Le texte qui suit, écrit en 2006-2007 est extrait du chapitre 6 (« Des signes avant-coureurs d’une crise mondiale ») de l'ouvrage : « KRACH 2007 : la vague scélérate des subprimes », de André-Jean Locussol-Mascardi, éditions Le Manuscrit, 2007.

Avant de rentrer dans le détail des cas et des évènements qui concourent, ou du moins qui pourraient concourir, à l’imminence d’une crise économique mondiale de très grande envergure, une fait s’impose à nous, qui bouleverse complètement tous les fondements des théories classiques, néoclassiques, keynésienne et marxistes, un élément qui n’existait pas et donc ne pouvait être analysé et intégré dans les raisonnements antédiluviens des économistes du XIXème siècle et contemporains.

C’est l’émergence et la prépondérance des marchés financiers et surtout des marchés de produits dérivés dans l’économie. La thésaurisation et le rentier que haïssait Keynes a donné naissance à la spéculation la plus éhontée. Bernard Maris(1), dans son livre très révélateur : Keynes ou l’économiste citoyen, confirme la dangerosité de cette dérive, en citant l’économiste de Cambridge, qui, dit-il, nous met en garde contre le risque de trop développer les marchés spéculatifs : « Quand l’organisation des marchés augmente, le risque de voir les entrepreneurs transformés en spéculateurs augmente ». Prémonitoire et imprécatoire.

Il n’est plus question d’arbitrer entre le rendement d’un investissement et le taux d’intérêt d’un emprunt comme le présentait Keynes, mais de sombrer dans la facilité d’un placement qui va rapporter en quelques heures ou quelques … secondes trois à dix fois plus que le travail entrepreneurial fastidieux issu du dilemme rendement – coût. C’est tellement plus facile, moins fatigant et beaucoup plus rémunérateur. L’image que nous renvoie ce « nouveau monde » de la finance, bien que caricatural, se reflète dans ce mirage à la une de tous les magazines « people » : un golden boy, ou plus traditionnel, un gourou de la finance bcbg, fumant le cigare au bord de sa piscine, téléphone portable à la main, entouré de jolies filles assises dans des voitures de rêves. Cette image dévoyée n’est que la traduction photographique du changement de valeurs qui s’opère dans notre société postindustrielle.

Depuis quelques années, les crises qui se sont succédées ont été, avant tout, financières avant d’être économiques. Et, aux premières loges, se trouvaient les institutions financières dont la fragilité s’est avérée être le détonateur des processus d’effondrement des systèmes financiers des pays touchés.

Avant de faire le point sur les crises financières latentes qui minent actuellement de nombreuses économies comme celles du Japon et globalement des pays du sud-est asiatique, du Brésil et de l’Argentine, de la Pologne et de la Turquie, entre autres. Il est important d’analyser la situation des banques, du FMI, créé en 1944 à l’occasion des accords de Bretton Woods, et des organismes internationaux partenaires (mais parfois « adversaires ») comme la Banque mondiale (BM), la Banque des règlements internationaux (BRI), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), ou bien des Banques centrales américaine (FED), européenne (BCE), d’Angleterre et du Japon, dans le système financier international, qui sont au cœur du débat du système financier international. Il est intéressant de connaître aussi le point de vue de quelques grands analystes, économistes ou politiques à travers des articles publiés au cours de ces dernières années.

Le système bancaire en question ?

Le système financier japonais qui paraissait l’un des plus surs et des mieux armés, en raison de son peu d’ouverture à la fin des années 80, pour résister aux attaques spéculatives venues de l’extérieur, a sombré corps et âmes, à l’image de la faillite de son système bancaire en 97, la banque Daïwa en tête, et ne s’en est toujours pas remis.

(1) : Bernard Maris est professeur de sciences économiques à Paris VIII et auteur de l’ouvrage : Keynes ou l’économiste citoyen, éditions Presses de Science Po

Le manque de contrôle exercée par les autorités de tutelle sur les banques, ainsi que les prises de risques inconsidérées de celles-ci, les rend vulnérables et très fragiles. Les exemples les plus caractéristiques sont ceux, du Crédit Lyonnais en France « sous le régime » de Monsieur Haberer (qui a eu une promotion à la tête du Crédit National, pour ce fait d’arme !) et de la Barings en Grande-Bretagne, qui se sont aventurés dans des investissements diversifiés à l’extrême à l’international, hasardeux et hautement spéculatifs.

Le premier a été renfloué par les caisses de l’Etat (ce qui a coûté plus d’un mois de salaire à chaque salarié français), compte tenu de son statut d’entreprise nationalisée, le second n’a pas bénéficié de la même clémence en raison de son appartenance au secteur privé et a été racheté pour une livre sterling symbolique par le groupe bancaire hollandais ING.

