Compte-rendu d’audiences correctionnelles dans un tribunal de grande intance de province à travers diverses affaires, avec leurs contextes, leurs causes, leurs conséquences, leurs acteurs, leurs dénouements.
Aujourd’hui : quand une jeune vie est bafouée par une mère qui reproduit sa propre enfance souillée et un père passif trop faible pour s’insurger.
Le contexte : on serait bien étonné de découvrir ce qui se passe quotidiennement derrière les murs des maisons et de ce que cachent les mines de façade de nombre de nos contemporains. Ainsi, considérons les membres de cette famille qu’on pourrait qualifier de Français moyens : des parents mariés depuis 14 ans, tous deux salariés, avec quatre enfants normalement scolarisés, trois filles respectivement âgées de 12, 10 et 6 ans et puis un garçon de 8 ans. Voilà l’image d’un foyer tout ce qu‘il y a de banal, en fait, pour qui n‘en connaît que la face visible. Le problème, c‘est qu‘au sein du logis, il en va autrement pour le gamin dont le grand tort aura été de naître mâle. Il s‘avère en effet que si ses deux aînées et la benjamine sont choyées comme le sont habituellement les fillettes de leur âge, ce gamin se trouve plongé, quant à lui, dans une condition qui fait de son quotidien une sorte de calvaire ordinaire et récurrent.
Confiné dans un réduit qui lui sert de chambre où il dort sur un simple matelas et sous une seule couverture, le pauvre garçon pouvait tout aussi bien passer ses nuit dans les toilettes ou dans la buanderie. Dès son plus jeune âge, il a été soumis à un traitement innommable : régulièrement battu, bâillonné avec du ruban adhésif, il subira des brûlures de cigarettes et sera même contraint à ingérer ses propres excréments, en certaines circonstances paroxysmiques. Évidemment privé de loisirs alors que ses sœurs en bénéficient régulièrement, ce cendrillon masculin a fini par attirer l’attention d’une enseignante et, par ricochets, des services sociaux. Il sera alors décrit comme « maigre, translucide, avec les fesses brûlées, les doigts abîmés ». Il sera également question de plaies, d’oedèmes, d’hématomes et c’est fort heureusement avec diligence qu’il sera retiré de son enfer pour être placé dans une famille attentive. Les conclusions du rapport sont tranchantes, parlant d’un « grand danger physique et psychique. »
L’audience : face au président et ses assesseurs, se tient une « petite dame bien comme il faut » en apparence, accompagnée de son mari, un homme grand de taille mais visiblement effacé devant son épouse de laquelle n‘émane pourtant pas un charisme démesuré. À se demander comment ces deux-là ont pu faire mener un quotidien invivable à un gosse qui ne demandait rien à personne sinon avoir une existence empreinte pour le moins d’attentions, de soins et d’un minimum de tendresse.
En fait, c’est essentiellement la mère qui est sur la sellette. Il est en effet rapidement apparu que c’est essentiellement à elle que son fils doit d’avoir vécu un aussi terrible début d’enfance. « Je n’ose pas imaginer la douleur et les cris de cet enfant ! » lancera l’avocate chargée de représenter les intérêts du petit. Quant au président, il fera remarquer, avec un ton qui donnera au prétoire une résonance de cour d‘assises : « tout le monde à beaucoup de chance, dans cette affaire. Ce petit garçon aurait pu mourir. »
Les faits étant exposés, la grande interrogation tient en le cheminement par lequel les choses ont évolué de manière aussi catastrophiques. Et la maman d’évoquer une grossesse difficile puis un accouchement douloureux : « j’ai eu peur de mourir » confie-t-elle dans un sanglot. Mais la suite de ses propos montrera que les racines du mal étaient plus profondément ancrées dans son esprit et que l’aversion que cette mère portera à son fils trouvait sa source bien en deçà de la venue au monde et même de la conception de ce dernier. Il est alors question d’un beau-frère alcoolique qui l’aurait violée alors qu’elle n’avait que 12 ans et qui aurait instillé en elle un rapport aux hommes des plus compliqués. Une méfiance apeurée ravivée par la présence à son domicile d’un beau-père au comportement exécrable, six mois durant, juste après la naissance du gamin. Et d’évoquer les insultes, les violences verbales et physiques, les gestes déplacés auquel ce rustre se livrera envers elle. De quoi l’amener à transférer vers le nourrisson la haine qui s’accumulait depuis longtemps en elle à l’encontre de la gent masculine. « C’était plus fort que moi. Dès le début, je ne suis pas arrivée pas à donner au bébé l’amour que je portais à mes filles. Dans ses yeux, je voyais le regard méchant de ce beau-père détestable. »
Et pourquoi n’avoir pas dénoncé les agissements de ce dernier ? « J’avais honte » souffle-t-elle.
Et le père, dans tout ça ? Il semble qu’il n’était pas au courant de tout ou ne voulait pas l’être mais que de toute façon, il était désarmé devant les événements, effrayé à l’idée de voir son couple exploser s’il s’opposait à son épouse autoritaire, ses rares interventions se terminant en vives altercations. « J’ai fait ce que je pouvais mais je sais que je n’ai pas fait assez » reconnaît-il.
Pourtant, chacun semblait avoir conscience du problème puisqu’un placement volontaire avait eu lieu alors que le petit avait trois ans. Il passera alors quelques mois dans une famille d’accueil avant de retrouver son foyer originel. « Je me croyais guérie, capable de m’occuper de lui » assure la prévenue. L’avenir montrera que c’était loin d’être le cas…
L’affaire est extrêmement grave, pour le procureur, qui rappelle que le dossier a failli être qualifié de manière à être présenté devant une cour d’assises. Et de requérir une sanction de fermeté. Le tribunal le suit en infligeant trois ans d’emprisonnement dont un ferme à la mère (laquelle avait alors déjà effectué six mois) et un an dont six mois fermes au père qui en a déjà purgé trois.
Échos de barre : en bonus, quelques petites phrases captées au fil des audiences.
Un verre, ça va….Un prévenu donne sont point de vue détaillé sur le taux d’alcool trop élevé que le contrôle dont il a fait l’objet a révélé : « ce n’est pas au niveau du vin rouge que ça s’est joué mais plutôt des apéritifs et des digestifs ! »
Je pense donc je fuis : prévenu pour avoir « « accroché » avec la sienne une voiture en stationnement sur un parking, cet homme ne s’est non seulement pas préoccupé des dégâts occasionnés mais a pris le large sans laisser d’adresse :
– Je pensais avoir juste éraflé le pare-chocs. Je me demande même si l’auto n’était pas déjà accidentée avant, se défend-il
– Si vous vous étiez arrêté, vous auriez pu le vérifier, réplique le président.
– De toute façon, je savais qu’il y avait des témoins et que je serais retrouvé. Ce n’est donc pas vraiment un délit de fuite !
Par la pratique : le procureur demande à cet homme qui comparaît pour avoir été interpellé ivre et sans être titulaire du permis de conduire : vous continuez à rouler ?
– Je ne peux pas : je suis en prison depuis un an.
Et de conclure, concernant le fait qu’il ne possède pas le fameux petit carton rose :
– Pendant deux ans, au travail, j’ai conduit un chariot élévateur. Alors, je sais conduire, hein !