Sans parti pris particulier pour elle ou d’autres, mais avec un très fort à l’encontre du prédécesseur de l’une ou de l’un, j’estime qu’Éva Joly fait jusqu’à présent la meilleure campagne de toutes et tous les candidats. Certes, il y a bien eu un peu de cafouillage avec cette histoire de fête nationale. Mais effectivement, il faudrait « ajuster les radars ». Après le discours de Roubaix, Éva Joly pourrait remonter dans les sondages, soit récupérer au moins les voix écologistes plutôt disposées à voter utile.

Sérieusement, non, sans rire, je trouve qu’Éva Joly fait la meilleure campagne jusqu’à présent… du moins selon mes critères. J’admets, Mélenchon, voire Marine Le Pen, pour chauffer une salle, c’est autre chose. Pour rire jaune, ce devrait être Sarkozy, mais il est quand même un peu prématuré d’en parler avant la fin du mois. Le candidat-président n’a pas encore monté l’estrade du président-candidat (car l’argument majeur, c’est de dire que sous son uniforme de candidat, il reste président, plus qualifié, plus expérimenté, blablabla…).

D’accord, j’ai apprécié qu’Éva Joly, a Roubaix, ait entamé ses déclarations par une note d’humour sur son accent en singeant celui d’une improbable Nordiste ch’ti. Mais, tant bien même Marine Le Pen parviendrait à me faire éclater de rire en brocardant Sarkozy, les petites phrases et les effets faciles, je n’en ai rien à cirer.
D’accord, j’admets très bien que Bayrou, en coulisses, mobilise vraiment davantage ses militants, ses partisans.

Ils font du porte-à-porte, y croient vraiment, elles et ils y vont, sur le terrain. Pas tous les terrains, mais en tout cas mieux que les écolos.

Posée, argumentée

Mais pour l’argumentation sans tomber dans le spectacle, chapeau. Ses arguments portent. Sans jamais hausser vraiment la voix, elle a réglé son compte au matelot de Vincent Bolloré, au copain de N’Guesso, « mal placé pour nous parler des valeurs ». D’accord, Fessenheim est placé sur une faille et on ne peut jamais rien exclure (d’ailleurs, pour les rotatives de L’Alsace, on s’était vraiment posé la question d’un tremblement de terre… et quand vous connaissez la précision des réglages). Mais ce n’est pas un argument que savent entendre les électeurs. C’est de l’interne, jusqu’à… Je ne veux même  pas y penser (à une catastrophe nucléaire en Alsace). En matière de nucléaire, tout est prévisible, statistiquement, sur le papier. Au réel, à un ou deux siècles, ou même bien moins, rien n’est prévisible.

Mais nous avons enfin une candidate qui s’adresse à ses interlocuteurs en parlant d’abord à leur intelligence. Avec, dans son style, un charisme certain. Elle est crédible lorsqu’elle les invite à réfléchir avec elle. Alors, je sais, les Guignols de l’info sont beaucoup plus drôles et le pitre qu’ils brocardent le plus est parfois captivant : son numéro de charlatan est tellement rôdé qu’on peut parfois difficilement se retenir d’applaudir, ou de se taper sur les cuisses, entre les huées.

Ce n’est pas lui qui évoquerait une « fossilation (sic) de la vie politique ». Non pas parce que des néologismes douteux (ou très hasardeux) lui fassent peur, mais en pensant que « fossilisation », c’est un vocable qui passe par-dessus la tête du gogo (pour des discours de président, il pourrait l’employer, en tant que candidat, faut racoler au plus bas).

À quand le verbatim ?

Malheureusement, les écolos cèdent à l’air du temps, et au lieu de nous prendre les propos de Joly en sténo, et en faire une retranscription littérale, ils nous collent une vidéo Dailymotion. J’aurais aimé pouvoir la « lire » à tête reposée, j’ai été obligé de l’entendre jusqu’au bout (cela valait la peine, pour le style, et se persuader qu’au moins, elle, croit à tout ce qu’elle raconte).

Sans parti pris, selon ce que j’attends d’abord d’un, d’une future présidente, jusqu’à présent, elle me semble la meilleure d’entre tous. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’elle serait la meilleure en exercice, pour des tas de raisons ; mais pas forcément pire qu’une ou un autre. Bon, j’aimerais bien qu’elle détaille les moyens de rémunérer les artistes et les créateurs sans nourrir les multinationales qui veulent juguler l’échange de logiciels ou de médias via l’Internet. Bien sûr, il est maladroit de prêter le flanc à la critique d’une régularisation générale des sans-papiers. Ce serait difficilement applicable. Elle le sait, aurait gagné à préciser son propos. Sinon, je ne vois pas la faute, autre que médiatique. Trop de sérieux, pas assez de piques rigolotes, de petites phrases ciselées. Et alors ?

