Brûlé pour brûlé, et ayant accumulé assez de traces pour me rendre tricard auprès de la « confraternité » de la presse classique, autant signaler le différend qui oppose Denis Robert à Edwy Plenel. Ce dernier prétend qu’il n’avait pas « chargé » Denis Robert lors du plus récent procès Clearstream. Dont acte. Il en avait suffisamment rajouté avant. Denis Robert s’est contenté de le renvoyer dans ses cordes… vocables !


Ma dernière rencontre avec Edwy Plenel remonte à deux décennies, au Festival du Scoop d’Angers. Il interprétait un duo avec Pierre Péan, et ce n’était pas un numéro de duelliste, mais de duettiste. La suite allait les opposer vivement, comme chacun sait. Il se trouve que, tout en n’en pensant pas moins, je préfère un Pierre Péan ou un Yvan Stefanovitch,  journalistes d’investigation mouillant la chemise et se mouillant vraiment parfois, à un Edwy Plenel, ancien fait-diversier plus soucieux de se ménager des arrières. C’est affaire d’appréciation, mais cela n’implique aucunement un quelconque ressentiment à l’égard d’Edwy Plenel : nous ne nous devons rien, et je suis trop insignifiant pour qu’il ait été en mesure de ne pas me renvoyer un ascenseur que je n’ai jamais fait grimper jusqu’à ses étages.

 

En revanche, j’éprouve un fort faible à l’égard de Denis Robert, que j’avais un peu connu sur le terrain. Le courage dont il a fait preuve m’a failli lorsque j’ai subi des menaces de représailles de la part de milieux politico-financiers, et c’est peut-être là une raison primordiale de ma sympathie. Mais Denis Robert n’est pas un BHV (Bernard-Henri Lévy) ou un Edwy Plenel : je n’ai rien à attendre de lui autre que ce que m’apporte son épisodique fréquentation, des occasions de converser aimablement. C’est sans doute déplacé de débuter par une réponse à la question « d’où parles-tu ? », mais dans ce milieu, il serait beaucoup plus crédible que, plus souvent, il y soit répondu.

 

Or donc, Médiapart, support dirigé par Edwy Plenel, avait mis en ligne une mise au point : « Je n’ai évidemment jamais accusé Denis Robert d’avoir mis mon nom sur les faux listings de Clearstream. Ni dans mon procès verbal devant les juges d’instruction, ni lors de ma déposition devant le tribunal. ». Assertion dont au moins l’un des arguments est fondé : entre les débuts de la seconde affaire Clearstream et l’ouverture du procès qui a tourné à la querelle de Villepin-Sarközy, le vent avait tourné. Denis Robert avait regagné une crédibilité que d’aucuns lui avaient contestée.

 

Il se trouve qu’un verbatim des déclarations de Plenel au juges d’instructions Jean-Marie Huy et Henri Pons le 13 juin 2008 avait fuité. Le procès verbal a été reproduit par L’Est Républicain et repris par Airy Routier, du Nouvel Observateur. Airy Routier avance, sans preuve, que Denis Robert aurait pu, selon Edwy Plenel, s’être « vengé du peu de cas fait à son enquête, en 2001, par Le Monde, en inscrivant ou en faisant inscrire le nom de son ancien directeur parmi les personnalités détenant des comptes sur Clearstream. ». Et puis quoi encore ? Je ne savais pas que Denis Robert avait pris un rateau de la part de la chanteuse Alizée, dont on a retrouvé le nom sur les mêmes listes. Mon hypothèse, absolument improbable, est que si des noms comme celui de Pal Sarközy (et non Nicolas) ont été rajoutés à de telles listes, c’est que quelqu’un, quelques-uns, ont « soufflé » ces noms. Au risque de discréditer l’ensemble ? En se fondant sur d’autres renseignements « autorisés » ? À chacun de se déterminer : ce ne sont que conjectures, opinions hasardées d’après des apparences. De parfaits inconnus se retrouvent sur ces listes, aucun bénéficiaire du RSA, que je sache… Quoique… On a vu des personnes fortunées accumuler des allocations diverses.