A ce jour, rien n’a changé au sein du système bancaire international, car la prise de risque des différents établissements n’a pas diminuée, bien au contraire, comme le prouve les engagements toujours plus spéculatifs dans le secteur des TMT, plus particulièrement celui des télécoms et plus globalement dans la nouvelle économie.

Lorsqu’on voit avec quelles difficultés, un particulier peut obtenir un « petit » prêt de quelques dizaines de milliers de francs dont l’autorisation est suspendue à l’apport des garanties et de gages, alors que des dizaines de millions de francs sont déversés concomitamment par les mêmes établissements, dans des start-up des nouvelles technologies qui ne peuvent même pas produire un bilan au minimum d’une année et qui établissent des budgets prévisionnels à échéance de six ou sept ans (qui sont autant de « plans sur la comète »), on comprend mieux et on comprendra mieux dans les années futures pourquoi notre système bancaire est « bancal » et risque de perdre l’équilibre au moindre faux pas.

D’autre part, il existe toujours aussi peu de transparence, au sein des institutions financières comme on peut le constater avec le développement des paradis fiscaux et des sociétés offshore. Cela facilite, non seulement le blanchiment d’argent, mais aussi l’explosion des marchés spéculatifs, où les volumes des transactions se font de plus en plus conséquents en échappant pour une grande partie aux réglementations fiscales en vigueur.

Le rapport d’Olivier Davanne, membre du Conseil d’Analyse Economique, que nous évoquons dans le chapitre suivant, montre bien l’insuffisance de contrôle et la prise de risque des banques constatées à l’occasion des dernières crises auquel s’ajoute l’absence de transparence, qui sont autant d’éléments qui participent à la fragilité de notre système financier international. Dans son analyse, il explique que : « La crise actuelle trouve une de ses origines principales dans la fragilité des systèmes bancaires des pays touchés par la crise. L’inquiétude sur ce sujet n’est pas nouvelle : les chefs d’Etat du G7 réunis à Lyon en 1996 avaient déjà demandé aux organisations financières internationales « d’intensifier leurs efforts pour promouvoir des structures efficaces de supervision dans ces économies ». Il s’agit maintenant d’une priorité et les pays concernés eux-mêmes ont pris conscience des risques qu’ils prenaient en laissant fonctionner leur système bancaire sans système de supervision efficace, notamment s’ils autorisent l’accès de banques mal contrôlées aux financements internationaux…En matière de supervision bancaire, on peut très schématiquement distinguer deux phases : celle de surveillance proprement dite, qui vise à maintenir un niveau suffisant de fonds propres pour faire face à toute éventualité, et celle de gestion des difficultés, si la surveillance n’a pas permis d’éviter qu’une banque se trouve dans une situation de déséquilibre…les régulateurs et la banque centrale doivent tenir compte de préparés par les organisations internationales soient assez évasifs sur ces questions alors qu’ils sont très complets sur la surveillance proprement dite. »

(1) : Rapport d’Olivier Davanne : « Instabilité du système financier international » Conseil d’Analyse économiquE, La documentation française, 1998.

et à propos de la transparence : « Par ailleurs, une bonne évaluation par les institutions financières des risques qu’elles supportent suppose un haut degré d’information sur les comptes des agents (économiques) publics et privés. La question de la transparence est à juste titre au centre des réflexions actuelles dans les enceintes internationales. Les difficultés récentes constatées avec le fonds spéculatif LTCM ont notamment souligné la nécessité urgente d’améliorer l’information diffusée par les « Hedge funds » . Les fonds souhaitant rester opaques, notamment ceux installés dans des paradis fiscaux, pourraient voir leur accès rendu plus difficile au refinancement des banques opérant dans les pays industrialisés (par exemple, les prêts pourraient être limités strictement en proportion du collatéral offert par le fonds concerné). »

Espérons que ces recommandations seront suivis des faits. On peut en douter si on se réfère à la réalité et au rapport que vient de publier le député Arnaud Montebourg, rapporteur spécial de la Commission parlementaire française de lutte contre le blanchiment d’argent (1), qui a lancé une offensive contre le Royaume-Uni en dénonçant la City de Londres comme étant un « paradis non seulement fiscal, mais malheureusement judiciaire à bien des égards », est là pour l’attester. Etablissant les vulnérabilités de la City au blanchiment de l’argent sale, le rapport intitulé « La City de Londres, Gibraltar et les dépendances de la Couronne : des centres offshore, sanctuaires de l’argent sale » souligne aussi le manque de volonté des autorités britanniques dans la lutte contre la criminalité financière. Dans ce rapport, Arnaud Montebourg ajoute que le processus de déré­gulation financière appliqué par la City depuis une trentaine d'années la rend particulièrement vulné­rable, surtout en raison de son carac­tère totalement international. La dé­régulation et le secret bancaire ont drainé de nombreux établissements financiers du monde entier, et le statut spécifique « d'état dans l'état » dont bénéficie la City, n'aide en rien à lutter contre le blanchi­ment, bien au contraire.

