Espace Schengen : la Roumanie fait le ménage

Lors de la dernière réunion du Comité mixte Schengen (des ministres européens de la Justice et de l’Intérieur), il fut de nouveau question de l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie : « Les ministres ont constaté les progrès réalisés par ces deux États. ». Pour la Bulgarie, je ne sais. Pour la Roumanie, un coup de torchon a été passé.

C’était bien connu du temps du Conducator. Si tu voulais faire fortune, entrer dans les Douanes ou la police aux frontières était lucratif. Évidemment pas en piquant, comme dernièrement à l’aéroport Trian Viua de Timosoara, mon briquet Laguiole imitant le manche d’un canif, mais en trafiquant à plus large échelle. Il y avait bien sûr des contrôles et des sanctions, et c’est ainsi qu’un militaire, qui jouait aux cartes, avait été muté après avoir laissé passer sans contrôle tout un train de marchandises. Cela tombait bien : comme c’était par ailleurs le plus intègre, le poste de contrôle ferroviaire avait été débarrassé d’un gêneur (n’est-il point, Cher Anton ?).

Or donc, Roumanie et Bulgarie devaient intégrer l’Espace Schengen en mars 2011. France et Allemagne ont opposé un veto, mais il pourrait être levé. En tout cas, pour une fois, l’État roumain a pris les choses un peu au sérieux, de nouvelles têtes sont tombées.

Les choses s’étaient récemment améliorées. En rejoignant Arad depuis Budapest par le train, l’attente aux deux gares frontalières s’était un peu réduit. En empruntant les bus d’Atlassib ou d’Eurolines, les attentes restaient toujours très longues mais le conducteur ne faisait plus souvent passer un chapeau pour rétribuer les douaniers et épargner une fouille en règle des bagages aux passagers. Au poste de Jimbolia (frontière serbe), comme je n’avais pas de jerrican dans mon coffre, les formalités ont été rapides : et puis, le prix de l’essence étant devenu ce qu’il est en Roumanie, ce ne serait plus rentable de « graisser la patte » au passage. Les petits profits diminuaient entre Hongrie ou Serbie et Roumanie, mais les gros se poursuivaient à la frontière moldave.

Mais début février dernier, environ 150 douaniers ou policiers de l’air et des frontières, rapporte Revista 22, ont été autant de cellules du « cancer de la corruption » devenues, pour un temps au moins, stérilisées. Le trafic de « combustibil, ţigări şi alcool » (voire de petites pépées, comme au temps d’Eddie Constantine) a été sérieusement ralenti. Virgil Burla dresse un récapitulatif des plus évidentes affaires depuis 1989, et la Vamal (douane) va mieux depuis que la Direction générale anticorruption (DGA, et la DNA, la Direction nationale des douanes) s’en mêle. Le Courrier des Balkans a pratiquement traduit intégralement l’article de Virgil Burla, lequel l’a depuis actualisé en signalant que Radu Mărginean, avait démis de ses fonctions de directeur de l’Autorité nationale des douanes. Viorel Comanita, directeur de la Direction de Surveillance, accises et actions douanières de l`Agence nationale de l`administration fiscale, le remplace. Car si des millions d’euros ne sont pas rentrés dans les caisses de l’État roumain, il y a aussi fort à parier que d’autres, perçus par des douaniers ou policiers, ne sont pas non plus restés en Roumanie. Les douaniers et policiers corrompus menaient grand train, s’affichant avec ostentation dans des voitures de luxe et de grandes villas récentes, mais ils n’avaient sans doute pas mis tous leurs avoirs dans les mêmes banques roumaines.

En fait, des enquêteurs se sont infiltrés dans des services douaniers et policiers, et le parquet anticorruption peut leur adresser des sincères félicitations. Le hic, c’est que les protagonistes d’affaires forts anciennes attendent toujours de comparaître devant les tribunaux : les magistrats du siège, les fonctionnaires les mieux payés de toute la Roumanie, sont parfois compréhensifs. Des procès ont été reportés dix, vingt, et jusqu’à cinquante fois. « Sur 130 dossiers, entre 2005 et 2010, seuls 24 ont donné lieu à des arrêts définitifs. ». Il est vrai que les magistrats, qui perçoivent une prime pour compenser les mauvaises odeurs d’aisselles et de pieds des justiciables, sont parfois tant incommodés qu’accommodants.
À la frontière moldave, dans les postes de Siret, Stamora Moraviţa, Foeni, Deta et Naidăş, douaniers et policiers pouvaient empocher des milliers d’euros… quotidiennement. À raison d’un euro par cartouche de cigarettes passée (tarif dégressif selon la quantité), c’était un vrai pactole.
Les policiers peuvent être remerciés mais les douaniers sont simplement suspendus de leurs fonctions. À leur décharge, il faut relever qu’ils ont aussi des frais : une embauche arrangée, à un haut niveau, se négociait jusqu’à 130 000 euros, un très bon investissement… jusqu’à ce que l’Europe songe à intégrer la Roumanie dans l’espace Schengen.
L’article ne dit rien des clandestins kurdes, afghans, pakistanais… se pressant aux frontières bulgares ou roumaines (qui a aussi une façade maritime sur la Mer Noire). Affaire à suivre, donc…

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Espace Schengen : la Roumanie fait le ménage »

  1. Vous les imaginez, vous, les magistrats de la cour de Cassation français, toucher une prime de « mauvaises odeurs » ? C’est vrai que les chambres des tribunaux sont parfois de taille très réduite, &c. Ah, oui, plus sympa, les policiers ont une « prime de sourire ». 😉
    Je vais demander à Come4News une prime d’émoticons souriants (souriels).

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