 

Allons-y pour le verbatim…

« La seule personne dont le nom apparaisse comme l’un des acteurs de cette histoire, qui a toujours revendiqué un contentieux à mon endroit, est l’écrivain Denis Robert. En février 2001, qui est la vraie date où démarre, selon moi, l’histoire que vous êtes chargé de tirer au clair, Denis Robert et son éditeur, Laurent Beccaria aux éditions Les Arènes, s’apprêtent à lancer Révélations, le livre censé lancer l’affaire Clearstream. La réputation d’indépendance qui je crois est la mienne et qui était aussi celle du journal que je dirigeais, fait que, dans la plus grande confidentialité, il m’a été proposé de publier les bonnes feuilles de ce livre. J’ai donné mon accord de principe sous réserve d’une lecture de l’ouvrage avant toute décision. J’ai lu moi-même le livre, cosigné avec Ernest Backes, et je suis sorti de cette lecture avec trois impressions. Premièrement, le sentiment d’avoir affaire à un genre littéraire assez éloigné d’une enquête rigoureuse où l’auteur devenait en quelque sorte le héros de son histoire. Deuxièmement, la conviction qu’aucune des principales accusations contre Clearstream n’était démontrée (…).

Troisièmement, mon trouble devant ce qui m’a tout de suite semblé une invraisemblance, l’affirmation (…) que la DGSE, les services secrets français, détenaient sous le code 39093, un compte non publié à Clearstream. Mon réflexe prosaïque d’enquêteur étant que si la DGSE masquait des opérations opaques sous couvert de la Banque de France chez Clearstream, elle aurait appelé son compte d’un quelconque pseudonyme. Le lendemain, j’ai demandé à une excellente journaliste (…) Sophie Fay, à la fois de lire le livre dans l’hypothèse où elle serait au contraire convaincue du sérieux de cette enquête et d’autre part de vérifier ce point précis du compte DGSE sous couvert de la Banque de France. Une heure après, elle revenait vers moi ayant procédé à cette vérification élémentaire et m’expliquait avoir eu au téléphone le responsable de ce compte qui n’était autre que le chargé de la direction générale des services étrangers de la Banque de France. Dès lors, j’ai décidé de ne pas publier les bonnes feuilles de ce livre (…). Ma position est qu’il ne suffit pas d’avoir politiquement raison pour avoir journalistiquement raison. La dénonciation de la corruption de flux financiers opaques ou des paradis fiscaux ne peut s’appuyer sur des enquêtes fantaisistes. Bref, depuis 2001, j’ai toujours dit, mais sans doute n’ai-je pas été assez entendu, qu’il n’y avait pas d’affaire Clearstream. Ce que nous ne pouvons ni prouver ni recouper ni sourcer de façon honnête, loyale et transparente, n’existe pas dans notre métier. »

 

C’est dire si La Voix de son Minc était, avec Edwy Plenel aux manettes, un journal de référence. D’autres écrivent « de déférence ». La déférence peut changer de bénéficiaire, se retourner contre les courtisans moins en vue ou en grâce. Le procédé consistant à donner des instructions à un·e subalterne pour ne pas se retrouver seul·e à assumer une décision est un grand classique dans la presse. Et ne pouvoir prouver ou recouper ou sourcer de manière suffisante est très souvent un bon prétexte : il suffit de ne pas trop chercher. Ou de contrecarrer les recherches, par exemple en confiant une autre enquête, une mission qu’on peut difficilement refuser (pas forcément des voyages de presse vers des destinations enchanteresses), à qui s’acharnerait à vouloir prouver, recouper et sourcer. Il est assez facile de recenser toutes les filiales des banques, des grandes firmes, voire des sociétés d’économie mixte localisées dans des paradis fiscaux. Puis de tenter de faire le  tri. Merci de m’indiquer qui, dans les diverses rédactions, a été chargé de le faire, je serais tenté de donner un coup de main bénévole.

 

Reprenons.

« Depuis cette date, Denis Robert considère que par mon intermédiaire, Le Monde a étouffé l’affaire des affaires, le scandale des scandales. L’ensemble de la presse internationale de qualité et de référence, notamment la presse spécialisée sur les questions financières, est arrivée à la même conclusion que moi (…). En revanche, une bonne partie des médias français ont accordé du crédit, de bonne foi, tout comme probablement Denis Robert et son éditeur lui-même à cette histoire. »

 

De quelle(s) affaire(s) est-il question ?

« Pour que des personnes censées respectables, responsables, accordent du crédit à ces listings incohérents, à des scénarios impossibles, il fallait qu’ils soient convaincus de la solidité des soupçons sur Clearstream. C’est d’ailleurs ce qui explique à mes yeux l’attitude du juge Van Ruymbeke. Ces listings pouvaient sembler bizarres mais à partir du moment où l’on épousait la thèse de Denis Robert sur Clearstream, on tombait dans leur piège.

