Le verdict est tombé: ce sera donc le duel Royal / Sarkozy qui décidera du prochain président de la République Française, pour le mandat 2007 – 2012.

Quelles leçons tirer du premier tour ?  Quels sont les enjeux pour la démocratie ? En aurait-on vraiment fini avec le trauma du 21 avril 2002 ?

 

Oui, avec 84,6 % de taux de participation, on ne peut que se féliciter de renouer avec des records proches des scrutins de 1965 ou 1974. Les militants du « réseau informel de résistance civique » ayant appelé à l'abstention, peuvent se poser des questions…

Oui, le Front National a perdu de ses électeurs et avec son chef de file en quatrième position, le spectre du 21 avril semblerait s'être éloigné…  

Conformément à ce qu'ont ressassé les médias dominants, le duo arrivé en tête est celui qu'ils avaient eux même choisis.  La définition de l'électeur que nous livrait Ambroise Pierce en 1911, est d’autant plus d’actualité: « [l'électeur est la] personne qui jouit du privilège sacré de voter pour un candidat que d'autres ont déjà élu ». (cf. The Devil’s Dictionary).

 

Promu également par les médias dominants, malgré les airs de critique qu'il s'est donné à leur égard,  le troisième homme et  grand vainqueur de ce premier tour est le chef de file de l'UDF.

 

Victime du trauma provoqué par les précédentes élections, les petites formations ont perdu du terrain face audit « vote utile », sans toutefois disparaître.

 

Enfin, le combat final opposera les tenants de deux partis traditionnels français, selon un schéma d'opposition bipartite « droite – gauche ».

 

Mais peut-on rester là au niveau de l'analyse ? Si l'on se contente de ce que nous assène la télévision, sûrement. Alors, éteignons là un instant, et poussons un peu plus loin….

  

Paradoxalement, le réinvestissement des français vers la participation électorale intervient autour d'une élection où la campagne et les enjeux n'ont rarement semblés aussi dépolitisés. Le dogme libéral (en matière économique) fait consensus au sein des quatre formations arrivées en tête – à des degrés divers, certes.

 

La différence se ferait donc sur un certain positionnement quant au « social », dont le marketing politique a tôt fait de galvauder le mot, en l'associant à des propositions qui rendent tout questionnement à ce niveau presque impossible, car subordonné avant tout à la « loi du marché ».

Intéressons nous dés lors au versant politique du libéralisme, à savoir la question des libertés fondamentales et individuelles, issues de l'esprit des lumières.

C’est là que le 2nd tour peut effectivement se penser comme « le choix entre deux projets de société » : Social libéralisme Vs. Néo-conservatisme.

 

En effet, si l’on se penche sur le bilan laissé par le maire de Neuilly au sein du gouvernement sortant, ainsi que certaines de ses déclarations ou faits et gestes sur son « projet », qu’observe t-on ?

Le désengagement de l’Etat au plan économique (sauf lorsqu’il s’agit d’aider au financement d’entreprise privées) se traduit par un surinvestissement au plan régalien. L’introduction de la logique de résultat au sein de la police, la loi CESEDA [1] ouvrant la voie vers l’immigration choisie, ou encore la volonté d’imposer le fichier ELOI  [2] : tous ne sont que des débuts d’exemples des réels desseins de l’ex-Ministre de l’Intérieur… [3].

 

Que dire également de ses invectives à l’encontre de la presse [4], des velléités de remettre en cause de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat [5], ou encore de ses visées eugénistes qui ont récemment suscité la polémique [6] ?

 

Le « projet de société » de Mr. Sarkozy s’inscrit dans une visée clairement néo-conservatrice, dans la lignée de ce que les « faucons » nord-américains ont imposé au côté de G.W. Bush. Le report de certains électeurs de Le Pen vers Sarkozy (près d’un sur quatre) atteste pour partie de cette inclinaison [7].

 

Si la France veut continuer d’affirmer ses idéaux de « Liberté, Egalité, Fraternité », le vote du 5 mai prochain ne semble pas si éloigné de la situation qui s’imposait au lendemain du 21 avril 2002…

    

[1] Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile.

 

[2] cassé par le Conseil d’Etat le lundi 12/03/07, car il avait été adopté par arrêté ministériel sans avis préalable de la Commission Nationale de l’Informatique et des libertés, CNIL.

 

[3] Sur le bilan de Mr. Sarkozy au ministère de l’Intérieur, voir l’ouvrage « Ruptures » de S. Portelli, magistrat, vice-président au tribunal de Paris et président de la 12e Chambre correctionnelle, sur le site : http://www.betapolitique.fr

 

[4] S’il saluait personnellement David Poujadas et Elise Lucet le soir du premier tour, d’autres salariés de France télévisions ont en revanche attiré ses foudres, révélant des intentions peu démocratiques quant à l’indépendance de la presse : « Personne n’est là pour m’accueillir. Toute cette direction [celle de France 3], il faut la virer. Je ne peux pas le faire maintenant. Mais ils ne perdent rien pour attendre. Ca ne va pas tarder ». cf. « Brèves de campagne n°6 », au chapitre intitulé « Insolents » (http://www.acrimed.org/article2586.html) ; Le Canard enchaîné du 21 mars 2007, ou encore : « France 3 dans le collimateur de Nicolas Sarkozy ? (http://www.acrimed.org/article2591.html).

 

[5] Fort des conclusions de la Commission Machelon crée à sa demande (dont le rapport a été remis en septembre 2006), Mr. Sarkozy déclarait au quotidien espagnol La Razón : « la religion offre quelque chose que l’Etat ne peut offrir » (17 mai 2006), après s’être réuni en 2004 avec un représentant de l’Eglise de scientologie – et non des moindres-, l’acteur états-unien Tom Cruise.

 

[6] Voir le dialogue entre le philosophe Michel Onfray et Nicolas Sarkozy, disponible dans Philosophie Mag N° 8, où ce dernier affirme « qu'on naît pédophile », et que si des jeunes se suicident, c’est « parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable ». Le sociologue Emile Durkheim, dont l’ouvrage date pourtant de 1897 (!), doit se retourner dans sa tombe…

 

[7] Selon un sondage LH2, lundi 23 avril 2007.