On pourrait aussi évoquer certaines pratiques qui ont fleuri aux Etats-Unis depuis les années 70, où l’argent sale circulait entre milieux d’affaires et bancaires en pleine opacité et avec la bénédiction des autorités de régulation des marchés (2).

                        (1) : Voir le chapitre 5 : Fonds éthiques et…éthique dans la 4ème partie.(2) : voir Annexe 1 : Le mythe de l’invulnérabilité de la Bourse américaine 2èmepartie ….  « L’argent sale »
Le FMI, épicentre du futur séisme

Le FMI (Fonds Monétaire International) est une institution monétaire et financière internationale qui compte 183 Etats membres (avec la Yougoslavie). Organe majeur du     SMI (Système Monétaire International : ensemble de règles et d’institutions visant à organiser les échanges monétaires internationaux pour favoriser le commerce international), il a vu ses pouvoirs renforcés en 1976, à l’occasion des accords de la Jamaïque, avec un rôle de surveillance des politiques des différents pays dans le but de promouvoir la coopération internationale en maintenant la stabilité des changes.

Le Fonds Monétaire International est l'un des acteurs les plus puissants de l'économie mondiale. C'est une institution multilatérale qui prête des centaines de milliards de francs à des pays subissant des déséquilibres économiques extrêmes. Il catalyse des milliards de francs supplémentaires en provenance de riches nations créancières et d'autres institutions financières internationales. Les pays les plus riches (G7), ont doté le FMI du pouvoir d'attribuer un "sceau d'approbation" aux politiques économiques des pays emprunteurs. Les pays pauvres ont besoin de ce "sceau d'approbation" pour obtenir des Etats créanciers un allégement de leur dette. Il influence en fait toutes les décisions des investisseurs privés et des organismes d'aide publique au développement pour l'octroi de crédits et les investissements. Le FMI jouit ainsi d'un énorme pouvoir sur la vie de millions de personnes à travers le monde.

Le rôle du FMI

« L’action du FMI et ses objectifs sont déterminés par le mandat que lui confèrent ses Statuts, qui est de surveiller l’évolution du système monétaire international pour assurer son bon fonctionnement. A cet effet, le FMI exerce depuis l’origine la surveillance des politiques macro-économique, monétaire et de changes de ses membres. Ces dernières années, les profondes mutations subies par l’économie mondiale (croissance rapide des marchés des capitaux privés, intégration régionale et monétaire plus poussée, importance de la solidité du système financier, etc.) ont fait ressortir l’importance d’une surveillance plus large, couvrant les politiques structurelles. Le FMI s’attache notamment à identifier les difficultés des systèmes bancaires susceptibles d’entraîner de graves déséquilibres macro-économiques. Ces activités sont menées par le FMI en étroite concertation avec les autres institutions et instances internationales compétentes (Banque mondiale, Banques régionales de développement, instances internationales de définition des standards prudentiels, Forum de Stabilité Financière…) afin d’assurer la cohérence et l’efficacité du système monétaire et

financier international. » (extrait du rapport du parlement français sur le FMI de juillet 2001).

On peut résumer ses objectifs en six points :

– Promouvoir la coopération monétaire internationale entre les membres ;

– Faciliter l'expansion et la croissance équilibrée du commerce international afin d'atteindre des niveaux élevés d'emplois et de revenus réels (tenant compte de l’inflation) et de développer la capacité productive ;

– Promouvoir la stabilité des changes ainsi qu'un régime de change méthodique, et donner les moyens d'éviter les dévaluations monétaires concurrentielles ;

– Favoriser un système multilatéral de paiements et de transferts pour les opérations courantes, et promouvoir la suppression des restrictions de change qui entravent le développement du commerce international ;

– Mettre des ressources financières – à titre provisoire et sous des garanties adéquates- à la disposition des membres pour leur permettre de corriger des déséquilibres de balance des paiements sans avoir recours à des mesures qui détruisent la prospérité nationale et internationale ;

– Rechercher la limitation dans leur durée et étendue des déséquilibres de balance des paiements.

Les critiques exprimées sur le FMI

Le FMI a, de tous temps, fait l’objet de nombreuses critiques. Depuis les crises asiatiques et russes, il est l’objet d’une polémique qui s’amplifie, une véritable fronde, sur sa responsabilité dans l’effondrement des systèmes financiers de ces pays, compte tenu de ses dysfonctionnements et de son manque d’équité en raison de son allégeance au système financier anglo-saxon.