 

On en est au point que, pour elle comme pour d’autres, l’ennemi ce n’est pas Hollande ou Bayrou ou même Marine Le Pen, mais Sarkozy. Soit la totale détestation qu’inspire Sarkozy, qui porte à ce vote utile que Mélenchon combat. Je suis entouré de gens qui estiment – pour le moment, car si Bayrou montait vraiment dans les sondages, ils se raviseraient peut-être – que c’est dès le premier tour qu’il faut créer les conditions de l’envoyer paître. Quitte à voter à l’encontre de ses convictions ou penchants. Donc, Hollande ou Le Pen. Oui, Le Pen pour des gens plutôt vraiment de gauche, oui, Hollande pour des gens qui préféreraient pouvoir voter Villepin, Dupont-Aignant, Bayrou, &c., mais même plus Juppé ou Fillon ou quiconque qui soit allé la gamelle.

Dany s’est peut-être gouré

Et cela, à mon sens, au pifomètre, c’est irrattrapable. Mais elle se rattrape, Joly. Dans les dubitatifs, il reste Cohn-Bendit, qui lui déclarait par Libération interposé : « si tu te retires, ça crée un vide ; si tu continues, tu es dans le vide ». Financier, oui. À moins de 5 %, cela frôle la cata et les militantes et militants verts devront fouiller leur porte-monnaie pour assurer le minimum vital campagnard pour les législatives et les buffets qui vont avec (difficile de dire à la presse d’apporter ses gourdes et ses sandwiches… quoique…).

De toute façon, qu’est-ce d’autre, le but de la campagne présidentielle de Joly ? D’abord, se faire entendre, pour préparer l’avenir. À long terme. Soit se faire écouter de relais d’opinion susceptibles de réfléchir (pour le magnat beauceron de l’agriculture, de toute façon… mais peut-être de l’un ou l’autre de ses enfants). À court terme, bien sûr, il s’agit de s’assurer des sièges de députés. À moyen terme, d’autres, territoriaux.
Elle parlait dans une région d’écolos en vue embourgeoisés, d’élus un peu trop « réalistes » et gestionnaires, dont le bilan qui va avec cette attitude et ce positionnement, allez, disons, « de classe », pourrait porter l’aile gauche verte à se prononcer pour Mélenchon. Mais, nationalement, c’est autre chose. Elle commence à bien faire son boulot. Évidemment, c’est peut-être gênant pour certains arrangements de couloirs : mieux vaudrait qu’elle enthousiasme plutôt que de renforcer les convictions et la détermination des militant·e·s qui ne cherchent pas d’abord à se faire élire.

Se prononcer nettement pour l’adoption par les couples gays ou lesbiens, c’est bien. Ce n’est pas de la demi-teinte. On peut être pour ou contre (je connais des gays contre, mais peu ou pas de lesbiennes). De toute façon, c’est un pari.
Non pas pour ou contre les lesbigays, mais pour l’enfant. On peut raisonnablement parier qu’un couple adoptif homo réussira mieux qu’un mauvais hétéro, non ? Le principe de précaution à l’endroit des hétéros est assez drastique pour qu’on puisse l’envisager de même pour les autres, à mon humble avis (je ne suis pas psy, lesquels sont partagés, et puis, les psys ne sont pas plus futés ou scientifiques que les économistes, que je sache d’expérience notoire, publique).

Présidente pas si potiche

Dans l’hypothèse farfelue où elle parviendrait au second tour face à, mettons, Bayrou ou Hollande, je ne serais pas sûr de voter pour elle. Quoique… Tout dépend de la façon dont vous concevez la fonction présidentielle et une cohabitation. Si elle en était réduite à ne pouvoir assurer que le ministère de la parole, ce serait déjà cela de pris.

Contrairement à Laurent Decotte, de La Voix du Nord, je ne pense pas qu’elle manque d’énergie. Avec lui, je pense qu’elle est « posée ». Doublement. Il attribue évidemment sa perception mitigée à « l’assistance ». Eh, celle-là, on (et je) l’a faite avant toi. Même un micro-trottoir ne reflète pas le sentiment d’une salle de plus de mille personnes. Mamère et Voynet ou Blandin semblent avoir compris : « ils s’habitueront » (militants, électeurs, abstentionnistes, &c.).
Il serait d’ailleurs grand temps de s’habituer à un vrai débat politique, et de se déshabituer de sa caricature « spectaculaire et marchande » si bien incarnée par le prédécesseur de l’un ou par le père de la fille (Marine Le Pen) naguère. Joly parviendra peut-être par contribuer à ce que la candidate frontiste se montre un peu moins bateleuse et beaucoup plus posée. Ou que Hollande ne tente pas le coup d’un Grenelle-bis sur l’environnement qui ne l’engagerait à rien, comme le précédent.
Si elle ne parvenait qu’à ce type de résultat, ce serait un mieux, et alors, oui, sa campagne serait justifiée et on pourra dire, qu’on l’apprécie ou non par ailleurs, qu’on ait ou non l’intention de porter sa voix sur elle : « Bravo Éva Joly ».