Santa Maria Capua Vetere. Jolie petite ville de la province de Caserte. 35 000 habitants, centre historique, amphithéâtre, ciel bleu les trois quarts de l’année ; hôpital, tribunal, université, entre la ville neuve et la littéralement « vieille Capoue », ancien cadre des bien connus délices antiques. Ville calme, relativement préservée, entre le fief du clan des Casalesi, Casal di Principe, à 25 kilomètres vers la côte, et la périphérie napolitaine, à une trentaine de kilomètres vers le sud.
Ville calme. Ville propre aussi, du moins jusqu’à il y a quinze jours, en partie grâce à la décision de la municipalité, en avril 2009, d’adopter le principe de la « raccolta differenziata », autrement dit du tri des ordures. Règlements distribués dans toutes les boîtes aux lettres de la ville, ouverture d’un centre pour la distribution gratuite du matériel nécessaire à la mise en place de cette pratique toute neuve (sacs poubelle colorés, récipients adaptés aux différentes matières). Chaque couleur correspond à une catégorie : le jaune pour le plastique, le blanc pour les déchets alimentaires, le gris pour les ordures « indifférenciées », le noir pour le papier et le carton. Etablissement d’un calendrier précis et d’amendes qui seront, une fois n’est pas coutume, rigoureusement appliquées le cas échéant.
Malgré mon scepticisme, dû, peut-être, à la première vision que j’avais eue de Santa Maria Capua Vetere, il y a cinq ou six ans, ensevelie comme l’étaient alors de nombreuses petites villes de Campanie sous des monceaux d’ordures, la « raccolta differenziata » fut un succès immédiat. Efficacité de l’organisation, bonne volonté des habitants, toutes les conditions étaient réunies pour cela et, pendant deux ans et demi, les montagnes informes, sacs poubelles crevés par les chats et les chiens errants, entassés un peu partout, ne furent plus qu’un mauvais souvenir. Bien au contraire, conditionnées par des horaires très stricts, les ordures disparaissent purement et simplement du paysage puisque l’on n’est autorisé à descendre ses déchets qu’à partir de 19 heures et que les éboueurs passent, généralement, de bonne heure le matin. Les containers sont aussitôt remis à leur place, et on n’en parle plus.
Et voilà que, il y a une quinzaine de jours, mardi, jour du papier et des déchets alimentaires, je fronce les sourcils, contemplant la pile de sacs poubelles qui s’entassent à l’endroit habituel… ce sac jaune, ce n’est pas du plastique qu’il contient ? Comment ? Certains citadins auraient donc décidé de rompre la trêve, et de mélanger l’inmélangeable ? Et la ville propre alors ? Et les amendes alors ? Je regarde mieux et mon froncement de sourcils s’accentue… Il n’y a pas que du plastique qui rompt l’ordonnance du paysage. La vérité, c’est que toute peine mérite salaire et que les éboueurs, lassés de ne pas recevoir le leur, ont décidé – de bon droit, con giusta ragione, j’en aurais fait autant – de suspendre leurs activités.
Ne nous demandons pas où sont passés les fonds destinés aux éboueurs puisqu’ils ont suivi, c’est probable, bien que purement hypothétique, les chemins tristement balisés de la corruption. Ne nous demandons pas non plus quelle hauteur atteindront, à Santa Maria Capua Vetere, les montagnes de détritus que les habitants, tous les soirs, balaient et entassent courageusement sur leurs trottoirs, de la façon la plus ordonnée et la plus discrète possible. Intéressons-nous plutôt à la façon dont le gouvernement, plus occupé de lui-même que jamais ces derniers temps, s’emploiera à résoudre le grave problème des ordures en Campanie. Commençons par faire des paris sur le temps qu’il lui faudra, avant tout, pour dresser une oreille distraite quand on lui parlera de Santa Maria Capua Vetere…