Le point de départ de cette affaire est hélas pour moi, une erreur journalistique. La finance mondiale ne fonctionne pas comme une théorie du complot avec un lieu unique de blanchiment où l’ensemble de l’argent douteux transiterait. Or c’est bien ce que ce listing et les CD Rom ont tenté d’établir en mêlant tous les univers supposés de la corruption et de la puissance. ». Dont acte.

 

Donc, il n’y aurait pas un « lieu unique de blanchiment ». Vérité première. Médiapart va donc nous dresser la carte de ces lieux. Et nous éclairer sur les allégations d’Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui a estimé que les ressources du crime organisé auraient pu constituer « les seules liquidités » à injecter dans le système financier pour sortir des établissements gravement en crise. « l’argent provenant du trafic de drogues a constitué l’unique capital disponible en liquidité au second semestre 2008, » a estimé légèrement, sans aucun doute, Antonio Maria Costa. Ne pouvant prouver, recouper (ou sourcer ?) ce genre d’affirmation, Médiapart ne s’est pas acharné à enquêter. Et d’ailleurs, avec sa trilogie L’Affaire des Affaires (BD Dargaud), Denis Robert a peut-être renoncé à le faire. On verra lors de la parution du troisième tome. De toute façon, presque tout a été fait pour que Denis Robert renonce, hormis, peut-être, le rapt de ses enfants ou un accident déguisé.

 

Allez, encore une citation du procès verbal des déclarations d’Edwy Plenel.

« Je ne sais pas qui a mis mon nom et je n’accuse personne. Je rappelle simplement ce contentieux avec Denis Robert, qui me semble lui aussi être passé du réel à la fiction. À chaque étape du scénario du corbeau, l’enquête initiale sur Clearstream est présente. Imad Lahoud rentre en contact avec Denis Robert, Denis Robert met en contact Florian Bourges avec Imad Lahoud et le juge Van Rumbeke tente de comprendre Clearstream en s’adressant à Denis Robert (…). Il ne faudrait pas oublier que ma profession, le journalisme, a sa part de responsabilité. Quand, le 8 juillet 2004, Le Point accorde crédit, au point de faire sa une, aux dénonciations du corbeau, cette mise en scène est accompagnée d’un article de Denis Robert, qui affirme : “même si la méthode, un corbeau dans la finance, est limite, je crois qu’il n’y en avait pas d’autres pour qu’éclate enfin ce qui, à mes yeux, est la plus grande arnaque financière jamais racontée (…). Si on laisse les juges faire leur travail, et si le corbeau reste vivant et actif, les révélations vont pleuvoir et le scandale irrémédiablement enfler. Car si Clearstream est la banque des banques, l’affaire Clearstream est bien l’affaire des affaires”. ».   On a bien vu le travail des juges, nous sommes tout à fait confiants : la procédure d’appel sera menée de manière à ce que tout le mécanisme des caisses de compensation soit décortiqué, exposé, disséqué.   Conclusion de Denis Robert à propos de l’attitude d’Edwy Plenel : « Je le remercie d’être allé si loin dans le soutien à mes idées. En trois pages de PV, deux me sont consacrées. Ce 13 juin 2006 donc, après ne pas m’avoir dénoncé aux juges, le brave Eddy est rentré chez lui avec sûrement le sentiment du devoir accompli. Il a ainsi pu continuer son numéro de champion du journalisme sur les plateaux de Canal, au Parti Socialiste, à Marianne, dans les jupons de Dominique de Villepin. Et sur son site où chaque fois qu’il le peut, il donne une leçon de courage et de déontologie. C’est évidemment moi qui fantasme et lui qui sait ce qui est juste et bon. ».  

Tsss… Le commentaire de Denis Robert est assorti, pour qui l’a reçu, d’un dessin de Diego Aranega. Représenter Edwy Plenel en Frank Sinatra mâtiné de Sammy Davis Junior (un peu borgne) et d’Elvis Presley, ce n’est pas gentil-gentil. Les initiales communes n’excusent pas tout. C’est bien sûr sourcé, mais pour prouver ou recouper des similitudes entre Edwy Plenel et de tels modèles, ce serait coton. Je n’ai pas sous la main de collaboratrice ou collaborateur susceptible de m’apporter un élément établissant que ce serait totalement infondé ou pour le moins très outrancier. Je vais tourner la page de moi-même. J’assume.

