La Droite forte, courant UMP animé par Guillaume Peltier, Camille Bedin et Gœffroy Didier, veut imposer l’embauche « de journalistes de droite » mais, attention, seulement « dans les chaînes du service public ». Pourquoi donc s’en tenir là ? Pourquoi pas des quotas partout ? Sur la base la plus favorable aux formations politiques dominantes, par exemple ? Car la proportionnelle intégrale, ce serait la chienlit… De plus, la Droite forte veut que les syndicats vivent des seules « cotisations de leurs adhérents ». Individuelles, bien sûr. Et identiques pour les syndicats patronaux, ouvriers, ou de la fonction publique ? Bizarrement, pourquoi ne pas appliquer la mesure aux partis politiques, dont, bien évidemment, l’UMP.

– « Bonjour, je recherche un emploi dans votre chaîne de télévision, je suis journaliste… »
– « Ah, cela tombe bien : justement j’ai un déficit ; il me faudrait un identitaire suprémaciste blanc »
– « Euh, c’est pour quand ? Immédiatement ? Là, mon dernier poste, c’était sur le quota anarcho-éthylique paléo-situationniste… Il me faudrait une semaine pour me mettre au jus… »
– « Eh, coco, une semaine ? Faut être flexible ! Bon, allez, trois jours… ».

Tout d’abord, un journaliste peut-il être « de droite » ? Ou « de gauche » ?

Bien évidemment, non, puisqu’il doit s’efforcer de « tendre vers l’objectivité ».

Ce qui fait des journalistes de quasi-apolitiques.

On connait le dicton : « apolitique donc… de droite ». Les choses sont évidemment plus complexes, mais la Droite forte n’est pas là pour faire dans le raffinement et l’équilibrisme dans le « rééquilibrage ». Bedin, Didier et Peltier viennent donc de sortir leur deuxième thème, soit l’idée forte nº 2 d’un « programme » ne devant qu’en compter dix, valant injonctions et commandements. 

Cela s’intitule, sans rire, ni même sourire, « Un nouveau pacte citoyen pour rendre exemplaire et transparente la vie politique, médiatique et syndicale ». L’AFP en a surtout retenu l’instauration de quotas dans les chaînes publiques et que les syndicats (patronaux aussi ?) ne devraient vivre que des seules cotisations de leurs adhérents. Mais mieux vaut s’en rapporter à l’original.

La Droite forte souhaite « libérer l’information et assurer la pluralité des sensibilités politiques dans les rédactions des radios et télévisions du service public en garantissant l’embauche de journalistes de droite. ». Première remarque, pourquoi dans le seul service public, minoritaire par rapport à l’offre radiophonique et télévisuelle.
Ensuite, ce mouvement opère une totale confusion entre journaliste, éditorialiste et billettiste. Les exemples donnés, soit Éric Brunet, Éric Zemmour et Élisabeth Lévy, qualifiés de « penseurs » et « journalistes » de droite, ne sont ni des penseurs (peut-être des songeurs… des documentalistes qualifiés pour opérer des synthèses convenant à leur lectorat ou auditorat), ni surtout des journalistes. La Droite forte veut mettre en pratique le journalisme à la Woody Allen (« un quart d’heure d’antenne pour les nazis, un autre pour les déportés et résistants, » en substance).
Bref, cela revient, pour transposer, à donner un temps de parole égale à, par exemple, Besancenot ou Poutou, et à Carl Lang (dissident droitier du Front national). Poutou poutouant son camp, et Lang Langeant ses partisans.
C’est en fait ce que l’on a déjà, à peu de choses près, dans ces vrais-faux et faux-vrais débats entre chroniqueurs censés exprimés ce qu’ils supposent que celles et ceux qu’ils sont censés représenter ont envie d’entendre. Au besoin, chacun force la note : se fait plus « à gauche » ou plus « à droite » qu’il ne l’est ou ne pense, histoire d’être conforme aux attentes.

