La loi française prévoyant l’instauration de jurés populaires lors des procès correctionnels sera-t-elle suivie d’un décret d’application ? Peut-être, peut-être pas. Bonne idée en tout cas pour faire valoir les réformes de Nicolas Sarkozy avant les présidentielles. Au Royaume-Uni, les travaillistes, privés du pouvoir, lancent aussi des idées populaires. Comme d’instaurer des jurys jouant un peu le rôle du Conseil constitutionnel français. Cela ne mange pas de pain, mais cela fait faire parler de soi…

Pratiquement aucun parti social-démocrate européen n’entérinerait les réformes proposées par l’aile gauche du parti travailliste britannique qui s’adresse directement aux électeurs. Eh, pensez donc, obliger vraiment les banques à de meilleures pratiques ! C’est l’objectif de la Good Banking Campaign, que soutient la formation Compass, regroupant les membres d’un groupe de pression voulant réformer le parti travailliste. La dernière idée de Compass est aussi géniale qu’elle serait improbable à mettre en œuvre si les travaillistes regagnaient une majorité. Il s’agit d’instaurer un jury populaire d’un millier de citoyens qui contrôlerait les « féroces » élites. L’appel, sous forme de pétition, a été relayé par The Guardian. Des universitaires, écrivains, syndicalistes, journalistes, incitent à signer la pétition en ligne (qui n’intéresse bien sûr que les sujets de sa gracieuse majesté et les résidants au Royaume-Uni).

« Sous nos yeux (…) le pouvoir, longtemps dissimulé dans les poches d’une élite à ses aises, a été démasqué, » débute le texte de la pétition. Ceux qui détiennent le pouvoir ont fait preuve de leurs manques de scrupules, de probité morale, de décence. Suit le rappel de la crise financière, des bonus et primes des banquiers, des avantages indus que s’accordaient très libéralement des parlementaires, et celui du scandale dit « des écoutes » de la presse Murdoch.

Le manque de vigilance populaire est supposé avoir facilité les agissements de ces élites restreintes et une sorte de « Public Jury » pour le salut populaire et les intérêts nationaux est censé y remédier.

Tous comme les jurés d’assises (ou supposément bientôt des chambres criminelles) en France, les jurés populaires seraient tirés au sort, au nombre d’un millier.

C’est un peu ce qui s’est produit en Islande en vue de la réforme constitutionnelle, c’est moins coûteux que d’instaurer des votations à la suisse.

De la sorte, le Royaume-Uni serait doté d’un supra-Conseil constitutionnel servant de garde-fou aux dérives et abus des possédants, de la presse, des parlementaires. Tout comme l’institution française, ce jury disposerait d’un secrétariat, de pouvoirs d’audition, de fonds pour sommer des témoins à comparaître. Cela évoque fort le Comité de Salut public révolutionnaire, le pouvoir de sanctionner et d’exécuter les décisions en moins.

En fait, ce jury ne pondrait pas des rapports plus contraignants que ceux de la Cour des comptes française.

Ses thèmes d’investigation porteraient sur le pouvoir de la presse, les responsabilités du secteur financier, celles des parlementaires, la politique générale. Et bien sûr la formulation de tests privilégiant l’intérêt commun, lesquels s’appliqueraient tant à l’activité politique qu’à celle des entreprises, est au programme.

Formidable ! Transformez le Conseil économique et social français en jury populaire, vous arrivez à peu près à quelque chose de similaire. Car si le texte de la pétition laisse plutôt songer au Conseil constitutionnel (qui peut retoquer des décisions des parlementaires ou du gouvernement), il n’est pas question de formuler des décisions contraignantes. Ce n’est pas tout à fait l’illustration de l’adage voulant que la dictature musèle et que la démocratie laisse l’occasion de s’exprimer sans que cela change grand’ chose (« ferme ta gueule ou cause toujours » étant l’alternative), mais Tony Blair et Gordon Brown auraient pu applaudir des deux mains.

N’empêche, c’est « Royal ». Voire même « mariniste ». Ségolène Royal ou Marine Le Pen n’y avaient pas songé, mais toutes deux, qui insistent sur la participation populaire, ne pourraient pas frontalement (ou royalement) désavouer.

Mélenchon, Montebourg, voire même Valls, mis au « pied du mur » par un tel appel, si tant était qu’il recueille massivement des signatures, se verraient malgré tout contraints de déclarer qu’il leur faudrait en tenir compte. Comment ? Là serait toute la question.

Trop peu de pouvoir dans les mains de tant, tant de pouvoirs entre les mains de si peu : Ed Milliband, le chef de file des travaillistes anglais, n’est pas si éloigné de cette stance. Il dirige lui aussi un parti de « gens qui se lèvent tôt » (“people who work hard and do the decent thing”) et qui voudraient voir reconnaître leurs mérites, être rétribués selon leurs efforts.

Ed Milliband n’a pas mis la barre de l’aisance à quatre mille livres mensuels par personne (ce qu’avait fait François Hollande, ce que Charles Duchêne dans son ouvrage Qui ? qualifie de « peau de banane ayant bien contribué à l’élimination de son épouse. »), peut-être parce que son frère aîné, David Wright, s’est effacé pour lui laisser prendre les devants.

Imaginez un jury populaire proposant de limiter les rétributions salariales dans une fourchette d’un à dix, ou même d’un à quinze. On se prend à rêver que ce ne serait pas trop beau pour être vrai, mais on doute qu’il puisse vraiment imposer ce genre de délibération.

À quinze Smic mensuels, même nourri-logé-blanchi, se trouverait-il encore un Dominique Strauss-Kahn pour faire preuve de civisme en se portant candidat à la présidence de la République française ? Il ne faut pas décourager ainsi les bonnes volontés.

Il s’est quand même trouvé deux lords, une baronette, évidemment une députée des « Greens », et une kyrielle d’intellectuels (dont des économistes) pour signer l’appel. Aucun équivalent de Bernard-Henri Lévy, on s’en serait douté.

Lancée dans la presse un dimanche, publiée en ligne sur le site de Compass un premier août, la pétition ne risque guère de provoquer l’affluence immédiate. Mais, qui sait ?

Après tout, c’est peut-être une sorte d’« antitode » évitant des actes extrémistes, comme l’exprimait Bruno Gollnisch à propos de l’action du FN et du carnage en Norvège. Lors du lancement de la campagne du Good Banking Forum, fin mai dernier, Madeleine Bunting, du Guardian, posait la question : les gens sont scandalisés par l’attitude des banques, pourquoi ne provoquent-ils pas d’émeutes ? (“Why aren’t there riots on the streets?”). Ou d’autres passages à l’acte individuels hormis des suicides ?

Parfois, on peut se demander si les élections et les campagnes qui les précèdent ne sont justement pas « faites pour ».

C’est peut-être cette interrogation qui a incité la police métropolitaine du Grand Londres à lancer un autre appel à la population : dénoncez les anarchistes à la police (Guardian, Aug. 1). Shocking! Georges Bernard Shaw dénoncé par un voisin le trouvant trop bruyant.

Tandis qu’un tel appel à former des jurys populaires est « so British » !

N’empêche, l’espoir subsiste de « lui donner sa chance » (après tant d’autres appels et initiatives, un peu comme les « blondes » du public d’un jeu du type « Qui veut gagner des millions » le réclament pour l’une d’entre elles, pour une avant-dernière ou dernière fois). En tout cas celui d’en faire état en France, pays de sceptiques doutant encore plus de leur classe politique que les dubitatifs Britanniques.