Dans la forêt des paradoxes de Jean-Marie Le Clézio

 

Dans la forêt des paradoxes est la conférence donnée par Jean-Marie Le Clézio, suite au prix Nobel de littérature qu’il a reçu pour Ritournelle de la faim en 2008.

 

La forêt, leitmotiv

Ce titre de forêt des paradoxes parle de l’essence de l’écriture chez Le Clézio. La forêt était déjà là à l’origine, pas réellement dans l’écriture, mais à côté du processus d’écriture comme image, symbole. Lorsque Jean-Marie Le Clézio était enfant, à ses débuts en écriture, vers 6 ou 7 ans sa grand-mère maternelle lui contait de longues heures durant d’extraordinaires contes.

Ses contes mettait toujours en scène une forêt dont le personnage principal était un singe malicieux. La forêt commence ici. Et puis Jean-Marie Le Clézio a réellement découvert la forêt plus tard, lors d’un voyage et un séjour en Afrique. De ce voyage il a rapporté non pas le contenu de ses romans mais ce qu’il appelle une seconde personnalité, « à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m’a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l’étrangeté moi-même que j’ai ressentie parfois jusqu’à la souffrance. » C’est là que commence sans doute la réelle forêt des paradoxes, avec l’aspect contradictoire.

Les livres qui l’ont le plus marqué, dans le même esprit, sont notamment les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l’Inde, à l’Afrique et aux îles Masacareignes. Ces livres lui ont permis de « ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d’enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre. »

L’écriture

Cetteforêt des paradoxes c’est un nom emprunté à Stig Dagerman, énonçant un paradoxe de taille : à savoir que celui-ci, qui voulait écrire que pour ceux qui ont faim, écrit en réalité que pour ceux qui ont assez à manger car eux seuls ont la possibilité de connaître son existence. Cette forêt des paradoxes, c’est l’écriture. Jean-Marie Le Clézio reprenant cette idée de Stig Dagerman de ne faire de la littérature que pour une petite caste, la caste dominante s’interroge sur les remèdes possibles, pour élargir la culture à une portion plus importante de personnes. Ce paradoxe là, pour lui, n’est pas nouveau.

Pourquoi écrire alors, puisque l’écrivain sait qu’il ne pourra pas changer le monde? L’écrivain est alors témoin de ce qui se passe, souvent même voyeur, à l’intérieur de cette forêt des paradoxes. « Le paradoxe, c’est que ce dont il témoigne n’est pas ce qu’il a vu, ni même ce qu’il a inventé. »

Mais même si l’écrivain ne peut être que témoin et pas agir réellement, son écriture est nécessaire. Nécessaire car la littérature c’est avant tout du langage, « sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. » En quelque sorte l’écrivain est le gardien du langage, il est à son service et à travers lui au service des transformations de son temps.

Ensuite, « la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d’exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d’être entendus dans leur diversité. » Il s’agit alors de la littérature comme culture, qui est le bien commun à l’humanité. La littérature est un moyen idéal d’être entendu, même si toutes les langues n’ont pas les mêmes chances d’être entendues : par exemple la langue créole n’aura sans doute pas la même facilité à être entendue que les cinq ou six langues dominantes à l’heure actuelle par rapport aux médias.

La littérature est ce moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre et le monde notamment.

Hommage à Elvira

Enfin il dédit ce prix que l’Académie de suède lui dédit à Elvira, une conteuse de la forêt du Darien, rencontré chez les Amérindiens. Pour lui, il s’agit d’une grande artiste qui lui a donné la certitude que la littérature peut encore exister. Le plus grand paradoxe c’était que ce lieu isolé de la forêt, « la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l’endroit où l’art s ‘exprimait avec le plus de force et d ‘authenticité. » Là, on est loin de ce que disait Stig Dagerman, de la littérature faite pour une petite caste de dominant. L’art a cette capacité d’apparaître là où on ne l’attend pas.

 

Jean-Marie Le Clézio, conclut sur deux voeux, l’éradication de la faim, et l’alphabétisation dans le monde. Deux choses très liées en réalité, au départ de l’écriture, pour lui enfant, il y a la faim, ce manque qu’il essaye de combler par la littérature. On peut dire que la littérature est une nourriture, spirituelle certes, qu’il s’agit d’un apport à l’humanité, tout comme la nourriture est apport au corps. Son voeux est l’éradication du manque, la volonté d’être rassasié par le corps et l’esprit, atteindre la plénitude.