Servie par des partis politiques de tout bord, y compris ceux classés « populistes » (dont la seule action porte souvent sur des « faits de société »), l’oligarchie financière européenne et mondiale a instauré en Europe une dictature molle. Elle ne fait pas parader des militaires ou des miliciens, tout simplement parce qu’elle estime qu’elle n’en a pas encore besoin : l’inertie des populations, engluées dans des difficultés de toutes sortes, suffit à préserver « l’ordre financier naturel ». Jusqu’à quand ?

Le Point l’énonce fort bien : « Grèce et Italie : le retour des technocrates qui ont contribué à générer la crise ». En fait, les troisièmes couteaux, Berlusconi et Papandreou, sont remplacés par les seconds couteaux, Mario Monti ou Lucas Papademos, les capi des autres capi clani de la finance mondiale leur laissant la très limitée latitude de moduler l’inessentiel, et de régler comment racketter les pauvres, les pas trop riches et mêmes les riches qui ne sont pas des vassaux.

Les marchés sont censés se réguler. Par eux-mêmes. En fait, les financiers placent leurs pions, formatent les législations, manipulent les opinions, et pillent les nations à leur gré, empilant les profits.
Qui a joué contre la BCE, ce faux-nez qu’elles contrôlent, pour restaurer ou amplifier ses profits : les principales banques et les établissements financiers majeurs européens.

Les « pyromanes des marchés » que dénonce Alain Franco, du Point, ont donc réussi à imposer leurs lieutenants en Grêce et en Italie, et le sénat italien, où dominent les quatrièmes couteaux, dit amen à tout ce qui est imposé.

Mais évidemment, rien n’est fait pour réguler les immenses profits de la bancassurance. On donne l’illusion que les chefs d’État et leurs entourages (en France, un président et des ministres qui prennent leurs ordres auprès de Michel Pebereau, de BNP Paribas) ont quelque marge de manœuvre alors qu’eux-mêmes ou leurs prédécesseurs se sont par avance liés les mains. Les élus sont chargés de propager la vulgate, comme autant de ministres du culte financier. « C’est la Commission européenne qui a mis en œuvre, à la demande des États membres, la dérégulation des Bourses, » résume Alain Franco.

La dictature molle a consisté à faire voter le traité de Maastricht, puis celui d’Amsterdam, de Nice, le protocole de Lisbonne, mais aussi d’autres « accords » comme celui de Barcelone… Si des nations se rebiffaient, soit les parlements contournaient, soit on finissait de convaincre les peuples d’être « raisonnables » et obtenir qu’un vote annule le précédent, qui faisait « désordre ».

Sinon, le chaos « populiste »

Pour faire passer le « raisonnable », il faut pointer du doigt le « déraisonnable », soit, puisque les véritables formations de gauche sont impuissantes, faire monter en puissance des formations de droite « populistes ».

Lesquelles, accédant au pouvoir, comme en Hongrie, amusent leur majorité électorale en créant des boucs-émissaires commodes, mais n’ont aucun levier véritable d’action.

Comme la plupart des autres pays, la Hongrie, détachée du bloc soviétique, avait été envahie par les banques, et les grands groupes de BTP.

Les liquidités ont été pompées, puis les industriels du BTP et quelques autres se sont retirés.

À présent, en dépit d’un « pouvoir » se disant plus proche de son peuple que le précédent, le forint dévisse, la Hongrie se retrouve proche de son état de 2008, quand la banqueroute totale a été reportée à plus tard, demain ou après-demain.

Les agences de notation ont brandi la menace d’une dégradation de la dette hongroise, les banques européennes qui avaient artificiellement fait monter cette note ont creusé la dette en s’en défaussant, et voilà qu’est dénoncée la politique « non-orthodoxe » de Viktor Orban en Hongrie. Il avait créé des impôts spécifiques visant les banques et des taxes visant les sociétés dans lesquelles les mêmes banques ont le plus d’avoirs. Pire, il a fait mine d’étatiser de nouveau les caisses de retraites privées. Eh, il fallait bien qu’il donne, un temps, quelques gages à son électorat. Soit il consentira à reprendre le scénario prévu, à rentrer dans le rang, soit on lui substituera un remplaçant.

En France, qui financera réellement la campagne électorale de Marine Le Pen ? Les mêmes qui pousseront Hollande à l’emporter et Sarkozy à refaire de la figuration. Que l’un, l’autre, ou la troisième domine, ce sera finalement, à terme, du pareil au même… De toute façon, ce qui est « perdu » temporairement dans un pays est compensé par d’autres, et récupéré par la suite. Remplacez « populiste » par « irresponsable » ou ce que vous voudrez, au final, le trompe-l’œil politique profite toujours aux mêmes.

Le bon sens… loin de chez vous

Certes, contrairement à ce qui se passe en Turquie, on laisse plus ou moins la presse écrite tenter de décrypter les rouages du système. Qu’importe, ce sont les téléspectateurs qui votent, et même s’ils votaient « mal », les scénarios de rechange ne manquent pas.

