En fin de droits, imposé à 85 %

Gérard Depardieu a vraiment fait pleurer dans ma chaumière dont la cheminée s’ornera peut-être de quelque vin effervescent acheté grâce au versement de la prime de Noël (152,45 €) réservée aux assistés bénéficiant d’allocations (pour moi, de fin de droits). Cela ne m’empêche absolument pas de m’estimer solidaire de Gégé, car moi aussi, je fus imposé à plus de 85 %. Compagnon, que dis-je, camarade Gégé, indignons-nous !

Bernard Thibault, de la CGT, a froidement déclaré « il n’y a personne qui paie 85 % d’impôt sur son revenu&bnsp;». Eh bien, il n’avait pas tort. En revanche, à l’époque percevant l’allocation de fin de droits (bon mois, mauvais mois, alors, environ 450 euros mensuellement), j’ai réglé au fisc largement plus de ce taux en impôts divers.

Et alors ? J’hérite de deux tout petits appartements et d’un terrain à jardin dans une ville moyenne (donc, de province). Droits de succession, impôts locaux, TVA que je n’ai pas calculée, prélèvements sur mes éconocroques placées sur un livret A…
J’ai réglé davantage d’impôts que mes revenus annuels.

Depuis le temps que, faute d’être « employable », je perçois la « fin de droits », je n’ai même pas tenté d’obtenir un abattement sur des impôts locaux qui ont fortement décru (il a bien fallu vendre pour subsister). Je ne suis exonéré de rien, sauf de l’impôt sur le revenu, et pour cause.

J’avais déjà précédemment relevé qu’on avait aperçu Gérard Depardieu à l’Agence pour l’emploi (alors encore ANPE) réservée aux professionnels du spectacle. Je fais amende honorable : peut-être venait-il lui-même déposer des offres pour des cachets de figuration. Venir en personne, c’était fort louable. De même relevais-je que nombre de ses films ont bénéficié d’avances sur recettes, d’aides à la création, mais il est très vrai que je n’ai pu en faire le compte.

Ziva, Gégé, eh, vends tout !

Tu veux payer moins d’impôts, mon Gégé ? Tu as une solution : vends tous tes restaurants, vignobles, poissonnerie, épicerie fine, concession de motos, biens immobiliers, &c., si possible pas trop cher aux salariés ayant contribué à faire grossir ta fortune, et claque tout. Il est très facile de se retrouver non-imposable sur le revenu. 

Voici donc que des avocats et experts fiscalistes viennent nous faire compatir : la pression fiscale atteint des niveaux très importants en France. Fumeuses et fumeurs, pas forcément fumistes, ne découvrent rien.

Il est effectivement possible de régler des impôts, directs et indirects, supérieurs à son revenu, et même largement supérieurs. On peut même très bien vivre en totale autarcie sur un domaine (en cultivant son jardin, élevant ses poules et ses lapins, faire un peu de troc), puiser l’eau de son puits, n’avoir aucun revenu imposable, et pour autant devoir régler impôt foncier et taxe d’habitation. Intolérable ?

Même un SDF vivant de mendicité peut se réchauffer gratuitement – si la police ne le fait pas circuler – au-dessus de la bouche d’aération d’une ville dotée d’un métropolitain. C’est aussi intolérable ? Ne devrait-il pas s’acquitter d’une très modeste contribution ? Histoire de soulager un peu Gégé de sa pression fiscale… Car sa souffrance psychique est lourde, vaste, haute, sommitale. Tandis que le pochtron aux semelles de vent, voyez-le, tel le savetier de la fable, va-nu-pieds parfois hilare, arborer un sourire dont l’indigné Gégé s’est départi.

Voici donc notre Gégé muni d’un passeport russe que lui aurait fourni Poutine en personne. De quoi aller rejoindre le Monténégro, où il peut dormir en son logis, et fumer des cigares de contrebande. Je sais, l’exil peut parfois être pénible, Gégé. Tu regretteras assurément le petit cordonnier « chinois », le boutiquier « arabe&bnsp;» et tous ces petits gens vivant de leurs modestes échoppes qui bordent la rue du Cherche-Midi à Paris. Cela donne, dans Le Figaro, « les commerçants du quartier, atterrés par le départ de la star qui, depuis plusieurs années, soutient financièrement les artisans et commerces de bouche d’une rue gagnée peu à peu par les boutiques de vêtements. ». Eh oui, Gégé, parfois, laissait les pièces sombres ou jaunes de la monnaie.

Pascal Jan, dans Libération, estime que « Tchao pantin aura désormais un deuxième visage dans l’inconscient collectif », après celui de Coluche. Mais Geneviève de Fontenay se montre compréhensive : « je ne vois pas pourquoi Depardieu n’en profiterait pas, d’autant qu’en Belgique, ils n’ont pas de permis à points, je viens de m’en faire avaler deux entre Saint-Cloud et Gare de Lyon… ». T’inquiète, Geneviève, faute d’avoir encore une voiture, j’ai conservé tous mes points, je peux prendre le volant.

Et si tu veux qu’on aille à Lille ou Bruxelles, et qu’on voit un Gégé tout trempé, tout crotté, lever le pouce, on lui trouvera bien une petite place entre tes cartons à chapeaux, non ?

