L’expression est de Caroline Fourest : l’affaire DSK va faire assurément surgir de toutes parts des « torrents de boue ». Elle a tort et raison. Tort, puisque malgré tout ce qui a pu être dit sur Dominique Strauss-Kahn, seuls deux éléments incriminants antérieurs sont remontés (affaire Banon, allusion à une hypothétique femme de chambre mexicaine). Raison puisque, après la sortie de Luc Ferry à propos d’une « partouze » à Marrakech, le nom de Jack Lang est évoqué. Comment traiter la rumeur ? En la laissant rampante ou, au contraire, en l’exposant pour la faire cesser ?

À propos de Dominique Strauss-Kahn, tout et son contraire, quant à ses relations passées avec les femmes, a été dit, écrit, répercuté. Il s’est trouvé des femmes pour témoigner de relations consentantes satisfaisantes pour elles, d’autres pour laisser entendre qu’il aurait pu se livrer par le passé à des faits similaires ou proches de ce dont la justice américaine l’accuse. Puis, plus rien. Le déferlement de témoignages ne s’est pas produit, et il convient de le relever.

C’est à présent au tour de Jack Lang d’être mentionné dans l’affaire de ce qu’on peut dénommer la « rumeur de Marrakech ». Erreur sur la personne, affirme-t-il, en répliquant qu’il poursuivra quiconque laisserait penser qu’il aurait pu être visé par les propos de Luc Ferry. 

Avec la rumeur, comme celle d’Orléans, décrite par Edgar Morin, il y a toujours du trop ou du pas assez. Exagération souvent, d’un côté, minoration parfois timorée de l’autre. De ce point de vue, Jack Lang a fort bien fait de prendre les devants : une rumeur qui couve peut tourner à la tumeur. Cela vaut dans tous les milieux et circonstances, en particulier dans le monde du travail ou la sphère politique, là ou la rumeur est trop fréquemment entretenue, instrumentalisée. Thierry Desjardins, ancien du Figaro et de France-Soir, ancien juriste ayant opté pour le journalisme, a certainement retourné plusieurs fois sa plume dans l’encrier (virtuels) avant de consigner ce qu’il lui semble salutaire d’exprimer. Il a d’ailleurs fini par se raviser : son billet n’est resté en ligne que quelques heures.

Ce qui semble, avec le recul, une bourde, voire une fanfaronnade, de Luc Ferry, peut être aussi analysé d’un point de vue formel. Si, au gouvernement, au moins au Conseil des ministres, tout le monde savait, alors tout le monde se serait concerté pour ne rien dire. Ce qui semblerait d’ailleurs normal si l’incident devait être ramené à des proportions factuelles : l’esclandre non liée à des faits répréhensibles autres que ceux tombant sous le coup d’une simple amende, et non un délit. Bien sûr, il serait peut-être souhaitable que tout dépassement de vitesse, même minime, d’un membre du gouvernement, soit rendu public par le ministre de l’Intérieur lui-même. Si les faits sont bien ceux évoqués par Luc Ferry, il s’agit de crimes : toute  personne ayant eu à en connaître, soit du policier à son souverain, le roi du Maroc, tout ministre, secrétaire d’État, chef de cabinet, diplomate, &c., seraient donc amenés à comparaître, sauf en cas de prescription des faits. Sa Majesté le roi du Maroc condamné in absentia par contumace ? L’un des éléments constitutifs des rumeurs d’une certaine ampleur, c’est que, forcément, les notables savent, avant même la plèbe, qui découvre.

On se remémore bien sûr l’affaire Dominique Baudis, accusé un temps de fréquenter les milieux de la prostitution toulousaine. Là, les médias avaient été accusés de tomber dans l’excès inverse, soit de trop complaisamment relayer des accusions fantaisistes. Comme quoi, avec la rumeur, quoi qu’on fasse, on s’expose à des critiques parfois contradictoires, voire totalement opposées.

Dans l’histoire contée par Luc Ferry, on ne sait plus que penser. L’incident de la Mamounia avait été rapportée en avril 2006 par Le Canard enchaîné. Il se serait agi d’une scène de ménage entre le ministre et son épouse, d’où le tapage nocturne. Pourquoi ? Le ministre, fut-il supposé à l’époque, aurait été surpris par sa femme alors qu’il se trouvait en compagnie d’une seule autre personne. La « partouze » invoquée par Luc Ferry semble se réduire, si c’était bien à cet épisode qu’il fit allusion, a de fort étroites proportions.

