El Karoui, l’Edgar Faure tunisien ?

Trop vite (et mal) écrit : faut-il se joindre à la pétition exigeant la démission d’Hakim El Karoui de sa présidence de l’Institut des cultures d’islam ? Elle a été lancée par Mediapart, Nicolas Beau la relaye sur son Blog tunisien, qualifiant le personnage de « Rastignac franco-tunisien saisi par l’ambition du pouvoir ».

Tout comme moi-même, mais doté d’une plus solide documentation et de contacts privilégiés que je n’ai pas, Nicolas Beau avait trouvé « un peu excessive et non justifiée » la « charge » de Mediapart contre Hakim El Karoui. Non justifiée ? Ma foi, j’avais bien du mal à me déterminer au seul vu des éléments rapportés. Excessive, oui, me semblait-il, avec ce soupçon, dû à mon ignorance tant des signataires de la pétition le visant que de l’ensemble des fonctions et tractations que cette personnalité pouvait tenir ou mener : règlement de comptes ou ambition de le voir remplacer par soi-même ou un proche ?

Je reste circonspect.  Nicolas Beau assure qu’Hakim El Karoui et le Groupe Mabrouk ont tenté « de maintenir le noyau dur des anciens ministres RCD [ndlr., le relais de Ben Ali] dans la première version du gouvernement. ». Puis de placer des personnalités servant « les intérêts de [leurs] clients. ». D’où le ralliement de Nicolas Beau à la pétition

Hakim El Karoui doit sans doute son poste à son ralliement à la candidature de Ségolène Royal à la suite d’une publication d’une tribune libre dans Le Monde que Wikipedia résume ainsi : « Chiraquien mais pas sarkozyste ! ». Le maire de Paris, Delanoë, après avoir peut-être consulté Emmanuel Todd et Jacques Sapir qui, avec El Karoui animent le site Pour un protectionnisme européen, a favorisé la carrière de ce « banquier d’affaires et essayiste ».

Certes, alors qu’Edgar Faure témoignait en faveur de Pierre Mendes-France en 1941, au procès de Clermont-Ferrand, Hakim El Karoui ne s’est guère mouillé en prodiguant à Ben Ali des conseils dont on ne sait s’ils témoignaient d’une relative audace ou représentaient un appel du pied pour se placer. Auraient-ils été rendus publics en 2010 que, je crois, certains signataires de la pétition auraient pu les estimer, sinon courageux, du moins dignes d’attention. Edgar Faure, rappelons-le, œuvra pour l’indépendance de la Tunisie. Il aurait peut-être pu devenir le Premier ministre d’un Jacques Chaban-Delmas, il finit par se rallier à Jacques Chirac.  Il s’en détachera, se rapprochera de Giscard en 1981. On lui reconnaissait généralement « un sens élevé du service public » que l’hommage de Juppé à MAM, donc indirectement à la Fondation de ses parents (une officine affairiste, semble-t-il), exprimé dans les mêmes termes, rend rétrospectivement sujet à caution. Qu’un El Karoui ne s’oublie pas quand il se déclare soucieux du bien public et de la nation tunisienne ne m’étonnerait guère. Qu’il convienne de faire de son limogeage un symbole de la rupture de la classe politique française avec ses attitudes passées, est-ce bien une priorité ? L’enjeu me semble assez mince. J’ai peut-être tort. Question affairisme, nous avons toujours un Ollier (relais d’EDF dans l’affaire des éoliennes, des promoteurs immobiliers privés dans celle des quotas de logements sociaux pour les communes). Certes, exiger le limogeage de l’un n’empêche pas de s’opposer à l’autre, qui veut à présent se présenter en tant qu’intercesseur du peuple libyen auprès de Kadhafi. La bonne blague !

Ce qui me gêne davantage, c’est l’intitulé même de cet Institut des cultures d’Islam. Sa page de présentation précise : « Alors que le plus grand pays musulman du monde est l’Indonésie, alors que les coptes d’Égypte par exemple sont des chrétiens arabes, l’amalgame entre musulmans et arabes est encore très fréquent. Par ailleurs, on évoque souvent la référence à un islam essentialisé qui prescrirait ou interdirait aux femmes et aux hommes une série de comportements, de croyances et de pratiques. ». C’est cela même, et les Sénégalais musulmans sont des arabes ? Sans doute autant, pour certains, peut-être, que non pas les coptes égyptiens, mais des coptes égyptiens (sans doute, après tant et tant de siècles, la majorité ? je ne vais pas creuser cette question…). Peut-être qu’au lieu de s’en tenir à l’attitude d’Hakim El Karoui, il serait plus idoine de s’interroger plus largement. Et de se remettre aussi en question.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « El Karoui, l’Edgar Faure tunisien ? »

  1. Ce genre d’institut, cela m’évoque les tentatives du Vatican « d’ouvrir le dialogue » avec les laïcs et les agnostiques. Le Vatican roule pour le Vatican. L’Institut des cultures d’islam, je ne vois pas trop… Déjà, l’intitulé de l’Institut du monde arabe me semble quelque peu réducteur, non ?

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