Le DSKagate, l’affaire DSK, le sort de Nafissatou Diallo ? Bof, bof, et re-bof ! Déjà de l’histoire ancienne. Pas vraiment car les prolongations de la confrontation Strauss-Kahn, Dominique, contre Diallo, Nafi, soulèvent quelques problèmes de société et même, au-delà, de sociétés. Un exemple ? Nafi Diallo serait devenue la honte de la Guinée et de l’Afrique. Et ce n’est pas un Jean-François Kahn qui vous le dit, mais la voix même des opprimés, la « Voix des sans voix » d’Afrique en personne qui le clame. Honte, honte, honte sur la soubrette qui n’a pas su tenir sa langue et couvre la Guinée et l’Afrique d’opprobre. 

Je renonce à vous transcrire le verbatim des opinions, préjugés, présupposés et sous-entendus de dame Sano Dossou Condé, du Rassemblement du Peuple Guinéen, qui soutient Anne Sinclair dans sa terrible épreuve et pointe du doigt Nafi Diallo. C’est une long et complaisant entretien diffusé par Ivoir TV (et repris par YouTube) qui vaut vraiment la peine d’être écouté. Vous avez récriminé contre la complaisance dont les médias français auraient fait preuve à l’égard de DSK, de la classe politique et possédante toute entière ? Voici le contre-exemple parfait, avec une journaliste à la limite de l’obséquiosité saluant une féministe (si !), version solidarité mes sœurs avec cette digne Anne Sinclair, qui s’écrie haro sur la Peul Diallo.
Cela donne à peu près cela : Nafi Diallo souille toute l’Afrique, bien au-delà de la Guinée, en ne la fermant pas après sa rencontre avec DSK, un homme formidable, qui a tant fait pour l’Afrique (ce qui se discute, mais, de fait, divers dirigeants de pays d’Afrique appréciaient DSK). Elle est musulmane, majeure, vaccinée, donc, elle doit taire tout, surtout quand cela fait tant de peine à la digne Anne Sinclair, à la famille de Dominique Strauss-Kahn, &c. Le viol est indicible, donc, on n’en parle pas. D’ailleurs, elle fréquentait peu la mosquée, se mêlait peu aux responsables de la communauté guinéenne, de même que son entourage (le « brother » présenté tel un frère de sang), si ce n’est d’ailleurs les Peuls de Guinée. Cela prouve bien qu’elle aurait pu être manipulée : c’est du moins la version (voire l’aversion à son égard) de Doussou Condé.

On en est pas trop loin, au fond, en lisant certaines réactions à l’article de Mediapart qui a rencontré une ancienne collaboratrice de Balkany se disant excédée par sa lourde drague et ses sollicitations sexuelles récurrentes. Marie-Claire Restoux n’en pouvait plus de Patrick Balkany (voire de sa femme, Isabelle, qui lui passait tout), elle le confie à Marine Turchi.
Les commentaires sont devenus plus mesurés au fur et à mesure, mais celui-ci résume le ton général : « Et après certains s’étonnent que les femmes hésitent à s’exprimer quand elles se font harceler. Quand on lit et  entend les réactions de certains, on peut comprendre. ».

Cela semble dépasser largement le côté riche, juif (là, entendez blanc aussi), connu contre pauvresse musulmane anonyme qui donne matière à éditoriaux distingués. Là, avec Doussou Condé, je ne sais si c’est Malinkés contre Peuls ou pas. Mais clairement femme mariée et mère d’enfants de bonne famille pas trop malaisée contre veuve mal entourée et sans vergogne (mauvaise musulmane), aux fréquentations douteuses, fille « de rien ».

Le plus fou, du moins à mes oreilles de vieux mâle blanc laïcard européen, c’est l’affirmation par Doussou Condé que Nafi Diallo, en portant plainte, a manifesté l’adhésion aux valeurs américaines (et au-delà, occidentales), donc trahi les valeurs africaines musulmanes. Honte sur elle, qui rejaillit sur toutes et tous en Afrique. Tel quel !

