Dans le Canard enchaîné, le caricaturiste Lefred·Thouron suggère qu’« on » « pourrait taxer un peu la prostitution au lieu de l’abolir… ». Un « peu plus » aurait été mieux venu. Réponse d’un conseiller de l’Élysée « tu expliqueras cela à Najat… ». Allez, je vais le faire…

Plutôt futé, le caricaturiste Lefred·Thouron (voir son site), qui « sévit » dans Le Canard enchaîné, Fluide Glacial, et d’autres titres. Perso, pour éradiquer la prostitution, j’ai toujours considéré que si Najat Vallaud-Belkacem, et même encore Roselyne Bachelot-Narquin, et d’autres, se donnaient gratuitement sous des portes cochères, ou exerçaient bénévolement en tant que maîtresses de donjon dans une association, des pans entiers mafieux chuteraient (et accessoirement qu’une partie de l’inflation réelle régresserait).

Cette concurrence « sauvage » aurait quelques répercussions fâcheuses sur diverses familles, le taux de fréquentation des universités, et les prévisions budgétaires de Bercy.

Car si les prostitué·e·s dissimulent sans doute divers revenus et avantages en nature (les « petits cadeaux » sous forme lingerie ou autres libéralités pour lesquelles elles ou ils ne peuvent présenter de notes de frais), la prostitution alimente le fisc. Et pas qu’un peu si les contrôles sont bien faits.

 

J’en veux pour preuve la mésaventure que vient d’occasionner le fisc à Donna Asutaits, 29 ans, étudiante en mastère à l’université de Westminster, et par ailleurs sujette respectueuse de Sa Majesté et donc du ministère des Revenue & Customs.

 

L’Inland Revenue Departement lui a réclamé 120 000 livres, montant de l’évasion fiscale estimée sur environ sept ans d’exercice de la prostitution huppée. Entre 2005 et 2007, ses revenus, hors avantages divers (cadeaux, bijoux, invitations…) s’établissaient aux alentours de 300 000 livres.
Soit près de 370 000 euros à l’époque (10 300 euros mensuels environ).

C’est sans doute en versant un apport de 110 000 livres pour acquérir un appartement de Kensington (est de Londres) en valant plus du triple qu’elle a retenu l’attention. Il n’a pas été trop difficile de percer ses pseudonymes utilisés par des sites d’escortes et la police a pu saisir ses petites économies en numéraire : 78 900 livres. Et des bijoux de valeur de surcroît.

Elle a été condamnée à 16 mois de prison et l’action de la justice n’est pas éteinte car une autre audience ultérieure la mettra encore davantage à l’amende.

Comparez avec les revenus attendus de la part des client·e·s de la prostitution si les suggestions de divers groupes de pression relayées par Roselyne Bachelot ou Najat Vallaud-Belkacem étaient suivies d’effets. Les mesures envisagées risquent de tarir quelque peu la clientèle et de faire relever des tarifs dont les bénéfices nets seront encore mieux dissimulés.
C’est ce qu’on appelle un effet pervers.

Quant aux autres avantages ou inconvénients, il en a été si largement débattus que je ne m’appesantirai pas : résumons, c’est mitigé.

Dans un monde où le micheton de contribuable est ponctionné pour renflouer les banksters, relancer la consommation (surtout celle des riches, supposée générer des miettes pour celle des pauvres), on en vient à se demander si la facturation des « services sexuels » (et avec reçu, svp, pour la comptabilité) ne serait pas souhaitable.

Les banksters récalcitrants à toute régulation ou contrôle menacent de partir à l’étranger et tout le monde trouve cela normal, si ce n’est moral. Prostitué·e·s et client·s feraient de même, ce serait estimé fortement immoral. D’ailleurs, la Norvège réprime la clientèle se rendant à l’étranger…

Des membres de Médecins du monde, un peu davantage au contact de certaines réalités que d’autres d’entre nous, ont estimé dans Le Monde que « les prestations sexuelles tarifées restent une source de revenus ultime pour de nombreux précaires dont certains vivent dans des logiques de survie. ». Sylviane Agacinski, Thalia Breton, Danielle Bousquet, Nicole Castioni, Claire Quidet et Coline Serreau, qui n’envisagent nullement de plonger dans la misère de nombreuses et nombreux précaires en concurrençant gratuitement les prostitué·e·s, considèrent, sur Mediapart, qu’il faut abolir la prostitution car « l’esclavage n’a pas été éradiqué mais il a bel et bien été aboli. ».
Y compris en Mauritanie, bien sûr, tout comme le salariat sous ses formes les plus contraignantes au Moyen-Orient, c’est bien connu…

Je ne sais si on en viendra à plaider les mutilations sexuelles radicales pour éradiquer la prostitution (car l’abolir, hein… sur le papier, certainement). Camisole chimique permanente et fécondation ex utero… Là encore, il serait exemplaire que les plus militant·e·s commencent par elles ou eux-mêmes. Mais, dans un premier temps, on pourrait aussi appliquer à la répression de la clientèle des prostituées le principe du permis à points, avec intervention chirurgicale réparatrice… pour qui, bien sûr, pourrait en supporter le coût.

Une urgente priorité, bien sûr !

 

Retirer les prostitué·e·s des rues est relativement simple à réaliser – sans doute au profit de l’hôtellerie-restauration et des hébergeurs Internet –, pour les SDF, c’est un peu plus compliqué. L’Urss, qui avait instauré un Conseil central pour la lutte contre la prostitution, y était à peu près parvenue (on sait en partie comment, mais certains logements sibériens n’étaient guère recherchés), et les SDF se sont fait très rares. Pas les prostituées, en dépit de la création d’un premier camp de travail ad hoc en 1919.

Puis, en 1928, à Léningrad, on ouvrit un dispensaire de traitement et de travail qui fut pris d’assaut, la demande étant si excédentaire qu’il fallut restreindre les admissions aux plus malades. On alterna ensuite répression et « réhabilitation » de la prostitution, tout comme on rétablit l’avortement pour éradiquer les infanticides.

 

En 1987, le régime soviétique décrétait que 99 % des prostituées exerçaient à Moscou avec des étrangers. Fallait-il supprimer les étrangers ou les forcer à se marier ?

 

Pendant une, deux, trois décennies, on réprime, puis, lors des suivantes, on libéralise.

Cachez cette créature que je ne saurais voir !

 

On veut lutter contre l’esclavagisme, fort bien. En Turquie, un centre d’appel a été instauré par l’OIM (Organisation internationale des migrations) : 74 % des appels sont provenus de clients ayant pris en pitié des femmes, surtout originaires de Russie et Ukraine, contraintes à la prostitution… En France, promener le chien ou gambader avec les enfants dans les bois de Boulogne et Vincennes sans risquer que la vue soit gâchée par des camionnettes est bien plus primordial.

Mais bon, quand l’essentiel est de publier des tribunes libres dans la presse, le réel, hein… Surtout quand ce réel vous dépasse, qu’il n’y a pas d’avantages sans inconvénients, et que, si vous accepteriez peut-être d’héberger chez vous, de donner gîte et couvert, voire même quelques maigres gages, à une prostituée, pour un SDF, là…