Face à cette vague massive de critiques qui s'est exprimée, des gouvernements débiteurs mais aussi créanciers, des organismes comme les ONG (organisations non gouvernementales) et celles provenant des économistes et des politiques du monde entier, le FMI et les institutions financières internationales proches du Fonds, ont reconnu certaines de leurs défaillances et envisagé des évolutions inconcevables quelques années auparavant.

Les actions futures et les réformes nécessaires, du FMI et des différentes institutions financières internationales, pourraient se révéler déterminantes dans le cas d’une nouvelle crise mondiale dont l’onde de choc dépasserait tout ce que l’on a connu jusqu’ici. En effet, compte tenu du niveau d’endettement des agents économiques mondiaux, de la spéculation qui lie entre elles toutes les parties et de l’imbrication, les unes dans les autres, des structures financières internationales, la crise d’un pays aurait un effet de « dominos » immédiat en contaminant, comme un virus malsain, l’ensemble des économies des pays de notre planète.

Beaucoup d’observateurs restent sceptiques quant aux changements d’orientations du FMI pour une meilleur gestion des dysfonctionnements de l’économie mondiale, pour une plus grande impartialité entre pays riches et pays pauvres et une plus grande transparence.

Les articles qui suivent montre bien que le doute s’est installé dans les esprits et que le FMI est à un tournant capital de son histoire et de celle de l’avenir des économies émergentes :

Article d’Alternatives économiques, d’octobre 1998 intitulé :

« La crise du FMI – Organe majeur du SMI, le FMI est très critiqué. De plus, le Fonds monétaire international est au bord de la crise financière »

« Pour jouer son rôle de pompier des crises financières, le Fonds monétaire international a besoin d'argent. Or, aujourd'hui, ses coffres sont quasi vides. Les ressources du FMI proviennent principalement du ticket d'en­trée que payent les pays qui en sont membres. Mais 75 % de ces quotes-parts, sont versés dans la devise du pays, soit envi­ron l'équivalent de 190 milliards de dollars. Un grand nombre de ces devises n'ont pas de Statut international et ne servent donc pas à grand-chose. Celles-ci enlevées, il reste 60 milliards de ressources utilisables. Une fois pris en compte les prêts en cours et une réserve de sécurité, il restait au FMI 30 mil­liards avant la crise russe. Or, les règles du FMI sont telles que les pays peuvent retirer la presque totalité de leur quote-part quasi instantanément, ce qui oblige !'institution à garder de l'argent inuti­lisé au cas où. Le rapport entre l'argent dis­ponible pour les prêts et cet argent liquide que le FMI doit garder s'appelle tout bêtement le « ratio de liquidité» et il ne doit pas passer sous les 30 %. Le prêt accordé à la Russie l'aurait ramené à 19 % : Inacceptable. Heureusement, le FMI a un bidon de secours : les Accords Généraux d'Emprunts (AGE). Depuis 1962, onze pays ont promis au FMI de lui prêter 23 milliards en cas de besoin. Il en a utilisé 8,5 milliards pour la Russie, ce qui lui permet de garder un ratio de liquidité de 29 % : Limite. Que se passerait-il en cas de nouvelles crises ? Il reste certes les 14,5 milliards des AGE. Mais le FMI attend surtout que les États-Unis acceptent d'appliquer deux décisions déjà prises : une augmentation des quotes-parts, qui lui rapporterait 90 milliards, dont 67 utilisables, et des Nouveaux accords d'em­prunts (NAE), qui lui donneraient une marge de manœuvre supplémentaire de 22,5 mil­liards. Comme il faut que la décision soit mise en oeuvre par les pays membres du FMI repré­sentant au moins 85 % des droits de vote et que les Etats-Unis en détiennent 18 %, le refus du Congrès américain qui n’aime pas le FMI, bloque tout processus. Le Congrès a finalement donné son accord le 12 septembre pour débloquer la part américaine des NAE, ce qui va donner un d’air au FMI. Mais l'augmentation des quotes-parts décidée en 1997 reste bloquée. Résultat, encore une grosse crise ou deux moyennes, très possibles, et le pompier se retrouve à sec, c'est-à-dire incapable d'intervenir pour calmer la panique des marchés. Rassurant, non ? »

Article d’Alternatives économiques, d’octobre 1998, intitulé :

« Une institution dépassée­ »