Je frémis en pensant à ce que pourraient en tirer les islamophobes compulsifs et les xénophobes faisant commerce d’une pureté nationale, d’une identité gauloise ou teutonne ou autre. Guéant a bien raison : ces gens là ne sont pas comme nous, et si on commençait par leur laisser éduquer leurs filles à la maison, les statistiques d’échec scolaire s’en porteraient mieux. Pour les garçons, un apprentissage un peu plus poussé pour en faire une main-d’œuvre légèrement plus employable devrait suffire. Car, là, avec Doussou Condé, c’est finalement la ségrégation au sein des sociétés des pays d’accueil qui est prônée. La juxtaposition des communautarismes. Mosquée et travaux ménagers pour les femmes de peu, mosquée (ou temple, ou église, ou on ne sait quoi) pour les femmes ayant pu s’élever dans la société et passer dignement à la télé.

À écouter Doussou Condé, qui reprend les sous-entendus de la thèse du complot (dans un genre mineur : des individualistes guinéens ou autres américanisés qui auraient manipulé une femme en rupture du ban communautaire, comme eux-mêmes),  on se demande si une bonne lapidation de Nafi Dialllo  ne laverait pas l’honneur des Africaines et des Africains. Les avocats de DSK n’auront même pas besoin de la rétribuer, Doussou Condé, elle prend les devants. Qu’en pense donc Claude Ribbe qui a créé un comité de soutien à Nafi Diallo pour dénoncer au passage sexisme, racisme et islamophobie ? Eh, là, qui est sexiste (voire raciste et islamophobe, je n’ai pas cherché à vérifier les opinions ethniques ou religieuses de Doussou Condé) ? Ce ne serait pas une Africaine ?

Bien évidemment, l’Afrique toute entière est loin d’avoir réagi comme Claude Ribbe ou Doussou Condé. Les opinions exprimées sont fort contrastées (voir les commentaires sur divers sites africains). L’auteure Calixte Béyala, beaucoup moins tendre à l’égard de Dominique Strauss-Kahn, a été aussi approuvée par des Africaines et des Africains, s’attirant néanmoins parfois les mêmes reproches que ceux adressés à Claude Ribbe (soit une récupération pro domo, publicitaire).
Doussou Condé a créé une ONG Justice et Paix pour les femmes. On ne sait trop combien il peut y avoir de telles ONG (similaires, pour femmes, hommes, enfants, voire pour la protection de la faune). Adama-Rabi Youla  dresse un parallèle entre ceux et celles qui vivent de charité publique et Nafi Diallo qui trime pour subsister avec son enfant. Je n’en établirai pas entre des associations communautaires (pas toutes) de certaines banlieues françaises qui se présentent en tant représentatives devant les pouvoirs publics, parfois trop heureux d’acheter des électeurs et cette ONG de Doussou Condé. Cela donnerait quelque chose comme : Quoi, Monsieur l’adjoint au maire qui est si bon avec nous t’a troussée et tu voudrais aller le dénoncer ?

Cela m’évoque ces associations caritatives confessionnelles qui aident les femmes à ne pas avorter puis peinent à leur obtenir une place en crèche ou un petit boulot très mal rémunéré assorti ou non d’une carte de séjour puis finissent par se désintéresser et de la mère, et de la gamine ou du gamin. Comme quoi, l’affaire Strauss-Kahn est finalement moins anodine qu’il n’y paraît (hâtivement, oralement, maladroitement) à un Jean-François Kahn (dont je déplore la gaffe, mais aussi ses conséquences disproportionnées à la suite d’excuses publiques tout à fait recevables). C’est vraiment ce qu’on appelle un « fait de société ».
Le DSKgate, c’est à présent Luc Ferry qui relate qu’un « ancien ministre s’est fait poisser lors d’une partouze avec de petits garçons. ». C’était à Marrakech. Comme pourrait le dire Jack Lang (qui a raison de trouver la polémique sur son propos maladroit exagérée : l’expression « mort d’homme », dans le contexte, pouvait être recevable), aucune gamine marocaine ne s’est retrouvée en cloque et oubliée derrière soi, vouée à un sort peu enviable, peut-être (litote ; je ne sais déjà, attendons la suite) plus tragique que celui de DSK.