Sous influence

La plupart des journalistes, de terrain, chargés de rubriques, y compris de rubriques scientifiques, sont pour la plupart, voire la vaste majorité d’entre elles et eux, des « éponges ». Constamment soumises à des influences diverses, à l’écoute de thèses et opinions divergentes, confluentes ou opposées. Cela n’empêche pas que la qualité d’écoute soit plus ou moins influencée par son propre passé, son milieu (et tout est fait pour que les mieux promus s’y confortent ou s’en détachent, selon les cas), ses sympathies. Lesquelles sont, au fil du temps, des reportages, fort diversifiées.

J’avais à la fois du respect et de la sympathie pour feu Bernard Stasi (centriste) et Alain Krivine (NPA), voire même pour de rares pittoresques candidats du Front national, tout en reconnaissant des qualités personnelles et de la sincérité à des élus locaux couvrant pratiquement tout l’éventail politique. Il en serait sans doute de même aujourd’hui si je n’étais passé de l’autre côté de la barrière, soit dans le journalisme de commentaire, en « desk » (assis derrière mon écran et trop peu au charbon et dans le cambouis du terrain).

Mais hors grève ou mouvement social long où on peut approfondir, autour d’un barbecue improvisé et un cubitainer de jaja de supermarché, l’approche de ses interlocuteurs, le journaliste est surtout gavé de vins d’honneur, de déjeuners ou dîners, d’invitations suivies de cocktails ou de libations à la « cantine » d’une assemblée quelconque (très bon souvenir de celles du conseil général de la Marne, de la région Champagne-Ardennes, plus mitigé du sempiternel vouvray de la mairie de Belfort, au final insupportable des pineaux blancs ou rouges surnuméraires des Charentes… splendides souvenirs d’un déjeuner privé chez Maxim’s et de dégustations de vieux champagnes en crayères…). Bien évidemment, mieux il est rétribué, et promu, davantage le journaliste est porté à se notabiliser, ce qui est d’ailleurs le plus souvent voulu par son employeur. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un Jacques Chirac vous appelant par votre prénom et vous tutoyant dès la toute première rencontre (on lui a soufflé le contenu d’une fiche) ou un Jack Lang vous passant la main dans le dos en vous gratifiant de souvenirs complices. Plus si affinités avec des ministres (ah, nostalgie : Alice Saunier-Seité ou Édith Cresson à leurs débuts…).

Pour ne pas prendre d’exemples trop proches et qui pourraient fâcher les ex-consœurs et confrères se targuant d’une totale indépendance, d’être imperméables aux diverses influences (la bonne blague), prenons un peu de distance en évoquant l’Institute of Ecomic Affairs ou le Free Enterprise Group britannique. Ces deux groupes « de réflexion » sont grassement rétribués par de généreux donateurs pour donner le la à des personnages politiques et aux journalistes supposés être les plus influents dans leurs sphères respectives. Aux bas-de-gamme, on fournit aussi des piges dans des magazines d’entreprises ou autres (rétribuées cinq fois mieux que d’autres), pour les mieux placés dans la hiérarchie, c’est animation de tables rondes (dites ménages) et invitations au large (îles paradisiaques ou yachts). L’Adam Smith Institute (qui annonce clairement la couleur) avait, sous la houlette de son fondateur, Madsen Prie, qui l’a fort décrit dans son livre Think Tank : the Story of the Adam Smith Institute, totalement inspiré, voire dicté, le programme soutenu par Margaret Tchatcher, relayé à la suite de rencontres, prébendes déguisées, par le staff de direction des Daily Mail, Times et Telegraph, mais aussi d’autres, moins connotés à droite. Il s’agissait de « coordonner les activités pour nous rendre davantage collectivement efficaces » pour la semaine suivant les rencontres forcément « informelles ».

Très peu de journalistes, sauf ceux décidés à franchir le pas, à favoriser leur carrière ou obtenir un siège électif, s’encartent où que ce soit. Mais ce n’est guère nécessaire. En cas d’accident, soit de chômage, les services de presse des administrations ou des entreprises sont accueillantes, en attendant des jours meilleurs. Ou c’est un éditeur ami qui, tout soudain, pense à vous pour un projet d’essai, de reportage, une biographie, un recueil d’entretiens.

