Elle croyait bien faire, la paroissienne du sanctuaire de la Miséricorde de Borja, en barbouillant une fresque du début du siècle dernier représentant Jésus couronné d’épines. Cet « Ecce Homo » fort mal restauré a valu une éphémère célébrité à Cecilia Giménez, mais il fait surtout le bonheur des marchands du temple : son œuvre – tout aussi éphémère car il sera tenté de restituer l’original – est déclinée à présent en tee shirts et en crêpes au chocolat et au sirop de framboise.

À peine les graphistes de Meme Tienda (.com) s’étaient-il emparés du Christ de Borja, près de Saragosse, pour en orner des camisetas (des tee shirts à 13 euros pièce) qu’un célèbre chocolatier madrilène s’empressait de livrer son interprétation de l’œuvre « restaurée » par la paroissienne du sanctuaire de la Miséricorde pour en proposer des gâteaux.
Mariano Olivera, qui officie dans la boulangerie-pâtisserie madrilène Horno (four) de San Onofre du marché de San Miguel, décline ce visage plutôt pâteux du Christ sur des crêpes. « Ceci est mon corps, prenez et mangez », indique la liturgie catholique.
Le précepte a été pris au mot. Et avec les réseaux sociaux (le marché de San Miguel dispose d’une page Facebook, le répertoire culinaire en ligne Al Paladar a repris, &c.), les crêpes christiques ont eu droit aux honneurs de la presse mondiale hispanophone, et à d’autres titres.

L’église de Borja – 5  000 âmes environ – fait désormais l’objet d’une affluence record et la municipalité a dû démentir des informations voulant que de « nombreuses propositions » d’utiliser l’image de la fresque généreront des millions de revenus. Car « rien ne s’est concrétisé ». Certains n’ont pas attendu d’autorisation, mais une taverne locale s’est proposée en vain d’imprimer 20 000 bouteilles à l’effigie du Christ ainsi barbouillée.

 

Mais la municipalité vient de faire enregistrer l’image et la « marque » au profit de la Fondation Sancti Spiritus, propriétaire de l’église. Son consistoire menace déjà de poursuites, mais ne peut les appliquer, faute de dépôt de marque. Il s’est pour le moment borné à faire apposer un nouveau tronc pour recueillir des aumônes.

Déjà, des applications iPhone ou autres sont diffusées. Des graphistes ont transposé l’image sur des pièces d’un euro, sur des fresques byzantines, lui ont donné le visage de Mr. Bean (la paroissienne gaffeuse s’est attiré le surnom de Doña Bean), ou en ornent des espadrilles Converse. Le site Cecilia Prize permet de personnaliser l’image.

La restauration, ou plutôt la réhabilitation de l’œuvre originale a été estimée réalisable par des experts, mais de nombreuses voix s’élèvent pour conserver la nouvelle version en l’état.

 

Très régulièrement, la presse, surtout anglophone, signale les proclamations de gens assurés d’avoir eu la révélation du visage du Christ dans un peu tout et n’importe quoi (souvent des fruits ou légumes, du pain, et en divers lieux, murs, parois, &c.).

Quant à un groupe musulman, qui avait vu une croix chrétienne dans la coupe d’une tomate, leur condamnation de la consommation de tomates avait aussi fait le tour de la Toile.
C’est généralement sitôt oublié que publié.
Mais la Ecce Homo Mania semble un tant soit peu perdurer.

D’autant que ce nouveau visage du Christ peut-être transposé sur d’autres représentations préexistantes (ainsi, en photomontage, sur celui de la statue du Christ rédempteur de Rio de Janeiro, pour ne citer qu’un plus récent exemple). 

D’ici à ce que cette représentation s’impose, que Bojar devienne un lieu de pèlerinage, que la bonne dame Cecilia soit béatifiée, après que divers miracles soient attribués à l’intercession de son Christ, il n’y a peut-être que quelques décennies. Pour le moment, et pour une fois que la célébrité est pavée de bonnes intentions, car la paroissienne croyait vraiment bien faire, personne ne voue l’œuvre à l’enfer et à la damnation. C’est un progrès : des « sorcières » montèrent au bûcher pour bien moins que cela.

Quant aux marchands du temple, que l’on se rassure, ils trouveront bientôt autre chose. Après tout, le Christ est aux églises chrétiennes, surtout catholiques, ce que le clown Ronald est à McDonald’s.  Pour l’instant, l’église catholique apostolique romaine n’a pas réussi à en déposer la marque. Mais l’initiative de Rojar pourrait donner des idées au Vatican…