Le monde s’impressionna de la fragilité effective des régimes tunisien et égyptien, tous les deux balayés en moins de trois semaines. Et pourtant chacun de ces régimes avaient laissé grandir un Etat devenu tentaculaire, entre autre pour éviter toute révolution.

Dans les dictatures tunisiennes et égyptiennes la corruption était une réalité aujourd’hui pleinement chiffrée. Mais laisser faire cet enrichissement illégal n’était qu’un aspect de ces régimes. Pour pleinement réussir à tenir leur société civile ils se sont, aussi, très largement appuyés sur un Etat pléthorique et tentaculaire.

Avec in fine une double intention liberticide. Tout d’abord multiplier les emplois publics comme autant de solutions pour palier les carences de leurs économies incapables de satisfaire toutes les demandes d’emploi. Mais aussi concentrer cette hypertrophie de l’Etat dans les secteurs vitaux à la sécurité du régime, en particulier vis-à-vis des menaces intérieures (police pour la Tunisie et armée pour l’Egypte). Possibilité aussi pour une petite oligarchie, mieux servie dans ce gaspillage d’argent public, de se constituer des rentes exceptionnellement lucratives (hydrocarbures, tourisme, BTP, immobilier,…). Cette situation de blocage, propre à une économie de cooptation implicite et de passe-droit, fut, sans conteste, le plus grand frein économique que connaissaient ces sociétés. En Tunisie, par exemple, nombreux étaient les cas d’entrepreneurs refusant délibérément de faire grandir leur entreprise pour ne pas être victime de l’une des nombreuses spoliations du clan Trabelsi.

Le délire policier tunisien

Ainsi à la fin de l’année dernière la Tunisie pointait au 59ème rang sur l’indice de perception de la corruption développé par l’ONG Transparency International. Symptomatique et paradigmatique des dérives du régime, la situation de la police tunisienne illustre tout le délire sécuritaire du régime vis-à-vis de sa population. En effet, sous Ben Ali, la police a vu ses effectifs grimper jusqu’à 120000 personnes. Pour un pays de 10 millions d’habitants cela fait un ratio d’un peu moins d’un policier pour 100 habitants. Rapporté à la France la statistique signifierait une police française d’environ 780000 policiers (contre près de 125000 en réalité). Et encore cela ne tient-il pas compte des 12000 membres de la garde nationale présidentielle. Bien évidemment cette omniprésence de la police dans le corps social supposait son omnipotence en particulier dans le champ économique. De cette situation nombreux ont été ceux à pouvoir en tirer profit.

Le pillage économique des militaires égyptiens

Coté égyptien, c’est l’armée qui grandissait de façon démesurée. Et encore faut-il se convaincre que la société égyptienne n’en a pas fini avec cette situation, malgré sa révolution.

Là encore le rapport de Transparency international est éloquent, puisqu’il place l’Egypte au 98ème rang (qui en compte 178 rappelons le). Omnipotente l’armée fait la pluie et le beau temps, tant dans le champ économique, que politique, voire sociétal. Officiellement l’armée égyptienne compte 468000 soldats actifs alors qu’elle n’a pas gagné, ni même fait une guerre depuis presque 40 ans. Le milliard de dollars que les Etats-Unis déverse annuellement au titre des programmes de  coopération en plus de forcer les égyptiens à acheter du matériel militaire américain a permis à une oligarchie militaire de très grassement vivre. Véritable privilégiés du régime les militaires se sont octroyés des pans entiers du champ économique. Sur les quelques 700 milliards de dollars du PIB égyptien près de 350 à 400 sont aux mains d’intérêts détenus de près ou de loin par des militaires.

Bref le complexe militaro-industriel égyptien vit très bien, et nul doute que les récents évènements ni changeront rien, si ce n’est dans le sens de l’aggravation du problème.

Grégory VUIBOUT