Le passage d’un management social à un management humain semble aujourd’hui particulièrement d’actualité. Pour Bertrand Martin, ancien PDG de New Sulzer Diesel, le management social "repose sur des valeurs d’équité, de solidarité et de justice. Cela passe beaucoup par l’idée de partage et donc par la rémunération, tout ce qui a trait à l’argent [étant] d’avantage pour [lui] de l’ordre du social". Alors que la dimension sociale renvoie ici à une forme de solidarité via une assistance financière, le management humain renvoie pour Bertrand Martin à une forme de confiance qui, placée dans l’homme, lui permet de développer ses propres ressources et talents (1).


Tout membre d’une entreprise travaille en effet pour percevoir un salaire, mais pas seulement. La pyramide d’Abraham Maslow en constitue une bonne illustration. (Illustration de la pyramide de Maslow au lien suivant).

Elle résume les cinq besoins essentiels dans lesquels l’individu trouve sa motivation. Une fois que les besoins de base sont satisfaits (logement, alimentation, sécurité), l’individu aspire à juste titre à sa réalisation personnelle au travers de la satisfaction de ses besoins d’appartenance, de reconnaissance et finalement d’accomplissement. Cette hiérarchie des besoins doit être respectée :  un employé dont la sécurité de l’emploi n’est pas satisfait n’aspire par exemple en aucun cas au sentiment d’appartenance à son entreprise ni à l’amélioration de ses performances. On ne peut que penser à la récente vague de suicides chez France Telecom, Renault ou Thales[2]. D’après Novethic, "Les pertes de qualité, l’absentéisme et le turnover résultant du stress représentent entre 3 et 4% du PIB des pays industrialisés, selon une étude du BIT. En effet, on estime par exemple que le stress serait à l’origine de 50 à 60 % de l’ensemble des journées de travail perdues !"[3]   La satisfaction de ces besoins, qui peuvent être qualifiés de "nouveaux besoins" au sein de l’entreprise, ne relèvent cependant pas de la philanthropie. Elle se traduit très concrètement en termes de rentabilité économique. Les membres de l’entreprise qui ont les moyens de poursuivre un développement personnel présentent une motivation et donc une productivité accrue, un attachement renforcé à l’entreprise se traduisant par un plus faible turn over et une meilleure acceptation des changements pouvant survenir dans l’entreprise. A l’instar des salariés qui ont sauvé leurs usines en Argentine suite à la crise de 2001, de tels cas de figure se présentent également en France. Ainsi la Cepam, une menuiserie de l’agglomération niortaise filiale d’un groupe espagnol, a été transformée par ses salariés en société coopérative de coopération en janvier dernier. Les salariés, impliqués dans leur entreprise et attachés au maintien de leur savoir-faire et de leurs emplois, ont ainsi sauvé leur outil de travail en devenant propriétaires de la menuiserie[4].   On voit ainsi émerger une génération de "nouveaux patrons", plus à l’écoute de leur salariés. Citons l’exemple du groupe de produits bio Léa Nature, qui explique favoriser un management non plus pyramidal mais participatif "Les salariés peuvent ainsi échanger avec les délégués du personnel, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et aussi, lors de permanences mensuelles, avec les ressources humaines."[5] Antoine Riboud l’ancien patron de Danone avait été en France un précurseur en la matière. Un livre récent souligne qu’il avait compris « la nécessité de prendre en compte la dimension humaine de l’entreprise pour assurer son efficacité économique, la concertation avec les partenaires sociaux, l’expression du personnel, le dialogue avec les acteurs extérieurs, la réduction du temps de travail négociée en contrepartie d’améliorations de la productivité (6)… ». Son fils Franck Riboud semble avoir repris le flambeau avec des conceptions similaires. Cette approche illustre bien les théories de Crozier. Celui-ci soulignait l’importance essentielle de l’humain dans la performance des organisations et le rôle fondamental de l’écoute dans les organisations[7]. Pourtant, les grands patrons sont rares à s’exprimer clairement dans ce domaine. L’un d’eux, Eric Jacquemet, PDG de TNT Express France, une des principales entreprises de messagerie française, n’a pas hésité, lors d’une grève, à prendre position en faveur des revendications salariales de ses employés[8]. Il expliquait dans les colonnes de La Tribune que « la convention collective (ndlr du métier de transporteur) est, sur certains aspects, en dessous des minimas légaux". Pour Eric Jacquemet des conditions de travail satisfaisantes sont synonymes de  performance pour l’entreprise. Pour cela, il croit à la formation tout au long de la carrière professionnelle et au développement des hommes. Peut être que son parcours atypique pour un grand patron peut expliquer cette approche de l’humain[9]. Eric Jacquemet est parti de la base comme commercial pour gravir ensuite tous les échelons de la société jusqu’à en prendre la tête. Un article récent oppose les patrons financiers à ceux qui, tout comme Eric Jacquemet, ont commencé au contact des clients, c’est-à-dire pour paraphraser Crozier à l’écoute des besoins d’autres hommes[10].  

