager sur la somme initialement envisagée (5,4 Md€).
Le Royaume-Uni veut bien parler de participation au FMI, dans le cadre du prochain G20, soit en janvier, et, ouf, au Mexique (celui de Nice à coûté très cher à la France…).
Et cela ne s’arrange pas. Saab, le constructeur automobile, vient de se déclarer en faillite. Ce ne sont plus seulement les Grecs qui retirent des fonds de leurs banques, mais à présent aussi les Italiens et les Portugais, rapporte le Wall Street Journal. D’autres achètent ou envisagent de faire construire hors de la zone euro…
Quant au délai (2015 pour certaines mesures, 2019) pour que les banques britanniques se réforment, il est jugé trop long. La New Economics Foundation craint que les groupes de pression bancaires influeront pour remettre en cause les dispositions tandis que diverses banques pourraient encore faire faillite, ou frapper à la porte du Trésor britannique. « Le public risque d’en pâtir dans l’éventualité accrue d’un nouveau crash financier, » indique Tony Greenham, de la NEF. Ce n’est guère mieux en France où les banques considèrent que les garanties données aux épargnants (qui sont plafonnées) suffisent, et qu’il n’est pas question de séparer leurs activités. En fait, si tout le monde avait suivi le mot d’ordre de Cantona, soit les banques auraient refusé les retraits, soit elles seraient toutes en faillite.
La tentation du chacun pour soi n’est pas enrayée. Pour les dirigeants des banques, c’est encore et toujours : nos profits d’abord. En contradiction croissante avec les intérêts de ceux qui les font vivre. Mais bien sûr, il ne faut pas raisonner comme cela : ce n’est pas le travail des ouvriers qui permet aux dirigeants de faire des profits, ce sont les profits des patrons qui créent les emplois, bien sûr. Et plus les banquiers font de profits, plus leurs clients en profitent, bien sûr.
Dure semaine, écrivais-je hier sur Come4News (« Eurozone : vers la débandade ? »). Elle s’annonce encore plus coriace à passer, dans l’attente que le triple A chute, entraînant d’autres dégradations des notes d’autres pays, comme l’a prédit Draghi. Question de semaines, disait Dominique Strauss-Kahn en Chine, dimanche. Ou de jours…
Parce qu’en fait, que se passe-t-il ?
Des pays déjà lourdement endettés vont s’arranger pour emprunter 150 millions d’euros pour les prêter au FMI qui va les reprêter à divers pays (Italie, Espagne, pour la Grèce, ce sera non, à d’autres) de la zone euro. Qui chantait déjà La Cavalerie ? Julien Clerc. Il n’y a pas un seul notaire qui trouverait cette entourloupe saine.
D’Ambrose Evans-Pritchard, ancien diplomate, dans le [i]Telegraph[/i]…
L’Eurozone est devenu le plus riche mendiant mondial, explique-t-il.
Il relève que le Royaume-Uni veut bien abonder le FMI, mais en proportion des efforts d’autres membres du fonds. Comme les États-Unis ne veulent rien lâcher, autant dire qu’au G20 du Mexique, les Brits ne lâcheront rien. [i]It’s a no[/i].
De toute façon, les Brits sont aussi fauchés que les autres Européens, et ils ne veulent plus creuser leur déficit pour la Grèce, la France, &c. Au contraire, ils envisagent de secourir leurs ressortissants qui ont tant fait pour soutenir la France, le Portugal, l’Espagne, Malte ou Chypre en s’y installant pour leur retraite, ou qui y font fréquemment du tourisme.
En fait, pour lui, l’euro du nord est un tiers plus fort que celui du sud (pour résumer). La vraie question, c’est la disparité, la crise de l’euro est la conséquence (en fait, voire la cause, car cet euro du nord bon marché a incité l’euro faible du sud à emprunter du bon euro qu’il ne peut rembourser avec du mauvais, pour ainsi dire).
Conclusion :
“[i]I always feared that Britain would somehow be blamed for the demise of monetary union. My nightmare is coming true[/i].”. On finira par mettre sur le dos de la Grande-Bretagne l’effondrement de l’union monétaire. Mon cauchemar se réalise…
Mais, comme le dit Boris Johnson, on pourra aussi incriminer l’Allemagne, qui n’a pas rechigner à exporter vers le sud et l’est de l’Europe, à faire fabriquer à l’est pour vendre à l’ouest et au sud, &c.
Sauf que, bien sûr, c’est plus commode de taper sur les Rosbifs, mauvais joueurs.
Mes prévisions (je prends les paris) : pour ne pas trop freiner la croissance, on va encore et encore exonérer les entreprises (surtout, en France, bien sûr, les grosses) de taxes et d’impôts (bien sûr, on vient de relever leur taux d’imposition en France, mais ne vous en faites pas, on trouvera bien une voie de contournement).
Et pour compenser le manque à gagner, on taxera davantage ailleurs.
Pas trop sur le revenu : eh, il va falloir baisser les salaires, donc, l’imposition directe baisse.
Mais ils vont trouver. Sauf si on réélit Sarkozy, qui, lui ne veut surtout pas faire de la peine à ses très riches amis qui le lui rendront peut-être s’il vient à faire deux mandats : pas de problème pour sa retraite.
Ils sont vraiment très c…, à [i]La Tribune[/i], ou trop mal en point pour se priver de publicité institutionnelle ?
Cela donne :
« [i]Les pays de la zone euro se sont mis d’accord aujourd’hui pour apporter 150 milliards d’euros au Fonds monétaire international afin d’aider indirectement les pays en difficulté de l’union monétaire. Cette somme devrait même être portée à 200 milliards avec les membre de l’UE hors zone euro.[/i] ».
Les 150 ne sont pas encore trouvés. Alors, les 200…
Les Échos doivent avoir retrouvé la publicité du Crédit mutuel pour titrer sur Guaino.
« [i]Le conseiller spécial du président de la République estime que la France ne présente aucun risque de défaut sur sa dette[/i]. ». Ah bon ?
Et Draghi, qui envisage cette perte du triple A, c’est un doux rêveur ?
Le truc des [i]Échos[/i], c’est de mettre les nouvelles censées rassurantes en tête, et de distiller, scindées, les mauvaises, disséminées. Ce qui ne trompe que qui veut l’être.
Après la com’ pour amortir la perte du triple A, commencerait-on à nous habituer à l’idée de faire faillite ?
Sur [i]Atlantico[/i], d’Henri Regnault :
« [i]l’issue ne fait aucun doute : le défaut partiel d’une bonne partie des pays développés. Pour limiter les dégâts collatéraux, le plus tôt sera le mieux. La question clef pour la zone euro est sa capacité à organiser collectivement un tel défaut raisonné : sinon, elle éclatera, ses ex-membres joueront perso et prendront individuellement de plein fouet le défaut que les Etats-Unis, eux, sauront organiser après les élections de 2012, pour relancer leur croissance et sauver le dollar, après avoir amusé la galerie avec de la monétisation.[/i] ».
Cela étant, il n’a pas tout faux.