« Les gardés à vue de Rouen, soutiens de Julien Coupat, transférés à Levallois au siège de la sous-direction antiterroriste » (la presse). Par ailleurs, François Bouchardeau, Samuel Autexier, journalistes et éditeurs à Forcalquier, et leurs compagne ou sœur, sont aussi interrogés pour des motifs similaires : manifester un soutien à Julien Coupat et à « ceux de Tarnac ». Ce serait farce si ce n'était tragique. La SDAT agit comme si des saboteurs normands allaient soulever les banlieues et s'emparer de la gare Saint-Lazare…
Or donc, près de Rouen, lundi 18 mai 2009, une femme et deux hommes suspects de soutenir les demandes de libération de Julien Coupat, détenu depuis plus de six mois en attendant qu'on lui taille sur mesure un costume de « cerveau de la subvertion », sont arrêtés. Gardés à vue, leurs domiciles perquisitionnés, ils sont transférés à Levallois pour être longuement interrogés par les policiers de l'antiterrorisme. Faute de feu, on crée de la fumée.
Les « quatre de Forcalquier ».
À Forcalquier, bourg proche d'Aix-en-Provence et de Lurs, c'est quatre autres personnes qui font l'objet d'une arrestation. Il s'agit d'Héléna et Samuel Autexier, journalistes et éditeurs, de François Bouchardeau et de sa compagne. Ils auraient diffusé un tract appellant à la libération de Julien Coupat qui comportait la photo de la résidence d'un haut-fonctionnaire de police. Une donnée qu'on peut sans doute trouver dans les Pages jaunes des annuaires ou que tout le monde connait aux alentours. Et question menées subversives clandestines, un tract, c'est sûr, surtout émanant de gens archi-connus de longue date, c'est clair, voilà une vraie trouvaille !
François Bouchardeau est loin d'être un inconnu. Le fils d'Huguette Bouchardeau, qui avait succédé à Michel Rocard à la tête du Parti socialiste unifié et qui, ancienne ministre, avait fondé les éditions HB, est notamment l'auteur de projet éditoriaux tels un agenda de l'année Jules Vernes (2005) ou un Agenda Rabelais (2006). Fin 2008, après avoir sorti un agenda sur Mai 1968, il met la clef sous le paillasson et Hélène Delmas, une collaboratrice reprend l'une des collections pour créer la maison d'éditions Le Mot fou.
Samuel Autexier et sa sœur, Helena, participent à diverses revues (tout comme comme créera la sienne propre), dont Marginales. À la fois titre et maison d'édition, Marginales participe, avec L'Envoi, Le Sablier, Alpes de Lumière, C'est-à-dire & Le Préau des collines, au collectif « Éditer en Haute-Provence » qui fut un temps soutenu par le Conseil régional et présent sur les stands des divers salons du livre.
Et on peut se demander pourquoi les intellectuel·le·s et les journalistes, si prompts à se mobiliser lorsque l'un·e des leurs est pris·e en otage, sont si peu nombreuses à se manifester. C'est sans doute qu'il n'y a plus aucune chance de passer dans les étranges lucarnes pour s'indigner et que le soutien à Coupat, à ceux de Tarnac, de Rouen et Forcalquier n'est pas une « opportunité photo ».
L'appel de Françoise Simpère
Sur son blogue-notes, Jouer au monde , pourtant, Françoise Simpère a publié une lettre à Nicolas Sarközy. « Monsieur le président, je vous fais une lettre…, » écrit-elle. Quand on sait où mènent les courriels adressés à une députée et conseillère de Paris (vers le ministère de la Culture et la direction de TF1), on peut frémir. Françoise Simpère ne va-t-elle pas aller directement en prison sans repasser par la case domicile pour se munir de linge de corps et d'une brosse à dents. « Pas au pays des Droits de l'Homme », comme disaient ceux de Drancy avant de monter dans des wagons à bestiaux plombés. Désormais, allez savoir…
Elle remarque simplement cela : « Monsieur le Président, les Français ne comprendraient pas que vous mainteniez en détention un homme sur lequel ne pèse aucune charge sérieuse alors que vous vous êtes déplacé personnellement et êtes intervenu avec force auprès du président Tchadien pour faire libérer les membres de l’Arche de Zoe, qui avaient pourtant été jugés et reconnus coupables- même si leur intention humanitaire était sans doute sincère- de recel d’enfants et d’escroquerie. Ces condamnés à 8 ans de détention sont aujourd’hui libres alors que Julien Coupat reste en prison sans que l’enquête qui se poursuit depuis six mois ait pu prouver qu’il ait commis la moindre infraction. ».