 

Rajoutons-en une couche. Il n’est pas si évident qu’Edwy Plenel ait voulu nuire à Denis Robert, n’est-il pas ? Finalement, ses déclarations ne visent pas forcément à laisser des juges supposer que Denis Robert ait lui-même ajouté ou suggérer de rajouter le nom d’Edwy Plenel : un « read my lips » ne vaut pas accusation formelle. D’ailleurs, à l’issue du procès Clearstream II, Edwy Plenel était allé serrer la main de Denis Robert, lequel ne s’était pas détourné. « Mon naturel aimable me poussait à laisser pisser, » indique Denis Robert. D’ailleurs, on a vu le même Edwy Plenel considérer que la relaxe de Denis Robert était une fort bonne chose. D’ailleurs, Edwy Plenel est le futur Denis Robert de la presse française. N’a-t-il pas déclaré : « S’ils maintiennent, nous ferons publiquement le procès de ce scandale financier, le procès du capitalisme financier, et c’est pour cela que nous avons réagi par une pétition publique, cosignée par des personnalités très diverses, des intellectuels, des artistes, des figures politiques de François Bayrou et Dominique De Villepin à Olivier Besancenot en passant par toutes les nuances intermédiaires. Pour en faire un enjeu qui permette de soulever cette question. Nous ne sommes pas au dessus des lois, nous acceptons que l’on nous fasse des critiques, mais nous disons que ce qui nous est fait là n’est pas loyal, c’est fait pour nous écraser, nous déstabiliser. »

 

Ah bon, et si les plaintes visant Mediapart sont retirées ?  Son titre fait l’objet d’onze plaintes en diffamation. C’est que, selon lui, on s’en prend à la presse Internet de la manière dont Clearstream s’en est pris à Denis Robert. Cette presse Internet, pour lui « ce n’est pas l’autre presse qui s’est assagie et va d’un pas de sénateur sans sortir d’information vraiment dérangeante. ». Pas de sénateur… Il est des expressions que, dans le microcosme endogamique qui réunit les médias et divers pouvoirs, il est idoine d’éviter. À la manœuvre, lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de tel ou tel groupe de pression, de telle ou tel candidat ou impétrante, les sénatrices et sénateurs savent faire preuve d’une diligence confinant à la précipitation.   Réaction d’un internaute à ces fortes déclarations publiées par Les Inrocks : « Je suis fâché. Très fâché. Écœuré. En 2001, 2002, 2004 Plénel faisait le tour des rédactions pour y expliquer que Denis Robert, dans le cadre de son enquête sur Clearstream, ne pratiquait pas un journalisme sérieux. J’ai assisté au procès Clearstream au tribunal de grande instance de Paris en juin 2008. Parmi les arguments utilisés par les avocats de Clearstream (et de Charlie Hebdo), les déclarations de Plénel et du Monde concernant le manque de sérieux de Denis Robert ont été utilisé comme argument de défense par la multinationale bancaire luxembourgeoise. Des arguments bruts de décoffrage. “ Monsieur le Juge, voyez comme la presse française réfute les allégations de Denis Robert ?”. Des arguments tout cuits et prêts à l’emploi servis par Plénel à la multinationale bancaire. ».   Au fait, le capital de Médiapart, c’est qui, exactement ? « Les investisseurs sont essentiellement deux, pour 500 000 euros chacun. Il s’agit de Jean-Louis Bouchard (société Écofinance) et de Thierry Wilhelm (société Doxa), deux entrepreneurs indépendants, acteurs dans le secteur de l’informatique et les nouvelles technologies. Ce qui les intéresse dans notre aventure, c’est à la fois l’enjeu démocratique – la liberté et le pluralisme de l’information – et le laboratoire économique — l’invention d’un nouveau modèle sur le Net. Au total, les investisseurs partenaires contribuent pour 1 110 000 euros, tandis que la Société des Amis contribue pour 504 000 euros. Ainsi, l’apport des investisseurs et des amis a permis de réunir 1 614 000 euros. » C’était ce qui était indiqué sur le site en mars 2008. Encore un petit mois pour une mise à jour nécessaire. La doxa de Médiapart ne saurait s’en dispenser.