Quatre orbites creuses et froides. C’est à ça que se résume leur univers. Deux regards déterminés qui s’opposent. Vindicatifs. Le monde n’existe pas. Il n’y a plus que ces yeux hostiles, agressifs, haineux ! Iris d’un brun presque noir braqué sur pupille d’un bleu glacé. Et bientôt, ils danseront. 

Les pulsations du cœur les ramènent brusquement à la réalité. L’œil s’échappe et balaye l’endroit. La tension et la tristesse du lieu s’abat sur eux avec force. Ici, ils danseront. 
Infime moment de paix. Fermer les yeux et se recueillir. Se rappeler ses rêves, ses envies… et sa haine. Sa haine infinie, impersonnelle, s’y plonger et s’en repaître. Enfin, ils danseront. 
Le monde tournoie. Le silence est brisé par le bruissement léger de leur pas. À nouveau leur univers ne se résume qu’à la violence de leurs yeux. La danse va commencer. 
Brisant le cercle parfait suivit jusqu’alors, l’un des deux hommes saute et cogne. Droite percutante reçue avec désinvolture sur une mâchoire de granit. La riposte est fulgurante. Le plexus est soulevé. Le cercle est repris. Avec la même fierté masculine à ne pas montrer ses blessures. Avec cette même étincelle mauvaise dans le regard. La danse a commencé… 
Les cœurs battent. Tambourinent sous les poitrines. Dictant l’emportement, la méfiance. Les souffles se mettent à battre la mesure avec eux. Le bruit des pas, régulier, complète ce rythme naturel. Et la foule, jusqu’alors silencieuse, rejoint ces percussions. Timidement d’abord, des applaudissements apparaissent. La quiétude sonore du lieu disparaît. Les pieds maltraitent la terre en cadence et avec force. La danse trouve sa musique.
Le rouge est la couleur de la galaxie. Le rouge compose la vie. Le souffle court, le corps meurtri, les deux adversaires persistent et frappent. Craquement d’os et gémissement de souffrance ponctuent la mélodie enivrante. Un goût métallique envahit leur bouche. L’adrénaline, poussée à son maximum, en fait abstraction. La douleur n’est qu’une émulation à la puissance. À la vitesse. Les membres se flouent à la vision. La douce fraîcheur brassée de l’air n’est que l’avant goût de la brute chaleur provoquée par des phalanges comprimées contre le corps. La danse arrive à son apogée. 
Un troisième souffle se joint à la valse. S’insinuant dans l’oreille de chacun. Surveillant ses moindres faits et gestes. Epiant la première faute. Faucheuse, Ankou, ange sombre. Quelque soit ton nom. Bienvenue. Bienvenue à toi. Le ballet prend des allures d’étreintes. S’enlacer à elle sans pudeur. Approcher ses lèvres des siennes… et esquiver. Recommencer. Encore. Pour ne jamais s’abandonner au réconfort de ses bras, il faut y pousser l’autre. Alors, toujours, s’offrir à elle puis se dérober. Frôler sa funeste beauté, la désirer…la repousser. Il y a une invitée surprise. Alors danse ! Danse avec la Mort ! 


Battement de cœur…qui s’estompe. Deux souffles s’éloignent dans la froideur d’un manteau noir. Un des danseurs est convié à valser pour l’éternité. 
Au loin retentissent les sirènes de la police. La foule se disperse, distraitement. L’issue macabre d’aujourd’hui ne change rien. Demain, dans un autre lieu, avec d’autres personnes, la danse recommencera.