« Puisqu'il semble impossible de prévenir les crises au niveau des acteurs financiers, peut-on au moins essayer d'en éviter les conséquences désas­treuses ? C'est là que le Fonds monétaire interna­tional (FMI) entre en jeu au niveau des pays, en essayant de jouer le rôle de prêteur en dernier res­sort mondial, c'est-à-dire, celui qui amène de l'ar­gent dans le système au bon moment pour rétablir la confiance et éviter les contagions. « Le FMI doit faire face à trois problèmes », souligne Susan Strange, professeur d'économie politique internatio­nale à l'université de Warwick : D'abord, il n'a pas les compétences techniques pour remettre sur pied des systèmes financiers complexes. Ce n'est pas dans sa mission et il n'a pas les ressources humaines pour le faire. Ensuite, même s'il les avait, il ne disposerait ni du pouvoir ni de la légitimité politique afin d'imposer les réformes qu'il juge nécessaires pour enrayer et éviter les crises financières. On le voit mal arriver à imposer une politique d'austérité aux États-Unis si cela devait s'avérer nécessaire pour éviter de violents mouvements sur le dollar. Enfin, il doit faire face à la concurrence des multiples institutions internatio­nales qui se mêlent de réguler la finance inter­nationale : l'Union européenne définit ses propres règles, résultat des compromis entre les différents pays, et qui recoupent ou pas celles de la BRI; l'OCDE s'en mêle et des associations semi-offi­cielles influentes, comme l'OICY, qui regroupent les régulateurs boursiers (la Cob en France), tirent avec succès la régulation internationale vers les intérêts des acteurs privés plus que vers l'intérêt général. On ne peut donc compter sur les institutions inter­nationales pour éviter les catastrophes financières. Et Susan Strange de conclure: « Soit elles ont aban­donné, comme la BRI, soit elles manquent de res­sources et d'expertise, comme le FMI, soit elles sont divisées par des conflits internes, comme l'Union européenne, soit elles se marchent l'une sur l'autre dans une cacophonie généralisée… ».

Interview de C. de Boissieu, Alternatives économiques, janvier 1999, intitulé : 
« Une institution critiquée »

« La crise internationale justifie des réformes dans l’architecture financière. Parmi celles évoquées, figure le renforcement des compétences du Fonds monétaire international (FMI). Ainsi, le G7 a proposé de confier au FMI un rôle éminent dans la sur­veillance des systèmes bancaires et financiers, ainsi que dans le respect des codes et normes. De telles propositions sont à la fois compréhen­sibles, vu l'importance des crises bancaires et financières dans le monde, et équivoques. Pourquoi prétendre confier de nouvelles préroga­tives au FMI alors que, à l'occasion du traitement des crises asiatique et russe, il a fait l'objet d'une salve de critiques, les unes injustes et démago­giques, les autres fondées et appelant des réponses adaptées ? Parmi ces dernières, notons juste le fait que, depuis l'éclatement du choc asia­tique en juillet 1997, le FMI a couru après les évé­nements plutôt qu’il ne les a anticipés, et qu’il a eu du mal, privilégiant l'approche habituelle du cas par cas, à prendre la mesure globale de la crise. Le FMI, d'après les accords de Bretton Woods, a pour fonction principale de fournir des financements à court terme aux pays membres exposés à des déséquilibres extérieurs, moyennant le respect de certaines conditions macro-économiques (la fameuse conditionnalité). Une certaine dérive est intervenue, amenant le Fonds à étendre ses compétences du financier à l'économie réelle – ce qui était, somme toute, logique – pour passer du conjoncturel au structurel – ce qui l'était beaucoup moins, étant donné la présence de la Banque mondiale, puis plus tard de la BERD, etc. Que le FMI revienne enfin vers ses compétences de base et qu'il fasse mieux ce pourquoi il a été inventé ! La France a tendance à mettre en avant le FMI. Les crises bancaires et financières devraient, au contraire, amener à solliciter beaucoup plus qu’auparavant, la Banque des règlements internationaux (BRI) et le Comité de Bâle étroitement lié à elle et en charge de la coordination internationale de la supervision bancaire. Il faut accélérer l’entrée, déjà amorcée, des pays émergents les plus avancés à la BRI. Il faut également favoriser des interventions conjointes FMI-BRI (sans oublier la Banque mondiale). Après le temps de la concurrence entre les organismes internationaux, il faut résolument privilégier une logique de coopération entre eux. »

Extraits d'un site internet sur le FMI (septembre 1999) intitulé :
« Une institution ruinée »

« Le premier problème pour le FMI est de disposer de ressources financières nécessaires. Malheureuse­ment, son porte-monnaie est déjà pratiquement vide, ce qui signifie qu'après la crise russe, personne n'est sûr qu'il ait les moyens de répondre à une autre crise importante. »

– Extraits d'un autre site internet sur le FMI, qui fait référence à plusieurs sources (Patrick Lenain, Le FMI, collection Repères, Editions La Découverte, 1993 – Agir ici, Mieux comprendre les institutions financières internationales, 1998 – Le Monde Diplomatique, numéro spécial, Septembre 2000).

