Crise : « Ma Tante » s’appelle Prosper

La crise économique en Europe, c’est le boum pour « Ma Tante ». Appelez-là désormais Prosper. Et Youp !, après avoir plongé des ménages dans la mouise, les banksters veulent leur part du des miettes gâteau des plus pauvres. Ainsi, la banque barcelonaise La Caixa va-t-elle ouvrir un Monte de Piedad à Madrid. Il ne faut pas croire que l’activité de prêteur sur gages soit réservé aux crédits municipaux, tout le monde peut s’y mettre, dans divers pays (hors France). Les collectivités publiques n’ont pas le monopole du « social » (ni du cœur, bien sûr, bien sûr). 

Aux abords du Crédit municipal de Paris, qui voit sa clientèle de particuliers enfler, des rabatteurs proposent de racheter définitivement bijoux ou objets de valeur en métaux précieux. Beaucoup, présageant que leurs joyaux finiront aux enchères, faute de pouvoir rembourser le prêt obtenu, préfèrent s’en départir de suite. C’est la crise, les monts de piété se portent fort bien, et attirent du monde.

Au Royaume-Uni, les pawnshops et les pawnbrokers se réjouissent. Les classes moyennes, qui font désormais leurs emplettes chez Adli, le concurrent de Lidl, qui va ouvrir 500 magasins en Grande-Bretagne, passent auparavant chez Prestige Pawnbrokers, où l’on se sent mieux « entre soi » que chez le prêteur sur gages d’un quartier populaire.

La National Panwbrokers Association recense déjà plus de 1 800 adhérents et la croissance du chiffre d’affaires global avoisine les 15 %.
Albemarle & Bond, H& T Pawnbrokers ont le vent en poupe : ils envisagent de se développer.
De même, le site Borro.com (Emprunt.com), tout comme son homologue américain Pawngo, joue sur la discrétion des transactions pour attirer une clientèle qui ne se commettrait pas chez un prêteur de quartier.

Encore que… Tout dépend du quartier. À Paris, comparez les vitrines des Cash & Carry proches des gares du Nord ou de l’Est et celles du quartier de L’Horloge, proche du centre Pompidou de Beaubourg. Dans les unes, de rares sacs de grandes marques, des tocantes siglées mais plutôt bling-bling, dans les autres, Vuitton, Hermès, Gucchi, et bien d’autres garde-temps que des Rolex. 

Les entrepôts de Borro alignent à présent des Porsche, des Ferrari, des Aston Martin, des Bentley, sans compter les œuvres d’art, les antiquités de grande valeur.

En Espagne, certains monts de piété sont adossés à des banques, comme la caisse d’épargne et les établissements de Saragosse, Rioja et Aragon, actionnaires uniques d’Ibercaja Banco.
La Caixa va ouvrir son quatrième établissement à Madrid, après ceux de Barcelone, Tenerife et Séville. Ce sera le second de la capitale aux côtés de celui de Caja Madrid. Il faut dire que cette branche de La Caixa a pu consentir l’an dernier près de 18 % de prêts supplémentaires.

En France, le Crédit municipal de Nantes développe ses activités à Angers depuis début 2000. L’adresse angevine, sur le cossu boulevard Foch, a été rénovée en début d’année pour mieux accueillir une clientèle d’apparence beaucoup plus aisée que l’ancienne. La fréquentation est en hausse et le montant global des prêts à atteint le million d’euros en un semestre. On ne sait si Angers adoptera aussi la monnaie virtuelle qui sera émise à Nantes à compter de mars 2013. Celui de Tours est aussi rattaché au crédit municipal nantais.

En revanche, celui de Dijon (qui couvre aussi Belfort, Besançon, Mâcon, Nevers et Auxerre) va se rapprocher de ceux de Bordeaux et Lyon, afin de mieux pouvoir consolider ses fonds propres et se conformer aux « exigences réglementaires croissantes ».
Mais celui de Lille a inauguré de nouveaux locaux et s’est doté d’un site Internet.

Les activités de prêt, de microcrédits et de banque traditionnelle sont parfois cumulées et le Crédit municipal de Paris peut délivrer des cartes bancaires (ses tarifs ont augmenté de près de 5 % cette année, mais les frais restent en-deçà de ceux perçus par les banques pour des cartes de débit ou de crédit). Le Crédit parisien a vu, dès avril 2008, sa fréquentation augmenter de près d’un tiers, et il propose désormais des offres de rachat de crédits.

Retour aux origines

On en vient à se demander si les banques, voyant l’opportunité, ne vont pas tenter de se diversifier et d’allier activités traditionnelles et prêts sur gages. Après tout, ce serait un retour aux origines. Car si les banques islamiques trouvent des moyens pour contourner l’interdit de l’usure, la chrétienté n’avait, sur ce plan, au Moyen-Âge, rien à envier à l’islam. Les banquiers lombards avaient alors trouvé la parade : ils prêtaient sur gages et se partageaient, entre juifs et chrétiens, les rôles. Comme il n’était pas permis de prêter à des coreligionnaires, mais que c’était licite à l’endroit des « hérétiques », les chrétiens prêtaient aux juifs, et vice-versa. Puis les protestants vont rompre le tabou de l’usure. Les banques pratiquent d’ailleurs entre elles le prêt sur gages, mais uniquement en consignant des valeurs mobilières qu’elles rachèteront par la suite.

