Nous sommes lundi 11 novembre 1918 et la Grande Guerre est finie, les canons se sont tus, les fusils ne crachent plus leurs balles assassines et les obus n’explosent plus en emportant avec eux nos amis conscrits. Les dirigeants des pays belligérants se sont mis d’accord pour mettre fin à cette horreur qui a trop longtemps duré. Une signature posée sur un bout de papier, œuvre de M.Foch, dans le wagon d’un train posé à Rothondes, symbole fort que ce moyen de transport pour rabibocher des nations déchirées et pour panser des plaies saignantes. Il y a à peine quatre années de cela, forgés depuis notre plus tendre enfance par les « hussards noirs » de la République, comme un bloc de roc que l’on taille, afin nous nous vengions de l’affront de 1870 et que nous récupérions l’Alsace et la Lorraine tombées dans les mains des boches, nous partîmes la fleur aux dents.  On pensait être à Berlin dans les six prochains mois suivant l’ouverture des hostilités, mais il en était rien. Nous déchantâmes rapidement en apercevant que nous nous étions engouffrés dans un tunnel sans fin. Les années passèrent et les amis trépassèrent. La mort était notre quotidien. Toutefois en mars 1918, la situation semblait évoluer, la Russie, en proie à une révolte sans précédent, dû se désister pour se concentrer sur son problème interne où Rouges et Blancs s’affrontèrent comme des frères ennemis. L’Allemagne crût voir une occasion de faire plier notre beau pays, vu que ses forces mobilisées à l’est purent se redéployer à l’ouest. Mais les offensives successives ne portèrent pas leur fruit, aidé de nos amis britanniques et américains, nous reçûmes la force nécessaire pour lutter vaillamment. Les nouvelles des fronts d’Orient étaient réconfortantes, petit à petit, les pays alliés des Fritz demandèrent leur reddition. Les alliances passées par notre ennemie s’écroulèrent tel un château de cartes et c’est de plus en plus seule qu’elle mena la guerre. Au prix de nombreux morts et des très gros sacrifices, nous reprîmes quelques lopins de terres à la frontière franco-belge, des dizaines d’unités tombées pour quelques mètres récupérés, mais peu importe, ce sont des sols sur lesquels l’autorité de l’empereur Guillaume II ne s’exerce plus. L’Allemagne était dans la panade depuis qu’elle nous voyait grignoter progressivement du terrain, ses combattants commencèrent même à faire désertion et se demandant pourquoi une telle boucherie ? Toutes les tergiversations du Kaiser, changement de ministre, réorganisation de sa diplomatie, etc. ne servirent à rien, il voulait sauver la face mais il dut se rendre compte de l’inévitable. L’Allemagne, à l’image d’un géant boiteux gangrené pour une crise sociale, morale et économique, était contrainte de reconnaître sa défaite. Par un petit message en morse capté au début du mois de novembre sur l’antenne radiophonique de la Tour Eiffel, les allemands faisaient part de leur volonté d’en finir. Ils avaient commencé la guerre, en conséquence, les négociations furent unilatérales, les allemands avalèrent les décisions des alliés avec amertume. Les clauses prévoyaient une cessation totale des hostilités, évacuation des pays occupés, abandon des armes et du matériel pouvant être encore utilisé, instauration de zones d’occupation en territoire allemand, livraison d’un lourd tribut composé de milliers de machines industrielles et de véhicules civiles et militaires tels des sous-marins. A l’instar de tous les empires qui ont vu le jour, celui-ci ne dérogea pas à la règle et subit le même sort du démantèlement. Nous avions gagné, battus ces teutons avec leur casque pointus. L’Allemagne aux abois, ne pouvant plus supporter l’effort de guerre, demanda le cessez le feu. Pour l’instant dans les rues de Paris et des autres villes françaises, on s’amuse, on rigole et on rit, on se prépare aux années qui vont venir et que l’on considérera comme folles. Les soldats rentrent progressivement du front avec des blessures morales et physiques irréversibles. On pensait le pire derrière nous avec tous ces morts, plus de 18 millions selon les papiers. Il fallait que ces pleurs et ce sang s’arrête et que comme un mauvais cauchemar, on ne le refasse plus. Cependant, telle une mauvaise surprise, au lieu d’avoir des lendemains enchanteurs, nous auront des lendemains qui pleurent. Nous avions fait la faute de laisser trop de mauvaises graines qui semées sur une mauvaise terre, donnent des fruits abjectes. Bientôt un fou s’élèvera dans un pays malade, attisant la haine de l’autre et agitant le bouc émissaire juif, pour mettre en place sa vengeance et ses ambitions de conquêtes dévastatrices. L’Europe, dit-on, s’est formée dans les crises et la première d’entre elles prit fin il y a tout juste 93 ans.