« Le FMI n’est pas réformable »

« L'idée que le FMI n'est pas réformable a gagné du terrain ces dernières années. Les défenseurs de ce point de vue pensent que le FMI a trop de pouvoir et l'utilise de manière nuisible. La meilleure stratégie serait donc de réduire son pouvoir et d'éviter tout compromis ou dialogue susceptible d'embellir son image de marque auprès du public. Il est également indispensable de réduire son pouvoir pour équilibrer les rôles respectifs du FMI et des mouvements de citoyens, sans quoi il n'y aura pas de réforme authentique…Les partisans de cette position soulignent que la politique du FMI reflète fondamentalement les intérêts dominant en son sein, à savoir celui des banques privées et des multinationales, plus particulièrement celles des Etats-Unis. Tant que ce contrôle sur le FMI ne sera pas contesté, toute proposition de réforme de sa politique et de ses opérations aura peu d'effets dans les pays en voie de développement (…)Même en cas de crise de la dette, le FMI est bien inutile. Les plans de sauvetage du FMI lors de la crise asiatique n'ont pas arrêté la panique financière et elle s'est plutôt aggravée et étendue à d'autres pays. Ce sont les négociations directes avec les banques privées asiatiques pour qu'elles reconduisent leurs prêts qui ont mis un terme à cette panique. Sans l'intervention du FMI, les pays obtiendraient de meilleures conditions de la part des banques (…)

Le FMI agit trop dans l'intérêt des Etats-Unis, pays exerçant une grande influence parce qu'il détient le plus de droits de vote. Les Etats-Unis ont en effet un droit de veto quand il s'agit de changer les statuts du FMI, autoriser l'emploi de ressources à des fins spéciales, ou sur d'autres questions. Même dans les matières qui requièrent la majorité simple, les Etats-Unis peuvent exercer leur influence et le font souvent. »

« Contrôler les mouvements de capitaux »

« La crise financière qui a touché l'Asie, la Russie et le Brésil et entraîné la récession dans de nombreux pays pauvres montre l'effet dévastateur que les mouvements de capitaux internationaux peuvent avoir. La tentative du FMI de libéraliser les flux financiers n'entraînera qu'une plus grande volatilité de capitaux internationaux. L'article VI des Statuts du FMI encourage les Etats membres à mettre en place des "contrôles appropriés" sur les mouvements de capitaux et interdit l'utilisation des ressources du FMI pour "compenser les sorties importantes de capitaux." Le FMI devrait commencer par respecter ses propres statuts et aider ses membres à mettre en place des contrôles de capitaux adaptés à leur situation et à leur niveau de développement. Le FMI devrait reconnaître que les pays ont besoin de beaucoup de temps pour développer des secteurs bancaires solides, des réglementations financières et un marché qui peut absorber les effets déstabilisateurs des mouvements de capitaux. Le FMI devrait reconnaître publiquement le besoin des pays à défendre leur développement institutionnel en priorité et respecter leur souveraineté à décider dans quelles conditions ils souhaiteraient libéraliser le secteur financier.Enfin, quand une crise financière prend racine dans le secteur privé, le FMI ne devrait pas intervenir pour financer les investisseurs étrangers pris de panique qui se retirent d'un pays. Outre l'incitation à accorder de mauvais crédits, le plan de sauvetage du FMI augmente la dette de l'Etat en question et fait peser les conséquences des choix du secteur privé sur les contribuables

Le FMI et ses défenseurs n'ont jamais eu autant de raisons de douter de l'efficacité de leur action : d'éminents universitaires et d'anciens hauts fonctionnaires, ministres et parlementaires ont critiqué très fortement le règlement de la crise asiatique par le FMI. Les ONG ont mis en lumière les effets néfastes des programmes d'ajustement dans les pays les plus pauvres. » Ces mêmes pays dont la dette pourrait être levée si le FMI vendait ou réévaluait son or au cours mondial actuel, qui sont beaucoup plus élevés et en engrangeant des bénéfices sur sa vente et en l’utilisant pour l'annulation de la dette.

La rapport sur les activités du FMI

Ce rapport présenté au parlement français sur les activités du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale (Institutions de Bretton Woods) en application de l’article 44 de la loi de finances rectificative pour 1998, a été établi en juillet 2001.

Il présente un bilan du fonctionnement et des actions du FMI, en rappelant les nombreuses critiques qui se sont déversées sur l’organisation internationale la plus importante après l’ONU, ainsi que les avancées qui ont été obtenues grâce à l’action de la France et de l’Europe. Nous citons ici quelques extraits de ce rapport particulièrement significatifs, des préoccupations qui nous animent.

