Crise de la presse : le Canard perd des plumules

J’avais abordé, mode survol, et pas au radada, la question de la perte d’influence, donc de rentabilité, et diffusion, du Canard enchaîné. C’était voici quelques semaines (faisant sans doute des mois). Confirmation avec les chiffres officiels publiés en page quatre du volatile de cette semaine. Une diffusion reculant de 5,7 % en 2012, en dépit d’une année électorale, d’un prix restant populaire (et même en infime baisse), des bisbrouilles de la majorité et de la zizanie régnant dans le camp remercié.

Un recul de 5,7 % de la diffusion. Pas de quoi mettre Le Canard enchaîné sur le flanc. D’une part, les finances restent florissantes (grâce à la diffusion des « Dossiers », dont le dernier porte sur la Corse), d’autre part, en lente progression d’une année sur l’autre, les ventes du volatile avaient connu un pic en 2011.

N’empêche, « caneton » ô combien fidèle, je pressens une lente érosion. Pas forcément un déclin. Tout simplement parce que ces « Messieurs » du Canard ne vont pas se presser, se précipiter, mais qu’ils réagiront, de manière adéquate, je l’espère.

Lors du passage à l’euro, le prix de vente du Canard enchaîné avait (très) légèrement baissé. Tous les éditeurs devant arrondir l’avaient fait à la hausse, pas les éditions Maréchal. Depuis… C’était combien, déjà, le prix en francs, puis en euros, du Monde, en 2000-2002 ? En tout cas, c’était plus de 1,20 € en 2005. Passé de trois francs (d’avant les nouveaux) en seconde année d’existence, à je ne sais plus combien de milliers (en francs d’avant 1960) actuellement (mais en euros, ce la reste inférieur à deux), Le Monde, au quotidien, est devenu un luxe. Le Canard beaucoup moins, même si on ne compare pas un hebdo de huit pages à un quotidien tel le défunt France-Soir (0,50 € en période promotionnelle de relance).

En ces temps de vaches maigres pour la plupart des déclassés devenus précaires puis pratiquement rien, le prix, ce n’est pas rien. En tout cas pas négligeable. Quatre numéros du Canard reviennent moins cher (le différentiel est de 20 centimes) qu’un mois d’abonnement à Mediapart. Mais l’avantage était-il resté au Canard ? C’est toute la question. Certes, les deux supports ne sont pas comparables. L’excellente page six, la « culturelle » livres-ciné, du Canard, n’a pas vraiment son équivalent sur Mediapart. Lequel n’est pas très friand de potins et bruits de coulisses.

Le problème, c’est que, justement, ces bruissements de l’actualité politique se retrouvent en quasi-instantané en ligne, et que de ce point de vue, le Canard n’apporte rien de plus, ou très rarement. Quant aux enquêtes et révélations d’envergure, eh bien, c’est devenu très creux, ou le plus souvent à la traîne. Reste le « social, vivant, humain », les faits significatifs du quotidien. Mais Rue89, gratuit, s’en tire fort bien dans ce domaine.

En 2012, le Canard s’est vendu à un peu moins de 500 000 exemplaires hebdomadaires. Sachant que les ventes aux compagnies aériennes s’adressent déjà à des lecteurs ou abonnés, que les ventes à l’étranger sont diversement consultées, il faut certes minorer l’influence du Canard mais aussi relever qu’elle reste vivace et que, financièrement, tout va bien (tandis que c’est loin d’être le cas dans la presse en général).

N’empêche que la une, hors crobards des caricaturistes, n’apporte plus rien, que la huit resuce ce qui est paru ailleurs, comme d’ailleurs nombre d’autres pages, question révélations, dossiers, enquêtes d’investigation, on ne voit plus trop la spécificité de l’apport du Canard.

Et c’est sans doute ce qui explique qu’en 2013, la chute sera plus grande encore. Peut-être double ou triple (en pourcentages), si l’on en croit PressNews et les résultats des deux premiers trimestres.

Qu’on puisse lire les contenus en ligne, en léger différé (les pages numérisées sont disponibles sur http://lecanardenchaine.olympe.in/ – jusqu’à quand ? on verra), n’est sans doute pas la raison de la légère régression des ventes. Je crains que, outre les aléas de l’actualité (des périodes sont porteuses, d’autres pas), le manque d’enquêtes d’envergures, longues, sans doutes coûteuses (mais le Canard est pratiquement le seul à pouvoir investir, hors sujets pipeule), et peut-être une certaine lassitude de la réaction, repue et désabusée, soient à prendre en compte.

Peut-être est-il temps de réfléchir. Pourquoi pas à un changement de formule ? Private Eye, le très impertinent équivalent britannique, pourrait peut-être fournir quelques idées… 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Crise de la presse : le Canard perd des plumules »

  1. Bonjour Jef :
    De plus en plus de magazines, ou de quotidiens, font maintenant payer pour lire les infos qu’ils envoient quand on a demandé son inscription à la « New Letter » quotidienne.
    C’est le cas des Échos, de Capital.fr, de La Voix Du Nord,Le Figaro, et j’en passe…
    La presse papier ne fait plus recette.
    Cette contribution (rarement plus d’un €) est relativement nouvelle pour un bon nombre d’entre eux.
    Quant aux nouvelles fraiches, nous dirons qu’elles nous arrivent un peu défraichies, ayant été traitées et référencées au moins 5 à 6 heures avant la réception du mail.
    Les alertes, les flashs infos de France24 restent celles qui nous arrivent le plus rapidement.
    Personnellement, levée tôt, couchée tôt, je préfère écouter RTL matin, quand je veux exploiter un sujet, mais là encore il faut se dépêcher, car très vite, tout çà est repris par les Médias ayant pignon sur le net.
    Nous devenons les relayeurs de l’info, et il nous faut un réel potentiel d’implication personnelle pour figurer sur Google (en particulier)

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