Pour le moment, en France, les crédits municipaux conservent le monopole des prêts sur gage. Il en est de même en Suisse (trois instituts, dont le monte de petia ou Istituto presstitt su pegno de Lugano). Le « crédit pignoratif », ou de vente à réméré, autre modalité du prêt sur gage, gagne en tout cas du terrain un peu partout, et même en Allemagne.

Pour contrer les détournements de l’interdiction de l’usure dans la chrétienté, les franciscains avaient instauré un prêt d’abord sans le moindre intérêt : seuls les emprunteurs le pouvant étaient sommés de rembourser. On leur doit la création des monte pietatis. Mais le pape Léon X, en 1515, par bulle, approuve le prêt avec intérêt modéré. Dans les pays protestants, sous l’impulsion notamment de Jeremy Bentham, des paroisses ont créé des frugality banks, à partir de 1797, puis furent fondées des penny banks (recueillant de très faibles dépôts). Banques mutualistes à part entière, elles favorisèrent l’essor des caisses d’épargne communautaires.

Pour faire des riches, il faut des pauvres, mais pas des mourants… Comme l’a exprimé très récemment Nicolas Sarkozy à New York, à l’invitation de la très philanthropique – à son égard en tout cas – banque d’investissement brésilienne BTG, « attention à ne pas faire mourir, mais guérir, le patient. ». En plus clair : le faire durer jusqu’à 65 ou 67 ans, pauvre mais, productif. Ensuite…

D’où l’idée des banques de faire dans le social rentable. Des pauvres un peu moins pauvres peuvent faire des riches un peu plus riches. Là, c’est le Crédit agricole qui soutient le site Babyloan. Pauvres, prêtez à de plus pauvres, vous récupérerez votre mise (sans intérêt), et le pauvre méritant bénéficiaire, sorti de la mouise, pourra être réinséré dans le système bancaire traditionnel.
Attendez-vous à savoir que le battage médiatique autour de Bayloan sera tonitruant (en tout cas du 12 au 21 octobre).

Ah, au fait, parmi les généreux donateurs d’organismes de microcrédit, en France, on retrouve de très renommés évadés fiscaux, comme le baron Seillière, l’ancien « patron des patrons » (du CNPF devenu Medef). Bientôt, Pinault parraineur d’un atelier Vuitton de remise en état de sacs à tarifs réduits s’ils sont à destination de chez « Ma Tante » ? Ils osent tout, et c’est même à cela qu’on les reconnait…

Social, mais rémunérateur

Ne nous étonnons donc pas de voir La Caixa, qui vient de fusionner avec Banca Civica (la bien nommée ?), ce qui lui vaut d’être dégradée par Fitch Ratings et Standard & Poor’s, mais qui assure toujours qu’elle n’aura pas besoin d’aides européennes, ouvrir à Madrid un mont de piété. La Caixa, avec CaixaBank, a aussi créé MicroBank, en 2007, son banco social

Pour obtenir un crédit MicroBank, commission de base minimale : 120,20 euros (ou 3 % du capital) 
En cas de découvert et de non-remboursement d’une échéance : 35 euros ;
Frais d’étude préalable de solvabilité : minimum 150 euros (ou 1,50 % du capital) ;
Frais de maintenance de compte (avec 10 mouvements du mois ou 600/an) : 57 euros à l’année.

Je ne suis pas parvenu à trouver quels sont les taux des intérêts (constants) frappant les prêts.

Comme le proclame la direction du groupe Caixa, qui a fait mener une étude sur la relation de confiance entre les entreprises et la société en général, « l’idéal est que les entreprises maintiennent leur rôle social, sans que cela constitue une obligation ». On s’en doutait. La Caixa est aussi un mécène : employés et clients ont donné 1,2 millions d’euros (les employés ayant contribué à hauteur de 78 500 euros), en 2011, à diverses œuvres sociales.
En Espagne, la banque ne fait plus de la banque, mais une Obra Social (œuvre sociale).
Au cas où ils l’ignoreraient, les pauvres, clients de La Caixa, sont devenus des philanthropes.
Avec de tels tarifs, ils peuvent se le permettre…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Crise : « Ma Tante » s’appelle Prosper »

  1. Beaucoup de monde chez  » ma tante  »
    France 3-5 févr. 2013
    Une nouvelle population se présente aux guichets de  » ma tante  » : les jeunes retraités qui, ayant pourtant une pension, ne peuvent malgré tout …

    Crédit Municipal : quand « Ma tante » bat des records
    France 3-31 janv. 2013
    De plus en plus les clients de « chez ma tante » ou du Mont de piété ont des revenus corrects mais n’arrivent plus à boucler les fins de mois.

    Rendez-vous chez ma tante
    Le Nouvel Observateur-18 janv. 2013
    Ma tante ? C’est ainsi que l’on surnomme le Crédit Municipal depuis que le fils du roi Louis-Philippe, qui avait besoin d’argent pour sa vie …

    Intéressant votre article, je suis étonnée de n’y voir aucun commentaire !

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