Pas d’avis sur la question

Ce qui est quand même fort dans cette histoire, c’est vraiment qu’un Dipardiou nous manquerait et que tout serait dévasté : allumez les postes, ouvrez les journaux ou magazines, il n’est question que de lui…

Enfin, de lui, pas vraiment, tout le monde l’ouvre (moi-même, d’ailleurs…) histoire de faire parler de soi. Là, c’est Raël, Claude Vorilhon, des raéliens, qui voudrait aussi quitter ce monde pour rejoindre les extra-terrestres et échapper aux taxes et impôts. Ou Bruel qui, pour faire parler de lui, estime, après la tribune de Torreton dans Libération, que « faire parler de soi dans ces circonstances est déplacé ». Eh, il ne fallait pas répondre. Il n’y a guère que Jugnot à n’avoir « pas d’avis sur la question ».

Il n’y a guère que Jean-Pierre Mocky, le réalisateur, qui n’a pas déjà saisi l’occasion d’y mettre son grain de sel. Il tourne pourtant près d’Apremont, avec « des figurants bénévoles » : allez, Gégé, un bon geste, vient faire silhouette, ce n’est pas loin de Chantilly, sur le trajet Néchin-Paris. Ah, non, pardon, Jean-Pierre Mocky approuve, pince sans rire : « Il a beaucoup de charges Gérard. Il a des restaurants, des employés, de la famille, etc. Donc, si on lui pique tout son pognon en impôts, c’est terrible. ».

Ah, le Gégé a gagné encore en stature : son repli en Belgique évoque Charles de Gaulle à Londres ! C’est un peu ce que ressent Lucie Clavijo, du Front national : « je peux comprendre que vous n’ayez plus envie d’entretenir des gens qui ne se veulent ni ne se pensent français ! ». Des Debouze, par exemple, qui s’accrochent, s’incrustent, insistent pour payer des impôts en France ?

Musulman, pratiquant, mais point trop

Voici même Hicham Hamza qui, sur Oumma.com, y va de sa révélation (ou plutôt rappel). En 1965, Depardieu déclarait  « en 1965, j’ai été musulman pendant deux ans (…) à cette époque, la mosquée, c’était un peu mon lycée à moi (…) toute ma vie a été ainsi scandée par cette quête spirituelle et par la découverte de l’autre ». Comme quoi, hein, on peut un Français pendant 64 ans, et changer d’avis. Passer de la découverte de l’autre à celle des moules-frites, par exemple. C’est spirituel, la moule-frites, un peu comme l’hostie des cathos : « ceci est ma belgitude » (à prononcer en rotant de la gueuze-lambic, « sang » de la Belgique). Dhimmi, va… mais les Identitaires te pardonnent. Au fait, le saviez-vous ? En fait Depardieu serait parti en Belgique parce que, dans ce pays, le droit de vote local est accordé aux ressortissants extra-communautaires, et qu’en France, cela tarde trop.

Depardioff va-t-il à présent se convertir à l’orthodoxie, avec Poutine pour parrain ?

Jérôme Cahuzac a aussi observé : « Entre 2003 et 2006, le nombre d’exilés fiscaux est passé de 368 à 843 et pourtant, me semble-t-il, dans cette mandature, vous n’avez pas été, vous à l’UMP, en arrière de la main pour baisser les impôts. ». Ce devait être déjà, comme le dénonce à présent Rama Yade, la conséquence de la politique fiscale de l’époque, trop timide pour retenir les célébrités et les fortunés.

Pas déjà belge, ni propriétaire

Selon la RTBF, Depardieu se serait bien domicilié à l’ancienne douane de Néchin, chez un pote à lui, mais il n’aurait encore rien acheté dans le coin. Il se serait plutôt intéressé à d’autres propriétés. D’aucuns logent chez une copine, lui c’est chez un copain, mais rien n’est fait pour la Belgique, la Russie a surenchéri, et la Mauritanie est peut-être aussi sur les rangs. Et la Corée du Nord ?

Tiens donc, le Luxembourg veut à présent que le secret fiscal soit rigoureusement protégé. C’est vrai, cela, je ne voudrais pas qu’il soit étalé sur la place publique que je ne suis plus imposable sur le revenu. Oh, en fait, je m’en contrefiche.

Sinon, le commentaire le plus sibyllin revient à un célèbre chroniqueur anglophone, Rush Limbaugh. Le départ de France de Dipardiou fera que, peut-être, « les femmes se sentiront menacées ». Il a dû confondre Depardieu et DSK. Qui sera notre prochain exilé fiscal ? N’en préjugeons pas déjà.

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « En fin de droits, imposé à 85 % »

  1. « la gueuze-lambic, « sang » de la Belgique » ?
    Plutôt la Jupiler…
    Parce que la gueuze, au bout de trois verres, ça me donne la … courante !
    ;D

  2. Hello, ÉricPomme.
    Ben, à Depardieu, cela lui génère des flatulences, mais il n’est pas sûr qu’il souille son caleçon.
    C’est le souffle de l’Esprit Saint qui s’exprime à travers sa modeste personne.

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