Elle n'est pas la seule à le penser, peu sont celles et ceux qui se regroupent. Et il est surtout question de laisser penser qu'une menace diffuse guette, et surtout d'intimider toutes celles et ceux qui voudraient publiquement soutenir des opinions proches.
La « femme de 36 ans » a un visage, un nom.
On se souvient qu'une « femme de 36 ans » avait été aussi, le 28 avril dernier, placée 72 heures en garde à vue, puis libérée. Pour qui a fait simplement de la prison une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour avoir, au Burkina Faso, ne pas avoir rempli une fiche d'hôtel que l'hôtelier avait oublié de lui faire remplir, on peut concevoir ce que sont 72 heures d'interrogatoires. Le but n'était pas de lui tirer le moindre renseignement qui n'aurait pas déjà été connu, mais de bien signifier aux Françaises et aux Français qu'une femme peut être retenue ainsi si elle manifeste un soutien à… Julien Coupat, le Droit au Logement (DAL), les Don Quichotte ? Nommez-le, nommez-les…
Et puis, depuis, à l'envie, on répète « une femme de 36 ans ». Toutes les dépêches d'agence reprennent l'antienne, reproduite telle par la plupart des journaux, et encore aujourd'hui et demain, en Province comme à Paris.
Cette femme a un nom. Tessa Polak. Elle a été interpellée dans la rue aux côtés de Benjamin Rosoux, en voiture, par un important dispositif policier. On lui place un automatique sur la tempe, et tout ce monde scande : « Terroriste ! Terroriste ! ». Dans son coffre de voiture, 400 exemplaires de L'Insurrection qui vient, livre collectif auquel Julien Coupat aurait participé (ou pas, l'instruction ne l'établit toujours pas). Elle en avait d'autres à son domicile. Livres que tout policier pouvait l'avoir vue charger chez l'éditeur, Éric Hazan, de jour et non pas de nuit, en s'introduisant par effraction et escalade, en groupe, chef de mise en examen passible de la cour d'assises. Mais le but est bien de laisser croire que Tessa Polak, photographe, présentée au juge Thierry Fragnoli, est une terroriste, et que des femmes comme elle, il y en a tout plein.
Le Monde relate que le juge Thierry Fragnoli lui aurait déclaré : « Vous allez payer pour les autres ! ». Quels autres ? Ah, oui, sans doute François Bouchardeau et Samuel Autexier ?
Thierry Fragnoli a obtenu un droit de réponse du Monde. Démentant formellement. Thierry Fragnoly a déjà collecté plus d'un millier de pièces qui sont dûment cotées. Sans compter les procès-verbaux. De gens qui, pour la plupart, ont reçu la visite d'un simple enquêteur, auxiliaire des officiers de police judiciaire, ou se sont benoîtement rendus à une convocation dans un commissariat.
Le but est-il de faire peur aux plus fragiles afin qu'ils prennent la fuite à l'étranger ou se défénestrent afin d'accréditer la thèse d'un complot ? Ou de faire en sorte que de jeunes gens, tel Michaël et Zoé, 25 et 24 ans, en viennent à confectionner une bombe artisanale ?
Bientôt une rafle étendue ?
C'était à Chambéry et Michaël survit, gravement atteint après l'explosion. Un autre jeune homme, Raphaël, a aussi été longuement entendu à Levallois, au siège de la SDAT. Son nom serait resté sur la boîte aux lettres des deux jeunes gens. Question méthodes clandestines, on a fait mieux. Il aurait « détruit des preuves » en se débarrassant de tracts anarchistes périmés (appelant à manifester le 1er mai). La garde à vue, dans ces affaires de terrorisme est de 96 heures. On a, par le passé, fait mieux.
À la suite de quelques tracts appellant à soutenir des comités de soldats, dans toute la France, vers le milieu des années 1970, la plupart des responsables provinciaux du P.S.U. (parti déclaré, nullement clandestin, dont sont issus Michel Rocard et bien d'autres anciens ministres ou responsables) ont été conduits à Paris en avions, trains, par tous moyens. Ils ont été répartis à La Santé, à Fleury-Mérogis, en d'autres centrales, certains gardés plusieurs semaines.