Le management humain semble donc avoir le vent en poupe. Il se traduit simplement par « l’écoute, la confiance, la reconnaissance[11] ». Les entreprises, quelle que soit leur taille, s’intéressent à ces nouveaux modèles de management, reconnaissant la valeur du capital humain de l’entreprise. Le palmarès international "Best Workplaces" suit cette tendance. Il vise à déterminer "les entreprises où les salariés sont les plus heureux de travailler" au moyen de questionnaires adressés aux salariés. Ces questionnaires "cherchent à déterminer des valeurs phares : la confiance que les salariés ont en leur encadrement, le sentiment de fierté et la convivialité", la "qualité des relations que les salariés ont avec l’encadrement, leur entreprise et entre collègues" sont également prises en compte[12]. Après Google en 2008, W. L. Gore & associés a cette année remporté le premier prix[13]… Peut être que la crise financière nous aura permis de comprendre que le capitalisme fonctionnait sur des fondamentaux simples dans lesquelles l’homme avait une place centrale[14]. On se rend même compte après coût que les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise sont celles qui précisément avait placé le développement des salariés comme une valeur forte au lieu de se borner à piloter avec des indicateurs financiers.

 

Références

[1] Bertrand Martin, propos présentés par Laville E., L’Entreprise Verte, Editions Village Mondial, 2ème édition, 2004, pp284-285

[2] http://www.francesoir.fr/social/2009/10/30/suicide-stress-travail.html

[3]http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/ressources_humaines/conditions_de_travail/comment_gerer_risques_psychosociaux/121244.jsp

[4]http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/ressources_humaines/conditions_de_travail/quand_salaries_sauvent_leur_entreprise/119689.jsp

[5]  http://www.eco-entrepreneurs.org/fr/component/content/article/37-accueil/91-remettre-les-hommes-au-coeur-de-lentreprise.html

[6] Labasse Pierre, Antoine Riboud Un patron dans la cité, Le Cherche Midi, 2007.

[7] http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/crozier.html

[8] http://www.latribune.fr/entreprises/services/transport-logistique/20091007trib000430710/eric-jacquemet-pdg-de-tnt-express-france-il-faut-revoir-la-convention-collective.html

[9] http://www.latribune.fr/carrieres/carrieres-salaires/20091029trib000438352/les-autodidactes-une-gestion-differente-des-ressources-humaines-.html

[10] http://www.centpapiers.com/les-patrons-commerciaux-un-remede-a-la-crise/10742/ 

[11] http://www.famillechretienne.fr/archives/archive/xavier-grenet-un-management-humain-est-possible-_t51_s88_d54138.html

[12] http://www.super-rh.com/magazine/missions-cles/relations-sociales/cid3672-ces-entreprises-ou–il-fait-bon-travailler.html

[13] http://www.greatplacetowork.fr/best/list-fr.htm

[14] http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-responsabilite-sociale-de-l-64675