Alors quoi ? Au point où nous en sommes, il appartient à Luc Ferry de s’exprimer plus clairement. Pourquoi ? Parce que tout ancien ministre ou presque (tant sont nombreux celles et ceux qui, en fonctions ou non, en privé ou lors d’une visite officielle, à avoir séjourné à Marrakech) peu rester l’objet de rumeurs infondées. On va évoquer, sans preuve, sans rien d’autre que des supputations parfois dénuées de tout fondement, de multiples noms. Pourquoi pas celui de Michel Jobert (décédé en 2002), du simple fait qu’il fréquentait souvent le Maroc ? Le nombre des ministres de la cinquième République ayant séjourné au Maroc doit dépasser la cinquantaine (estimation basse). Luc Ferry va-t-il laisser toutes ces personnes se voir durablement regardées de travers ?

Luc Ferry a fait depuis machine arrière : « je n’ai aucune preuve, ni aucun fait précis… ». C’est un peu court.
D’un autre côté, il faut en quelque sorte remercier Luc Ferry. Sa mésaventure médiatique vaut mise en garde. De manière beaucoup plus mesurée que celle ayant visé Dominique Baudis. Les professionnels, des médias, de la communication et de la politique, ne sont pas plus que les non-professionnels à l’abri de dérives. Mais celles des uns sont fortement répercutées, moins celles des autres, sauf si, désormais, elles donnent lieu à un formidable vrombruissage (buzz). Il y en aura d’autres, des rumeurs, et des hoaxes (canulars, fausses infos plus ou moins bien intentionnées, pas toujours drôles, d’ailleurs). Autant être doublement conscient de leur existence et surtout de leurs répercussions.

Ces répercussions ne sont d’ailleurs pas toutes néfastes. Si la rumeur de Marrakech tourne court mais que ses prolongements en matière de protection de l’enfance soient durables, ce qui semble être devenu à présent une bourde de Luc Ferry aura au moins eu des effets positifs.

Ce qui serait détestable, c’est de voir, en période électorale notamment, des rumeurs sciemment répandues. Si Luc Ferry croyait viser Jack Lang, cela lui servira de leçon : une rumeur peut se retourner non seulement contre soi-même, mais contre son propre camp. Or, c’est bien sûr abusif, c’est un phénomène d’amplification qui n’a pas lieu d’être. Souvenons-nous du fameux « la gauche n’a pas le monopole du cœur » de Giscard d’Estaing, fort bien placé, et comparons avec cet éphémère et récent « la gauche a perdu la bataille de la morale ». Luc Ferry, heureusement, ne représente pas toute la droite. Mais il est aussi le tenant d’une tentative de révision de l’histoire récente qu’il a mené à coups de généralisations et d’amplifications (à propos des conséquences de mai 1968, des politiques éducatives antérieures à son accession au ministère, &c.). Cela ne disqualifie pas tout son propos, chaque détail de ce qu’il a pu énoncer. Sachons aussi remettre l’incident à sa place. Pour maintenant, et surtout en vue de l’incident suivant.


Tout d’abord, mes félicitations pour ce « à la suite de… ». Suite à un nouveau communiqué pour nous faire savoir quelle fut la cause de l’épisode. La même que celle évoquée par le Canard enchaîné ?
On ne comprend plus très bien. C’est un peu comme l’emploi du temps de DSK. Luc Ferry souligne qu’il était au courant de « cette » affaire. Laquelle ? D’un autre côté, il semble qu’elle se soit déroulée antérieurement au passage de Luc Ferry au gouvernement.  Qui a quand même dû en toucher un mot à son ex-épouse. Mais peut-être pas. 

Selon Le Parisien, Luc Ferry aurait précisé et « assuré que cette histoire concernait de toute façon une époque bien antérieure aux années 2000. ». Si les faits sont prescrits, l’information du parquet de Paris ne donnera absolument rien. D’une certaine manière, Dominique Cantien aurait peut-être gagné à soutenir l’amalgame en commentant : Too much ado about nothing! (beaucoup de bruit pour rien, en somme).