Stephen King, économiste de la banque HSBC, rappelle à ses collègues des marchés, dans The Independent, qu’ils se sont pris pour Albert Einstein. Mais sa théorie de la relativité, si longtemps opérante, est mise en doute par les expériences du Cern de Genève. Alors que l’agence Moody’s lance un nouvel avertissement à la France, sans pouvoir indiquer quelles mesures pourraient en sauver la note AAA, l’infime « glitch » (microcoupure de courant) dans les « infaillibles » raisonnements des marchés risque de condamner tout le monde à une panne durable.

Les marchés prennent les États dans un étau de type Catch 22 : quoi que puissent faire les dirigeants européens, rien ne peut satisfaire les agences de notation puisque l’austérité casse la croissance et que les mesures de relance génèrent de la dette.

Mettre des banquiers (comme en Grèce ou en Italie) ou des gouvernements de droite au pouvoir, comme en Espagne, ne change rien à la donne : les attaques ne cessent pas, la fragilité des économies s’aggrave.

Il y aurait bien une solution envisageable, mais elle ferait d’un seul coup basculer les notes A en B : émettre des obligations dont l’émission et la commercialisation seraient réservées aux seules banques centrales.

Mais, là, si cela empêcherait de voir s’évaporer une partie de l’épargne en commissions perçues par les banques privées, les marchés considéreraient que la perte des profits des banksters bloquerait toute perspective de redressement de l’économie virtuelle, et casserait la convalescence de l’économie réelle.

De Moody’s : « les mesures d’austérité fiscale accroissent une pression fiscale déjà élevée et peuvent compromettre la croissance. ». Bref, trop d’austérité peut casser la croissance, rendre l’argent plus cher à emprunter, et donc obliger à plus d’austérité qui, à son tour… Voilà de quoi modifier la définition du « serpent monétaire » qui, ainsi, se mord la queue, se dévore.

Plus d’euro ou moins d’euro ?

Quoi que fassent les États, ils ont toujours tort aux yeux des marchés. Se délester de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, voire aussi de l’Irlande pour alléger le poids de leurs dettes serait très mal interprété. Ne pas le faire en venant au secours de ces pays aussi : cela serait interprété comme un facteur de déstabilisation de l’ensemble de l’Eurozone.

Voici quelques jours, je signalais l’excellente (quoique partielle) infographie de la BBC qui révèle le poids des dettes de divers pays mais aussi ce que d’autres pays endettés leurs doivent. Il y avait, jusqu’à peu, de la « bonne dette » (celle de l’Allemagne), de la moyennement bonne (celle des pays à triple AAA), de la mauvaise et de l’exécrable. Qui détient de la mauvaise dette, comme la France très engagée en Italie, voit sa note fragilisée. L’ennui, c’est que les marchés, asiatiques en particulier, considèrent désormais, à juste titre, douteuse celle de l’Allemagne.

Les schémas de la BBC (voir aussi là, « L’Allemagne à son tour dans la tourmente ») révèlent que le Royaume-Uni détient surtout de la dette irlandaise, de l’allemande, de l’espagnole, de la française. Mais surtout (ou presque à parité) de l’américaine, pas vraiment rassurante non plus.

À l’inverse, la dette (en euros) du Royaume-Uni envers l’Allemagne, la France et l’Espagne est pratiquement équivalente à ce que le royaume doit aux États-Unis (en USD). Ce qui fait prédire à Michael Heseltine, conservateur, ancien vice-Premier ministre, que la France et l’Allemagne n’auront pas d’autre choix parce que l’éclatement de l’Eurozone et la perte de valeur de l’euro seraient trop catastrophiques pour l’Europe, mais aussi pour les marchés. « Les gens n’ont pas la moindre idée du montant des dettes des banques britanniques détenues par les banques continentales. Si les banques continentales font défaut… », les banques britanniques et le Royaume-Uni risquent de s’effondrer. « Je pense que nous rejoindrons l’euro », a osé prédire Lord Heseltine. Il n’est pas tout à fait le seul à l’exprimer.

C’est aussi ce qu’a suggéré le ministre allemand des Finances, soulevant un tollé dans l’opinion britannique, à gauche comme à droite. Cette bronca s’amplifiera jusqu’à ce que le Royaume-Uni perde lui aussi la (in)fameuse AAA pour récolter une infamante AA.

La justice des banksters

Ce que veulent en fait les marchés, c’est des routes et des chemins privés, une armée privée, des écoles privées, des cliniques privées, une police et une justice privées envoyant dans des prisons privées les endettés forcés de travailler gratuitement pour rembourser. Soit la justice aux mains des plus puissants banksters. L’ennui, c’est que cela conduit à la guerre des gangs, comme ceux qu’on connue les diverses mafias. Car les banksters n’ont nulle confiance entre eux.