Jean-Philippe Jouvenel, pour Backchich.info, rappelle une évidence. Goldman Sachs (ou une autre, ailleurs qu’en Grèce) incite un gouvernement grec à faire des dettes colossales, donc du profit financier. Puis, pour refaire du profit avec la faillite de la Grèce, on fait élire un gouvernement qui « vend la mèche », et il cède la place à un ancien de la BCE et de la banque centrale grecque. Lequel, quand il sera usé, sera remplacé par un autre pion qui endettera de nouveau la Grèce.

Même chose en Italie où, après avoir laissé faire Berlusconi, on pousse carrément un ancien de Goldman Sachs, passé commissaire européen. Ce sont les mêmes, mais rhabillés de frais en techniciens « raisonnables » et « rassurants ». Après Sarkozy, qui a considérablement creusé la dette française, une ou un autre, ou lui-même, s’il parvient à encore amuser la galerie, ne remettra rien de fondamental durablement en cause.

Jouvenel fait semblant de s’interroger : « Quelqu’un peut-il enfin expliquer pourquoi on a retiré aux États le droit d’emprunter directement aux banques centrales, les obligeant à emprunter à des banques qui, elles, empruntent aux banques centrales, en prélevant au passage une magnifique plus-value grâce à un taux d’intérêt du prêt supérieur (nettement !) à celui auquel elles empruntent ? ». En France, cela s’est enclenché sous Pompidou, consolidé sous Giscard d’Estaing, amplifié sous Mitterrand, qui confiait à son épouse ce que Jospin allait dire publiquement par après : « l’État ne peut pas tout ». La finance décide. Cela empire encore par la suite.

Les notes sont dégradées en fonction des desiderata des financiers dominants et « les taux d’intérêt des banques montent (alors que les taux auxquelles les banques empruntent baissent) ». Au passage, après avoir laissé faire un Madoff ou un autre (qu’il soit un « électron » libre ou le président d’une banque, d’une mutuelle, d’une compagnie d’assurances de ce que l’on voudra), on sauve un peu les meubles de quelques affidés : « le liquidateur de l’affaire Madoff réclame 1 milliard de dollars à BNP Paribas… Ah oui, mais là, il s’agit de défendre de riches investisseurs ! ». Il y a parfois des dérapages, comme dans l’affaire Bernard Tapie contre le Crédit lyonnais, avec les conséquences que l’on sait : là, c’est directement le contribuable qui est mis à contribution, épiphénomène…

Achat, vente, du pareil au même

Toute transaction financière, qu’elle entraîne une perte ou un gain, enrichit les intermédiaires. Environ le tiers du prix d’un baril de brut s’évapore chez des spéculateurs. Un jour, le dollar australien est considéré à risques, l’autre la livre sterling est décrétée « valeur refuge », qu’importe, son tour reviendra. Les bonimenteurs commenteront à l’envie.

Ainsi de Valéry Giscard d’Estaing qui, toujours dans Le Point, alors qu’il n’avait rien fait pour contrecarrer les mesures prises sous Pompidou pour déréguler la finance, vient dénoncer les spéculateurs. « Les remous entraînés par le risque de défaillance des dettes souveraines de certains Etats européens, notamment la Grèce, étaient en train de s’apaiser, en raison des décisions judicieuses, quoique tardives, prises le 21 juillet. La spéculation, voyant s’éloigner ses espérances de profit, a cherché de nouvelles occasions. Elle pensait les trouver en Italie. Mais la baisse de la notation des États-Unis lui a proposé un autre choix : est-ce qu’un événement semblable ne pourrait pas concerner un grand pays européen, et alors, lequel ? Son attention a été attirée sur le cas de la France, en raison de l’augmentation massive et constante de son endettement. ». On les a entendus beaucoup, les ex-proches de VGE, sous Balladur par exemple, s’inquiéter de la croissance de la dette ? Pas vraiment davantage que lui-même, qui, aujourd’hui, donne des conseils de vertu.

La finance pousse à l’endettement, réalise des profits, puis à l’austérité, pour récupérer quelques pertes, et refaire des profits. Gagnant-gagnant pour les uns, au final, perdant-perdant pour les autres même s’ils se donnent l’illusion, un temps, en empruntant, de se donner du lest.

Dans un pays comme la Roumanie, il y avait deux banques et pas de dettes (mais aussi au prix d’une formidable austérité imposée au plus grand nombre). Il y a désormais près de 800 banques et établissements financiers. Pour un effet d’annonce dicté à Basescu par Merkel, la Roumanie clame à présent qu’elle souhaite rejoindre la zone euro en 2015. « Ne riez pas, » a déclaré Basescu aux journalistes l’attendant à la sortie de son entrevue avec la chancelière allemande.