Actuellement, avec le manifeste Britannia Unchained, c’est le Free Entreprise Group qui est à la manœuvre outre-Manche : la mobilité sociale doit redémarrer au profit des plus méritants, l’assistanat bride l’initiative et induit des coûts insupportables pour la collectivité, les bas salaires ne sont plus assez bas, les hauts toujours moins incitatifs. C’est chou pour chou ou presque le programme de Camille Bedin qui n’a absolument pas besoin d’être une « penseuse » pour pomper les argumentaires qu’elle incarne tout sourire.

Certes, elle (et ils, à la Droite forte) adaptent. Pas question d’avancer tout de suite, tel Ian Cowie, le chroniqueur financier du Telegraph, que le suffrage censitaire devrait être réétabli, soit que celles et ceux s’acquittant d’impôts dans les tranches intermédiaires et supérieures soient seuls à pouvoir voter. On y viendra peut-être, il faut laisser du temps au temps…

Comme l’exprime George Monbiot, du Guardian, la droite britannique (et la Droite forte française) met en pratique la « destruction créative ». Faisons table rase, comme le préconisait l’évadé fiscal Seillière et son acolyte Kessler, du passé, et recréons un univers ultra-libéral nouveau sur les ruines du « vieux monde » 

Désyntox

Les syndicats « doivent vivre des cotisations de leurs adhérents » (et non plus donc, des caisses noires de l’UIMM – l’union patronale de la métallurgie – ou de postes de direction dans des syndicats paritaires, des organismes mixtes, &c., et encore moins de subventions publiques).
Pour ainsi faire que le syndicalisme devienne « moins politique, plus soucieux des intérêts de tous les salariés ». Pourquoi donc les seuls salariés et non pas les petits patrons, les indépendants ? Tant qu’à faire, laissons les entreprises promouvoir les « bons syndicalistes ». Soit ceux issus de listes « de salariés libres », non affiliés à une centrale, pouvant conserver pour eux-mêmes tous les avantages liés à la représentation syndicale ? Et pourquoi donc plafonner à 5 000 le nombre de fonctionnaires « détachés auprès des syndicats ». Pour réserver ce détachement aux seuls syndicalistes policiers ? Soit les moins remuants tant que les augmentations de traitement et les jours de dispense de service tombent ?

Service militaire de trois mois

Pour faire bonne mesure, revoilà le service militaire… mais réduit à trois mois. Avec sans doute dispense pour les apprentis et les bons vendeurs ? Où loger tout ce monde ? Évidemment, ce n’est pas chiffré. La Droite populaire a-t-elle oubliée que, pour les classes 1950-1951, faute de pouvoir élargir ou créer des casernes, le service national se faisait au choix (renvoyez la carte, on vous appelle sous les drapeaux, ne le faites pas et oubliez…). Que les dispenses les plus farfelues furent généreusement octroyées ? En soi, l’idée, qui rappelle fort ce que soutenait Ségolène Royal en 2007, n’est pas plus farfelue que tout autre. Alors : chiche ?

Tout le monde applaudira la mesure visant à diviser par deux le nombre d’élus en France (mais bizarrement pas pour l’Assemblée nationale, tombant seulement de 577 à 400 sièges : le compte n’y est pas, tout comme pour le Sénat : de 348 à 250). Seuls les élus territoriaux (départementaux et régionaux) se verraient appliquer la règle. « Pour le reste (…) la seule limite, c’est la limite de confiance ». Là, il s’agit du cumul des mandats.

L’instauration d’une « dose de proportionnelle » serait une remise en vigueur. Quant à n’avoir que la moitié des candidats issus de la fonction publique, c’est un objectif très facile à réaliser : il suffit de faire pantoufler les bons fonctionnaires le temps qu’ils puissent faire campagne. Pour les artisans-commerçants, mis en avant par la Droite populaire, ce quota suffira à les convaincre d’abandonner leurs boutiques ou leurs ateliers : ils auront toutes leurs chances, c’est sûr.