« Gouvernance et légitimité »« La pleine participation des Etats membres du FMI aux mécanismes de prise de décision et leur adhésion sont les conditions premières de la légitimité de l’institution. Il appartient aux actionnaires de décider des grandes orientations de l’action du Fonds, tant au Conseil des Gouverneurs qu’au Comité monétaire et financier international et au Conseil d’administration. Ces enceintes doivent notamment définir, dans le cadre du mandat macroéconomique du FMI, les priorités de l’institution, les modalités de prise en compte des objectifs sociaux indispensables à une croissance durable, et s’assurer du respect de ces orientations lors de l’établissement des programmes et de leur mise en oeuvre.

Le Fonds monétaire international est confronté depuis plusieurs années à des critiques internes (notamment de certains de ses actionnaires) et externes (en particulier au sein de la    « société civile ») sur son manque de légitimité. Le rôle central joué par le Fonds lors de la gestion de la crise asiatique, confirmé depuis dans d’autres situations, a amplifié ces critiques et les attentes en faveur d’un mode de fonctionnement et de décision plus légitimes et plus transparents au FMI. Dans ce contexte, le FMI a fait un réel effort de transparence et d'amélioration de son mode de fonctionnement pour améliorer sa gouvernance et, partant, renforcer sa responsabilité… »

« Le pilotage des institutions de Bretton Woods »

« A l’initiative de la création du Comité monétaire et financier international (CMFI), la France a poursuivi depuis ses efforts pour conforter le rôle politique de cette enceinte et mettre en place dans ce cadre les conditions d’un véritable dialogue entre les différents actionnaires de l’institution. Les conclusions des réunions de septembre 2000 et d’avril 2001 du CMFI témoignent à cet égard de son rôle réel d’orientation, sur des sujets aussi divers que la mission de prévention et de gestion des crises du FMI, la réforme de la conditionnalité du Fonds monétaire international ou l’implication de cette institution en faveur de l’intégrité du système monétaire et financier international.Dans son discours au CMFI, le 29 avril 2001, le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Laurent Fabius, a particulièrement insisté sur cet impératif, condition

de l’émergence d’une véritable régulation financière internationale : « Cela est parfois difficile particulièrement pour les pays en développement : ils doivent être associés en amont aux travaux préparatoires et aidés dans leur démarche, pour « s’approprier » ces règles. Quant aux pays industrialisés, ils doivent s’attacher à traiter les vulnérabilités du système : fonds à effet de levier, concurrence fiscale déloyale, blanchiment, centres offshore. L’efficacité va de pair avec une « moralisation » de la vie économique et financière et l’action des institutions financières internationales en ce sens doit être approfondie.» Chaque pays membre, créancier ou créditeur de l’institution, doit ainsi pouvoir faire entendre sa voix au sein de l’institution et doit être assuré qu’il sera pleinement parti aux mécanismes de prise de décision. »

« La résolution des crises »« La France a apporté son entier soutien au renforcement des interventions du FMI (et de la Banque mondiale) en faveur de l’Argentine et de la Turquie à l’occasion des difficultés économiques rencontrées par ces deux pays ces derniers mois. Elle s’est assuré que l’intervention accrue de la communauté financière internationale avait pour contrepartie une forte participation du secteur privé. La France a réaffirmé à l’occasion de ces discussions le rôle central du FMI dans la prévention et la résolution des crises, et ainsi privilégié un traitement multilatéral de ces crises. Laurent Fabius a ainsi déclaré dans son discours au CMFI du 29 avril 2001 : « Par ses soutiens financiers et par ses conditionnalités, le FMI doit rester le pivot du système monétaire et financier multilatéral. Le concept parfois évoqué d’un FMI plus « modeste » ou plus « économe », pour sympathique qu’il soit, est en décalage par rapport aux exigences de la mondialisation « humanisée » : assurer la croissance mondiale, promouvoir la solidarité, garantir le bon fonctionnement des circuits monétaires et financiers supposent un FMI ambitieux et actif ».