Vrai-faux « parler vrai »

Sur le tard, comme VGE, certains, qui n’attendent plus grand’ chose pour eux-mêmes, comme Jacques Attali, se permettent un peu de parler vrai. Ainsi de dire à Europe 1, « la note française correspond à AA », et non au fameux triple A. Question de temps… Standard & Poor’s n’a sans doute que légèrement différé une dégradation qui viendra, si ce n’est d’elle-même, de Moody’s ou de Fitch Ratings. Slate considère, au sujet de la fausse-vraie ou vraie-fausse annonce de dégradation par S&P : « on ne voit pas comment une erreur aurait pu se produire si, d’ores et déjà, l’analyse n’avait pas été déjà anticipée, concluant à la perspective d’un changement de note… ».

Les agences de notation reflètent les souhaits de la finance. Quand la finance endette les pays, elles accordent une excellente note. Quand la finance est allée trop loin, elles dégradent les notes. Tous les dirigeants des banques sont des Madoff qui frôlent les limites d’une légalité qu’ils ont eux-mêmes dictée pour se comporte tels des Madoff mais en restant, apparemment, « dans les cordes ».

Les seuls leviers qui les font frémir, ce sont les peuples. Tous les financiers avaient placé des emprunts russes à qui mieux-mieux. Et dicté aux gouvernements des pays prêteurs d’encourager la Russie à s’endetter davantage. Pendant 30 ans ! Histoire d’ouvrir aussi des marchés aux plus puissantes entreprises de leurs divers pays, aux banques… « Prêter à la Russie, c’est prêter à la France », affichait-on dans les grandes villes françaises.

Les Russes s’en sont remis aux bolchéviques, qui mit la Russie en défaut, répudiant toute dette. La finance a tenté de récupérer partie de ses créances par les armes, en vain. Près de trois-quarts de siècle plus tard, la finance, en faisant s’endetter de nouveau la Russie (Brejnev, pour calmer le peuple éreinté par la course aux armements et à la conquête spatiale, importait énormément à crédit), a fini par réussir à réinvestir le « marché » russe, avec des résultats mitigés.

Souveraineté limitée

C’est la conception de la souveraineté limitée instaurée par Brejnev dans le Comecon (la façade économique du bloc soviétique) que la dictature molle européenne veut imposer à l’Europe. Brejnev l’avait imposée aux pays satellites pour, en les taxant, tenter de sauver l’Urss ; la dictature molle veut l’imposer pour enrichir la finance.

Va-t-on, pour cela, de nouveau confier l’Élysée a celui qui tant œuvré pour aider la finance à endetter la France ? Rappelons juste deux faits. Ministre du Budget, il liquide l’Imprimerie nationale pour favoriser une opération immobilière qui, défiscalisée au Luxembourg, permet au Carlyle Group de revendre un immeuble à l’État à 4,5 fois son prix. Peu après, son demi-frère Olivier entre à la direction du Carlyle Group. Le même permet, en 2007, à l’immobilière qatarie Barwa de réaliser, en quatre mois, 13 % de plus-value sur le Centre de conférences de l’avenue Kléber, bien d’État bradé, tel l’hippodrome de Compiègne, à de plus ou moins proches (du Cap Nègre, aussi, pour l’hippodrome, et d’ailleurs, pour maints épisodes du Woerthgate).

Sarkozy a multiplié les invitations, les sommets, &c. Philippe Seguin rappelait qu’on avait réaménagé pour 16 millions d’euros le Grand Palais pour accueillir un « sommet » de l’UMP. Pour le dernier G20 de Cannes, le Canard enchaîné table sur 90 millions d’euros (contre 28 pour la députée UMP Geneviève Colot). Ce n’est pas simplement pour satisfaire sa gloriole personnelle que Sarkozy a creusé considérablement le déficit des finances publiques, mais pour arroser des amis. Sans espoir de gain personnel ?

Le même, à présent, se verra contraint à court-terme de durcir encore, en raison de la récession, les mesures d’austérité annoncée par Fillon pour, en majorité, 2013.

À présent, Norbert Röttgen, vice-président de la CDU, réclame « le renforcement de la puissance européenne » en estimant que de toute façon, « les États nationaux ne perdraient rien qui n’ait déjà été confisqué par la mondialisation. ». L’Allemagne possède des investisseurs disposant encore de fonds propres, et tente, par une intégration européenne plus poussée, de les sauvegarder.

Le raisonnement n’est pas faux. Admettre une certaine souveraineté limitée, si c’est pour contourner la pression de la finance mondiale, se donner de réels moyens de la juguler, est une option. Mais il n’est pas du tout sûr que la finance internationale se laisse faire. Ou peut-être consentira-t-elle à une étape intermédiaire, avant de se refaire par la suite. Les peuples oublieront peut-être. Mais pour le moment, ils commencent à se rendre compte qu’il ne suffit plus de s’en prendre aux seconds couteaux…