Le conflit tchétchène, théâtre d’insoutenables atrocités, puise ses racines dans une histoire violente. Il est aujourd’hui inextricablement lié à la montée de l’islamisme radical et aux routes du pétrole. Explications.

 

Le ressentiment opposant les Tchétchènes à l’armée russe ne date pas d’hier. Entre 1834 et 1859, l’imam Chamil mène déjà une guerre sainte contre les Russes qui ont annexé le territoire tchétchène. En 1917, profitant de la révolution bolchevique, les Tchétchènes se lancent dans une guérilla de libération qu’ils perdent en 1924. En 1944, Staline, qui n’a pas oublié ces événements, fait déporter de nombreux Tchétchènes vers l’Asie centrale et la Sibérie. Plus de 400.000 d’entre eux meurent sur le chemin de l’exil, ce qui renforcera le sentiment antirusse de la population.

En 1991, alors que de l’Union soviétique est agonisante, le général Djokhar Doudaïev refait le coup de 1917 et s’empare du pouvoir à Grozny (la capitale tchétchène). Trois mois plus tard, la Tchétchénie proclame son indépendance. Après un blocus économique, en décembre 1994, l’armée russe se lance à l’assaut des séparatistes. C’est la première guerre de Tchétchénie. Elle dure 21 mois et se solde par une cuisante défaite russe. Plus de 70.000 personnes sont tuées, surtout des civils. La Tchétchénie, qui s’est offerte une autonomie dans le sang, voit alors la montée en puissance des Wahhabite, un mouvement islamique fondamentaliste supporté par l’Afghanistan des talibans et l’Arabie saoudite.

En 1999, des groupes islamistes provenant de Tchétchénie entrent au Daguestan voisin dans le but d’en faire une république islamique. En parallèle, des attentats attribués à des terroristes tchétchènes font 300 morts en Russie.

Le président russe Poutine relance une seconde guerre de Tchétchénie en octobre 1999, comme il l’avait d’ailleurs promis lors de sa campagne présidentielle. Grozny est bombardée durant trois mois. La capitale se vide de ses habitants et un gouvernement prorusse est mis en place.

Ce conflit s’enlise. Il a fait des dizaines de milliers de morts selon des sources humanitaires. Actuellement, plus de la moitié des Tchétchènes (sur 1 million d’habitant) est en exil, notamment dans les pays d’Europe occidentale.

Si le conflit tchétchène émeut assez peu la communauté Internationale, c’est qu’il se greffe d’une composante religieuse. L’ancien président indépendantiste tchétchène, Aslan Maskhadov, entouré de chefs de guerre, voulait faire de son pays une république islamique très dure. Depuis les attentats du 11 septembre, Vladimir Poutine a eu beau jeu d’affirmer que la Tchétchénie était un foyer terroriste à l’égal de ce que fut l’Afghanistan. Le ministre russe de la Défense d’alors, Sergueï Ivanov, se plaisait même à dire qu’«il n’y a pas de négociations possibles avec les indépendantistes… C’est comme si on demandait aux États-Unis de négocier avec e mollah Omar».

Le raisonnement des Russes est en partie fondé. De nombreux moudjahidin (combattants) viennent d’Asie centrale et du Moyen-Orient pour perpétuer la guerre sainte en Tchétchénie. Les exactions de l’armée russe entretiennent aussi la haine au sein du peuple et jettent nombre de séparatistes dans les bras des islamistes. La population tchétchène a subi plusieurs massacres et bombardements «inutiles». Elle souffre d’un enfer quotidien qui reste inaccessible à la plupart des organisations humanitaires. Dans l’autre camp, il ne fait pas bon tomber aux mains des rebelles : tortures et exécutions sommaires sont monnaie courante.

D’un point de vue militaire, la sale guerre de Tchétchénie est un véritable bourbier pour l’ex-Armée rouge. Malgré une présence importante, elle s’enfonce dans des sables mouvants. Elle n’est pas près de déloger les rebelles qui mènent leurs opérations de guérilla depuis les montagnes. Mais le jeu en vaut la chandelle. Car une Tchétchénie sécessionniste, c’est une entrave au pétrole en transit. Pour Moscou, combattre l’indépendance tchétchène, c’est certainement lutter contre le terrorisme international. C’est aussi se préserver un chemin pour les hydrocarbures de la mer Caspienne vers la mer Noire et la Méditerranée. L’enfer tchétchène des Russes est aussi pavé de pétrodollars…