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De par son mandat visant à la stabilité du système financier international, le FMI a un rôle central à jouer pour limiter les effets adverses associés à la globalisation financière. C’est pourquoi le gouvernement français plaide sans relâche en faveur d’une exemplarité du FMI en matière de lutte contre les « abus financiers » internationaux, et notamment sur les aspects liés à la lutte contre le blanchiment des capitaux, condamnable en soi mais également facteur d’instabilité pour le système financier international.En effet, l’ampleur des flux de capitaux liés au blanchiment constitue aujourd’hui un risque majeur pour l’intégrité du système financier international, ainsi que pour les systèmes financiers des Etats membres, et confère à la lutte contre le blanchiment le caractère d’un       « bien public mondial ».Lors de son discours au Comité monétaire et financier international le 24 septembre 2000, Laurent Fabius, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie rappelait cet impératif en indiquant que « la lutte contre le blanchiment d’argent dans le monde doit être au cœur de nos préoccupations. Les effets néfastes du blanchiment d’argent sur la stabilité du système financier international et sur le développement durable de l’économie mondiale, notamment celle des pays émergents, ne sont plus à démontrer (…) Il appartient désormais au FMI et à la Banque mondiale de prendre pleinement en compte, dans la définition de leurs priorités et dans leurs programmes, la question du blanchiment d’argent en général et les conclusions de ces travaux multilatéraux en particulier. Les Institutions Financières Internationales ont un rôle majeur à jouer pour inciter, voire contraindre, les pays non-coopératifs à appliquer convenablement les normes internationales, en particulier les 40 recommandations du GAFI. Pour ce faire, elles doivent envisager de restreindre ou de soumettre à conditions leur soutien à ceux des pays et territoires non-coopératifs qui refuseraient de modifier leurs règles et pratiques dommageables ». Toutefois, les réticences demeurent nombreuses au sein du FMI, notamment de la part de représentants de pays ayant développé des activités financières peu encadrées et sources de revenus substantiels (…) « Le rôle de la Banque Mondiale »« La Banque Mondiale et ses filiales (SFI et MIGA) sont triplement concernées par la lutte contre le blanchiment en tant qu’établissements financiers, les institutions du Groupe Banque mondiale doivent être particulièrement vigilantes sur toutes les questions relatives au blanchiment et la lutte contre la criminalité dans la conduite de leurs opérations. Enfin, la Banque Mondiale joue un rôle important, avec le FMI, dans la promotion de la stabilité financière internationale, qui constitue un bien public mondial (…)Et Laurent Fabius de rajouter, dans son discours au Comité du Développement, Prague, 25 septembre 2000 : « Les Institutions de Bretton Woods doivent s’impliquer fortement dans ce combat. Cette implication peut se faire de différentes façons. Elle devrait au minimum se traduire par la prise en compte de cette question dans les travaux d’analyse et de diagnostic qui sont réalisés pour chaque pays. Au-delà, il faut s’interroger sur la pertinence de continuer à aider des pays qui figurent sur les listes noires du GAFI et ne modifieraient pas leurs pratiques. » « La lutte contre la corruption »Depuis plusieurs années et notamment depuis 1997, le FMI a intégré la lutte contre la corruption comme une priorité dans ses activités.  En aidant les autorités à réformer les administrations fiscales, ainsi que les procédures budgétaires et la gestion des finances publiques, le FMI apporte son aide aux gouvernements  des pays membres pour lutter contre les pots-de-vin, la corruption et autres activités frauduleuses. L’assistance technique du Fonds pour la production des statistiques économiques et financières favorise également la transparence et la lutte contre la corruption.  En outre, les progrès accomplis récemment en matière de transparence (publication des rapports du FMI) sont importants non seulement en termes de responsabilisation des autorités bénéficiant du soutien du FMI, mais aussi parce que celles-ci peuvent ainsi mieux internaliser les politiques économiques et financières (…)Dans cette même perspective, le FMI envisage de contribuer, selon des modalités qui restent à définir, à une bonne mise en oeuvre de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption dans les transactions internationales. Cette initiative témoigne du rôle majeur joué par cette Convention de l’OCDE qui prévoit l’incrimination d’actes de corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

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La mise en place de toutes ces comités, conseils ou commissions, ainsi que de toutes ces mesures de rétorsions, montre bien, s’il en était besoin, que le système financier international est utilisé par des profiteurs et des spéculateurs, à des fins inavouables et immorales et est gravement malade de ces maux qui ont pour nom : iniquité, illégitimité, insécurité, rivalités, imprévisibilité, libéralités, opacité, blanchiment et corruption.

L’ensemble des observateurs, à l’unanimité, est conscient de l’importance considérable du rôle du FMI dans le règlement de ces maux et des crises financières et économiques, même s’ils divergent dans leur appréciation des choix adoptées par l’institution majeure de Bretton Woods.

L’enjeu est clairement défini, espérons que le FMI sera se montrer à la hauteur, ce dont nous doutons si on se réfère au passé, au présent et à son hypothétique avenir. Alors, il serait peut-être temps de réunir de nouveaux Etats généraux de la finance et la monnaie et de bâtir un nouvel édifice, un Bretton Woods « relooké » pour un nouveau projet économique !