Pour faire des riches, certes, il faut des pauvres, muets et dociles, mais les riches s’attaquent aussi entre eux. Prenez les médecins en France. Majoritairement derrière Sarkozy selon les sondages. Il leur faut des malades solvables et ils se soignent gratuitement, entre eux…
Confraternellement,  jusqu’à un certain point. Mais ils se livrent aussi à la guerre des cliniques… chacune lorgnant sur l’autre… Comme par hasard, seuls les plus aisés médecins sont satisfaits de leurs banques, qui leur concèdent des avantages qu’elles n’accordent pas aux autres…

Ne pas ruiner les riches

Toutes les politiques publiques récentes ont consisté à ne pas ruiner les riches, quitte à ruiner les pauvres. Cela n’a encouragé que la fuite des capitaux, d’abord des riches, mais sans doute bientôt des pauvres aussi. Les petits retraités grecs fuient vers la Bulgarie, où le coût de la vie est bien moindre. Même s’ils n’arrivaient plus à vendre ou louer leur demeure en Grèce, pour les propriétaires, ils vivraient quand même mieux en Bulgarie qu’en Grèce.

Les cadeaux fiscaux aux plus riches n’ont pas été payés de retour. Aux pires heures du Woerthgate, révèle Mediapart, Liliane Bettencourt, ou plutôt ses tuteurs et chargés d’affaires, continuait à sortir son argent de France. Liliane Bettencourt détenait près de cent millions d’euros sur douze comptes cachés à la fin 2010 (contre plus de 121 fin 2008). Woerth, puis Baroin, ont laissé faire, ou détourné le regard : ne pas paniquer les plus grosses fortunes, si « généreuses » lors des campagnes électorales.

Mediapart pose la question : « Où est passé l’argent et à quoi a-t-il servi? Seule une commission rogatoire internationale diligentée par un juge d’instruction pourrait répondre à ces deux questions cruciales et, donc, identifier les heureux bénéficiaires du trésor caché des Bettencourt. Les juges de Bordeaux, chargés des différents volets de l’affaire Bettencourt, notamment ceux concernant le blanchiment de fraude fiscale et le financement politique, le feront-ils ? ». En très clair, la justice est-elle déjà aux mains des banksters ?

En octobre 2009, Patrice de Maistre disait à Liliane Bettencourt : « À partir de janvier – c’est Woerth qui fait la loi – la France peut demander aux Suisses si vous avez un compte là-bas… ». D’un côté, Éric Woerth rassurait les Français en prenant des mesures contre l’évasion fiscale, de l’autre, Florence Woerth œuvrait en Suisse, pour le compte des gérants de la milliardaire (pour faire migrer vers Singapour les avoirs détenus en Suisse ?).

On ne sait qui a fait fuiter le rapport, daté du 31 août dernier, de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales visant Bettencourt et consorts, vers Mediapart. Sans doute pas les ministres des Finances et du Budget…

La seule question qui vaille : les dirigeants européens, pour sortir les pays de la crise, vont-ils continuer à favoriser les mêmes, s’appuyer sur les banksters ou sur les peuples ?

Favoriser l’économie réelle

En France, où s’amorce un troisième plan de rigueur qui satisfera sur le moment les marchés qui, le lendemain, s’inquièteront de ses répercussions sur la croissance, et aggraveront la spirale, comme en Espagne, France, ou ailleurs – Allemagne incluse –, on ne voit guère de sursaut des dirigeants politiques. Au R.-U., Cameron admet enfin qu’il faut soutenir les PME et ne plus fonder la croissance sur l’expansion des services financiers. Hormis le New Stateman, qui a publié une transcription non-expurgée de son discours devant les « forces vives » britanniques (industriels, chambres de commerce, &c.), bien peu de titres de presse ont repris cette phrase : « In the past Britain’s economy had become lopsided – too dependent on debt, consumption and financial services. ».

Soit cesser de créer de la dette, des dépenses somptuaires (les Jeux olympiques ?), et de dépendre des services financiers. Peut-être aura-t-il un autre discours à l’égard des banksters, histoire de ne pas désespérer la City.

Mais favoriser les PME, en simplifiant certes les tracasseries administratives, suppose aussi des contrôles accrus, une transparence comptable, des mécanismes jugulés. Car les PME les plus « performantes » sont parfois celles qui dilapident des fonds européens ou qui font tourner les biens dans divers pays pour jouer sur les taux de TVA et ne s’acquitter de rien sur leurs profits.

La question du « plus d’État ou moins d’État » ne se pose plus dans les mêmes termes. C’est d’autres États dont nous avons – urgemment – besoin. Plus autonomes, plus fédérés ou confédéraux en Europe ? Est-ce vraiment là l’essentiel ?

Il faut à la fois plus d’autonomie et davantage de contrôles. On a blâmé le manque de contrôle des préfets sur les régions françaises qui se sont surendettés avec des produits financiers toxiques alors que l’État permettait aux banksters de les placer dans les régions. On a favorisé les montages public-privé (autoroutes, hôpitaux, &c.), au profit des mêmes : les investisseurs privés d’abord, imposant des contraintes léonines. La Grèce n’est que le reflet de la France dans un miroir grossissant. Les banksters n’y ont trouvé que des séides plus complaisants. Un grand ménage s’impose, d’abord, avant toute autre mesure.