Le reste tient du pipeau. Le délai de carence pour les fonctionnaires aligné sur celui du privé (donc, de trois jours) ferait économiser « des centaines de millions d’euros par an » à l’État. Ah bon ? Bah, un haut-fonctionnaire, sauf à être accidenté ou à l’article du trépas, n’est jamais malade, il est simplement dispensé de réunions ou de déplacements. Quant à endiguer « les arrêts de travail frauduleux dans la fonction publique », cette mesure risque d’aboutir à ce qui est constaté dans le privé : autant prendre deux semaines pour amortir la répercussion des fameux trois jours. Là, j’admets que je suis de parfaite mauvaise fois, car pas davantage qu’un autre, je ne saurais fonder cet argument. Mais l’important est de le présenter de manière à ce que les uns soient persuadés de sa validité, les autres trouvent de quoi le réfuter catégoriquement.
C’est un peu ce que souhaite la Droite forte en manière de presse : chacun force le trait, nul besoin de se livrer à l’examen des faits.

Pour les collectivités territoriales, ne pas remplacer un retraité sur deux conduit à sous-traiter les tâches à des officines (Peltier, à la tête d’une telle officine, en profite largement). Je n’ai pas trop compris à quoi servirait « l’abaissement du seuil d’effectivité du référendum local au tiers des électeurs inscrits. ». L’UMP avait fort mis en avant le référendum d’initiative populaire ; en fait, en cinq ans, on n’en a pas vu davantage que de class-actions (permettant à des actionnaires, petits principalement, d’ester en justice). On m’expliquera aussi ce que recouvre au juste l’instauration de pratiques d’ « open data ». Wikileaks généralisé au niveau local ? Les pratiques de bench-marking chez les agents du fisc (chacun se tenant à la culotte pour faire des redressements, chez les plus faciles à redresser par exemple) ? La fin du recours à des progiciels concoctés par des fournisseurs amis au profit de solutions Open Source ? 

Faire mousser

En balançant un « thème » par semaine, la Droite forte va réussir à faire parler d’elle comme le faisait Sarkozy en émettant quasiment une « idée » tous les trois-quatre jours, quitte à ce qu’elle ne soit suivie d’aucun effet. Cela fonctionne très bien (en trois-quatre heures, près de mille reprises, dont la présente).

Issu du Front national, passé un peu partout, Peltier est devenu un « spin doctor » (ou manipulateur d’opinion et de popularité). Avec la Droite forte, le but est de « gagner la bataille de la communication et de la pédagogie à droite ». En reprenant les ce que « disent les gens dans les bistrots ». Nous ne devons pas fréquenter les mêmes. La Droite forte reprenant la brève de comptoir « Pinault au poteau » ?  Vous y croyez vraiment ?

En fait, hors médias, l’impact de la Droite forte est fort limité. Deux à trois commentaires sur sa page Facebook par entrée, au mieux une douzaine ou une vingtaine, pas toujours favorables, des sites sans fréquentation importante, mais du on-dit, des « ils ont bien parlé » dans les rangs de la droite de l’UMP (voire au sein de l’électorat FN).

Au fait, la redevance télévisuelle partagée au prorata de la représentation parlementaire pour embaucher des journalistes représentatifs, c’est au programme de la Droite forte ? Avec quand même une petite dose de proportionnelle ?

Allez mieux vaut faire comme Florian Philippot (FN) pour qui la taxe sur la bière serait « un danger pour l’emploi ». Ou demander à savoir, comme Marine Le Pen, « quel est le niveau d’implication des services français et du gouvernement Sarkozy dans la mort de Mouammar Kadhafi ». Ou dénoncer, comme Jean-Marie Le Pen, un pacte entre le B’nai B’rith, ses 60 « loges » israélites, et « les chefs de la droite molle » pour barrer la route au FN. Encore un effort !