Françaises, Français, vous avez décidemment la mémoire courte !
Voir aussi, sur C4N :
Dray, Coupat… le plus Julien des deux…
Suite avant éventuel épilogue…
Dans un premier temps, du fait d'un lapsus de saisie et d'une faute de vérification flagrante, j'avais écrit trop rapidement « F. Bouchardeau et S. Autexier et leurs compagnes ». Helena Autexier est la sœur de Samuel, merci N. de m'avoir signalé cette bourde.
Elle était d'autant plus évitable que j'aurais pu téléphoner à Yves Perrousseaux, spécialiste de l'histoire du Livre, ancien éditeur et directeur de collection actuellement (enfin, aux dernières nouvelles, déjà anciennes, il préparait le second tome d'une histoire illustrée de l'imprimerie), qui réside à Forcalquier.
J'imagine qu'il pense ce que pense le maire de la commune .
Lundi soir, la garde à vue des interpellés près de Rouen a été prolongée. Le motif serait qu'ils se seraient rendus à Thessalonique (Macédoine grecque) où s'était trouvé (simultanément ?) Julien Coupat et supposément des « gauchistes » allemands (peut-être bien aussi juifs, comme un certain Dany le Rouge).
Un grand article, digne d’un grand reporter; je suis émue. Cette histoire Coupat me dégoute tant rien n’est clair et tot semble manipulation.
Maintenant que faire pour libérer ces (présumés) innocents dont on n’a pas encore trouvé qu’ils sont terroristes?
Helena Autexier est la soeur de Samuel Autexier, non sa compagne.
Pour N. : je rectifie, pour AgnèsB : eh, nobody’s perfect
Pour N.
Je vais rectifier, bien sûr…
Pour Agnès B
C’est bien la démonstration que la presse (on va dire comme cela, pourquoi pas…), sans moyens, et trop hâtive, nous/vous raconte parfois un peu n’importe quoi.
En fait, j’aurais eu un budget, ou une structure, je pense que, comme autrefois, un petit coup de fil à la rédaction locale de La Provence ou aux gendarmes de Forcalquier m’aurait évité cet impair plus que fâcheux. Et je me sens un peu piteux d’avoir ainsi extrapolé, trop rapidement…
Actualisation et histoire de bouts de ficelles
J’ai lu quelque part que la découverte de ficelle au Canada accablerait Julien Coupat…
Voici ce que, pour le moment, et jusqu’à nouvel informé, j’en pense :
L’histoire de la ficelle me rappelle l’histoire Grégory et la Vologne…
C’était sûr de sûr : la ficelle employée pour ligoter l’enfant était la même que celle trouvée chez les parents. C’était donc elle, coupable, forcément coupable. Sur cette affaire, que j’ai couverte longuement, je n’ai plus, mais alors plus, la moindre opinion qui vaille.
Le doute devrait quand même profiter à Julien Coupat, non ?
Au fait, ce sont les suicides qui retardent le plus les trains, et les accidents de passage à niveau… C’est Coupat, la Sncf, le traitement du chômage par les gouvernements successifs, les décisions des juges traitant les divorces et séparations ?
Ne tombons pas dans l’absurde et considérons le délit de je ne sais qui pour ce qu’il est : si cela se trouve, il s’agit d’élèves qui bloquent le train de leur prof de maths pour échapper à un contrôle… Non, j’exagère. Quoique… On a vu plus absurde, non ?
tout à fait d’accord Jeff avec votre analyse
de toute maniere, la presse actuelle n’a plus vraiment les moyens de faire de réelles investigations; l’Elysée est devenu imperméable et les ministères coupés de moyens réels.
Quand au Ministère de l’Interieur, il prefere mettre des moyens ailleurs dans des affaires rentables ou politiquement correctes (PV, etc)
pauvre Coupat
Ouf, je n’ai pas été inquiétée, et je n’ai pas eu non plus de réponse à ma lettre, si ce n’est la libération de Julien Coupat dix jours plus tard, après son ITV dans le Monde qui a dû faire grincer des dents. Tout récemment, j’ai vu ce titre dans un quotidien (France Soir ou le Parisien): vandalisme: 12 trains bloqués. Tiens, ce n’est plus du terrorisme, ce n’est que du vandalisme, et nul n’a été arrêté, preuve que cette affaire de trains n’était qu’un prétexte pour l’arrestation de Coupat.