Cette affaire a même des implications qui révèlent de manière plus crue de vrais clivages. Ainsi, entre mouvements et mouvances féministes (l’américaine, la française, par exemple). Le groupe Les Tumultueuses s’en prend aux féministes traditionnelles du style d’Élizabeth Badinter. Cela donne : « car quand les législateurs se serrent les coudes pour voter, comme un seul homme (encore), des lois racistes et sexistes qui pénalisent et criminalisent surtout les classes populaires, ils ne sont jamais « émus »du sort de ceux qu’ils discriminent ou qu’ils envoient dans des prisons surpeuplées bien françaises dont on ne sort pas en payant 4 millions de caution mais où l’on crève en silence même quand on est innocent mais gravement présumé coupable. ». Elles n’ont pas « tout faux », comme on dit. Sauf que, même minoritaires, même ministre comme Rachida Dati, ce mystérieux homme seul est parfois plusieurs femmes aussi. Il peut s’appeler Doussou Condé, cet homme seul. Ne faisons pas en revanche du cas Doussou Condé une généralité, ni des propos de J.-F. Kahn ou de Jack Lang la quintessence de la résurgence du machisme de nouveau décomplexé. 

De plus, essayons de comprendre (comprendre n’est pas partager ou approuver). Un général égyptien a justifié que des femmes arrêtées place Tahrir au Caire aient été soumises à des tests de virginité. D’un côté, il s’agissait d’établir que, si elles avaient été vierges et sortaient de la détention vierges, elles ne pouvaient avoir été violées. De l’autre, évidemment, le fait qu’aucune (selon ce général) ne se soient révélées vierges impliquait que, bien sûr, des femmes capables d’aller dormir à proximité d’hommes étaient suspectes (voire des prostituées). On se souvient qu’une journaliste avait été violée place Tahrir et qu’elle n’avait dû la fin de son calvaire qu’à l’intervention de femmes qui campaient sur la place, entre elles, à l’écart des manifestants masculins. En fait, Amnesty International a trouvé bon de communiquer sur le fait que le général indiquait implicitement que «seules des vierges pouvaient être violées. »  (This general’s implication that only virgins can be victims of rape is a long-discredited sexist attitude and legal absurdity). Or, dans les propos de Doussou Condé, implicitement, on retrouve ce présupposé : Nafi Diallo n’est plus une enfant, partant…
Sous-entendu aussi : Nafi Diallo s’expose volontairement à rencontrer des hommes en faisant un tel métier. Un argument qui n’aurait pas déparé les propos de table des bonnes familles chrétiennes de la première moitié du siècle dernier (en présence ou non de la jeune Bretonne ou autre passant les plats). La condamnation des mœurs américaines de la part de Doussou Condé va bien au-delà de la critique du système judiciaire. Pour elle, il semblerait que la place d’une femme (et d’une jeune fille encore vierge, partant), au travail, doit systématiquement être entre femmes, à l’écart des hommes (ou mieux encore, au foyer, devant peut-être une machine à coudre pour mettre du beurre dans les épinards du ménage). Ce qui n’empêche aucunement Doussou Condé de se déclarer féministe. Ce type d’attitude pose évidemment problème et suscite le débat, notamment au sein des mouvements féministes des sociétés dites occidentales confrontés à cette vision au quotidien (d’où les controverses au sujet du port du voile en France). Ce n’est pas qu’en elle-même que l’affaire DSK est révélatrice, mais aussi de par ce qu’elle révèle, fait (ré)émerger. 

Cette affaire aura aussi de profondes et durables répercussions sur les médias. Au passage, une que je plains sincèrement, c’est la jeune journaliste d’Ivoir TV qui tendait si complaisamment le micro à Doussou Condé. Elle a sans doute appliqué platement ce qu’on lui avait inculqué de faire ; ce que pratiquement tous les journalistes de la télé française de naguère pratiquaient avec une servilité bien rodée :  mettre en valeur le bon interlocuteur, ne s’en prendre qu’à celui ou celle qui ne plaisait pas au pouvoir (patronal ou gouvernemental). De là, on est presque passé à l’inverse : invité-e sans cesse interrompu-e, questions vachardes systématiques, polémiques disproportionnées. Là, la jeune journaliste a laissé Doussou Condé s’enferrer elle-même, et ce n’est finalement pas plus mal. Si le DSKgate nous incitait à donner une autre mesure, une autre portée, et surtout différemment, aux événements, il restera peut-être mémorisé tel un mal pour un bien. Utile pierre de touche ou roche tarpéienne ? L’avenir l’établira.