Que s’est-il passé exactement le 23 août 1996, qui vaille qu’environ 2000 personnes aient défilé hier dans la rue, célébrant ce douzième anniversaire par une manifestation parisienne en faveur des sans-papiers ?
Ce jour là, au petit matin, 1100 CRS et Gardes
mobiles bouclent le quartier de la Goutte d’or et donnent l’assaut pour déloger de l’église Saint-Bernard, dont la porte est fracassée à coups de hache, les sans-papiers qui l’occupaient. Manu militari , pour les latinistes. Les collectifs de sans-papiers de Paris et région parisienne, concluent, dans le communiqué de presse du 18 août dernier : "Des hommes, des femmes et des enfants, qui ne demandaient qu’une régularisation de leur situation administrative, sont maltraités avant d’être conduits vers des centres de rétention."
Le Nouvel Observateur résume comment on en était arrivé là : "Deux mois auparavant, le 28 juin 1996, trois cents Africains, qui avaient occupé par surprise l’église Saint-Ambroise (XIe) le 18 mars, puis différents lieux de la capitale dont ils étaient à chaque fois expulsés, étaient entrés dans l’église Saint-Bernard, au coeur d’un quartier populaire du XVIIIe. Ces immigrés d’origine principalement malienne et sénégalaise demandaient leur régularisation au nom de leur longue présence en France. Beaucoup avaient des enfants nés en France et n’étaient pas expulsables. Une dizaine d’hommes ont entamé une grève de la faim. Le grand public s’est ému, des personnalités, notamment Emmanuelle Béart, ont proposé leur médiation." À l’issue de l’opération brutale du 23 août 1996, quelques sans-papiers sont expulsés, "d’où ils reviendront clandestinement pour la plupart", précise l’Obs, d’autres incarcérés, puis relâchés. Mais la mobilisation continue. Et finit par porter ses fruits : sous le gouvernement Jospin, 87 000 à 100 000 étrangers en situation irrégulière sont régularisés, selon le bilan de l’Institut national d’études démographiques (Ined), sur 140 000 dossiers déposés.
On sait pourtant que bien des "socialistes" se répandent pour flatter l’électeur de base, en déplorant que la France ne puisse hélas pas "accueillir toute la misère du monde", suivant la célèbre formule de Michel Rocard, dont on omet toujours de préciser qu’elle est incomplète, le Premier ministre ayant terminé par : "mais elle doit en prendre fidèlement sa part". Il est vrai qu’il est plus simple de hurler avec les loups "haro sur les étrangers !" qu’expliquer patiemment que le problème des clandestins est anecdotique à l’échelle des affaires du pays.
Que l’État sarkoziste monopolise des moyens disproportionnés, qui sont autant de ressources dont sont privées la police et la justice pour leurs autres missions. Que le seul but de cette sinistre mobilisation est de gonfler les muscles pour montrer tout son zèle dans la traque de l’étranger, à destination du troupeau de "la race des chauvins, des porteurs de cocardes, les imbéciles heureux qui sont nés quelque part", comme l’écrivait Brassens.
Alors il faut faire du chiffre en fixant des quotas d’expulsés comme on marque les pièces de bétail. Le chiffre, coûte que coûte, en l’occurence des tragédies humaines insupportables. La cruauté, l’injustice, l’obscénité de ces calculs politiciens qui créent une implacable machine à broyer des vies, tout ça pour ne rien résoudre. Comme l’écrivait dans sa superbe lettre ouverte à Nicolas Sarkozy Jacques Lacour, l’un de ces "pères blancs" qui vit à Koudougou, au Burkina Faso, Ils arriveront quand même : " Nous savions depuis longtemps que la pression était forte et des milliers de cadavres balisent déjà les routes du désert quand les vieux camions rendent l’âme, le détroit de Gibraltar quand coulent les frêles embarcations, ou les autoroutes d’Europe quand on oublie d’aérer citernes ou conteneurs où ils voyagent. Qu’une route se ferme, une autre s’ouvre… et il va en être ainsi pour longtemps !
Vous pouvez bien affréter ces humiliants charters de « retour au pays » qui blessent profondément l’âme hospitalière africaine, elle qui garde mémoire d’avoir été convoquée pour défendre la mère patrie, vous pouvez bien mettre une troisième rangée de grillage à Ceuta et Mellilla (Que faisons-nous encore là-bas ?) ou faire disparaître le camp de Sangate, vous pouvez bien organiser des reconduites aux frontières sous les feux des caméras de télévision, cela rassurera peut-être vos opinions publiques mal informées, mais cela n’arrêtera pas l’arrivée des réfugiés économiques."
Alors il faut continuer patiemment de battre en brèche les idées fausses, mensonges et amalgames de ces sans-papiers qui "vivraient sur le dos des Français" alors qu’ils travaillent et nourissent leur famille, qui "ruineraient la sécu" alors que l’impact des dépenses consacrées à leur population est négligeable, "qu’on ne peut pas loger" alors qu’ils ont déjà un logement et ne demandent rien à personne. Juste à être régularisés, pour continuer à vivre dans le pays où ils ont fait leur vie.
Solidarité !
Même les amoureux !
On sépare même des couples mixtes Français/sans-papiers alors que le mariage devrait l’empêcher ! Le mouvement de soutien se sonne « Les amoureux au ban public » : http://amoureuxauban.net/