« Tout est faux, je ne fais pas de la politique pour m’enrichir », a déclaré le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, après la publication par El Pais des carnets du trésorier du Parti populaire (PP) qui consignait les montants des enveloppes destinées à gonfler les revenus des caciques de son parti. Dont acte, il y a toujours des oubliés, et l’exception confirme la règle ?

Évidemment, tout comme le chirurgien-capilliculteur Jérôme Cahuzac ne s’est pas lancé dans la politique pour s’enrichir et bénéficier d’avantages en nature, Mariano Rajoy a ressenti l’appel pressant du bien public et s’est voué d’abord au bien-être de ses concitoyens, tel un Mahatma Gandhi.
Mais il se trouve qu’il était bien mal entouré… selon la presse espagnole.

En Espagne, l’affaire Gürtel a rebondi et s’est élargie. Révélée en 2009, elle a fini par éclabousser Ana Mato, ministre de la Santé, dont la famille bénéficiait de libéralités d’un entrepreneur qui arrosait diverses personnalités du Parti populaire (PP).
Voyages, nuitées, voitures de location : environ 10 000 euros de cadeaux pour l’ancien maire de Porzuelo et son épouse, l’actuelle ministre de la Santé, la sémillante Ana Mato.
Les trois enfants du couple en bénéficiaient aussi.
Même la majordome, Rosa Ortiz, avait ligne ouverte et les fêtes familiales donnaient lieu à d’abondantes dépenses prises en charge.

À présent, la ministre assure avoir tout ignoré : seul son époux savait.
Elle même ne savait pas que la Jaguar que son mari avait reçu en 1999 était un cadeau.

Mais ce n’était qu’un à-côté des mœurs des politiciens du PP. Depuis, les carnets de l’Éric Woerth espagnol, Luis Barcenas, trésorier du parti pendant 18 ans, détenteur d’un compte en Suisse via lequel ont transité quelque 22 millions d’euros, ont révélé que des dirigeants du parti touchaient des compléments occultes de rémunération. Il y avait aussi en Espagne un équivalent du Premier cercle sarkozyste : des chefs d’entreprise, surtout des Bouygues locaux, crachaient aux divers bassinets.

Cela pouvait se monter pour des promoteurs ou entrepreneurs du BTP jusqu’à 530 000 euros. El Pais a publié certains comptes dans lesquels le nom de Mariano Rajoy apparaît pour plus de 25 000 euros annuels. 

Le PP nie tout en bloc mais le président du Sénat, Pio Garcia Escudero, qui avait touché 30 000 euros en 2001, confirme : c’était un prêt destiné à financer la reconstruction de sa maison détruite par l’ETA. Nul doute qu’elle était mal assurée et que ses assureurs avaient chipoté sur tout.

Du coup, Rajoy assure qu’il va faire toute la lumière sur ses déclarations fiscales de revenus, qu’il va tout déballer tel un Jérôme Cahuzac. Tout va sortir au grand jour. Tout sera, dans le moindre détail, exposé sur le site de la Moncloa (le site officiel gouvernemental), ce n’est qu’une question de jours.

Rajoy assure qu’il a aussi perdu « beaucoup d’argent » en se consacrant à la vie publique. Il voulait faire, comme Nicolas Sarkozy, « changer les choses » et bouger les lignes.

Le Comité exécutif national du PP a été convoqué pour clarifier tant le cas Barcenas que le cas Gürtel. Selon Mariano Rajoy, les documents publiés par El Pais sont « apocryphes ». Il a évoqué des supputations infâmes. En tout cas pas si infimes, mais très intimes pour son parti. Il évoque aussi, gaullien, que c’est lui ou le chaos.

Ana Mato restera à son poste, la cohésion gouvernementale restera indéfectible. D’ailleurs, si Barcenas détenait un compte en Suisse, ce n’était pas celui du parti : « Le PP n’a jamais détenu de comptes dans des pays étrangers. ».

La secrétaire générale du PP a déclaré que son parti était dirigé par un président “de lujo” (de luxe ou de tout premier plan, c’est selon). Dolores de Cospedal figure aussi sur la liste Barcenas. Elle parle donc d’or.

Le Comité exécutif national du PP comprend divers ministres, Soraya Saenz de Santamaria, José Maunel Garcia-Margalla, Alberto Ruiz-Gallardon, Jorge Fernandez Diaz, Chritobal Montero, Fatima Bañez, Ana Pastor et Miguel Arias Cañete.

Le Premier ministre espagnol aura deux rendez-vous avec la presse internationale (dont la Britannique, aux questions parfois abruptes), d’abord à Berlin, lundi, puis à Bruxelles, jeudi. Pour le moment, des Espagnols manifestent régulièrement devant le siège du PP, rue de… Gênes, au déplaisir des résidents.

Selon une consultation en ligne du site d’El Mundo, 76 % des répondants considèrent que Rajoy a menti.

Alfredo Pérez Rubalcaba, du PSOE, a regretté que les affirmations de Mariano Rajoy ne s’accompagnaient pas d’explications. Il a évoqué une hydre à sept têtes, dont les cas Gürtel et Barcenas n’en seraient que deux. Il s’est aussi gaussé de la divulgations des déclarations fiscales : l’argent noir n’y figure évidemment pas – « restons sérieux », a-t-il ajouté.

Rubalcaba a ajourné ce dimanche un déplacement au Portugal où se tient une réunion de l’Internationale socialiste.

Depuis le siège du PP, une manifestation est partie ce samedi soir, à Madrid, vers le centre-ville et la Gran Via (l’artère centrale historique). À Barcelone, près de 1 500 personnes se sont réunies sur la place de la Catalogne. D’autres manifestations se déroulent à Saragosse. 700 000 personnes ont déjà signé une pétition en ligne exigeant la démission du gouvernement.
Hormis les manifestants, seul Cayo Lara Moya (Izquierda Unida, IU) a demandé la démission du gouvernement et des élections anticipées.

Parmi les récipiendaires figurant sur les documents publiés par El Pais se trouvent aussi un ancien du FMI, Rodrigo Rato, et un ancien dirigeant de Bankia, banque ayant dû être sauvée par les contribuables espagnols.

Les dirigeants du PP ont annoncé l’intention de porter plainte contre les titres de presse ayant relayés les informations, dont bien sûr El Mundo et El Pais : vaste programme !

Aux marges de ces affaires apparait aussi le présumé traitement de faveur dont aurait bénéficié Pedro Sanz, le président de la La Rioja, membre aussi du PP. Son chalet de Villamediana serait le fruit d’un arrangement avec une entreprise, Foralia, qui l’aurait érigé à un prix dix fois inférieur au marché. Cela résulterait de l’adjudication d’un projet d’aménagement de la berge gauche du Tiron pour 5,8 millions d’euros. Le chalet aurait été de plus érigé en dépit des réglementations. Ce dernier a répliqué qu’il avait des liens d’amitiés avec les dirigeants de la société mais que tout était « transparent ».

Il se passe peu de semaines en Espagne sans que des cas de corruptions, localisés, soient dénoncés. Au total, environ 300 cas depuis 2008, mais très peu de suites judiciaires.

Le New York Times a donné la parole à un universitaire madrilène, Antonio Argandoña, pour lequel « le séisme va s’étendre car des informations plus compromettantes vont surgir (…) la seule voie de sortie serait la judiciaire, ce qui, malheureusement, dans ce pays, peut prendre des années. ». Pour lui, peu changera : « on ne peut s’attendre à ce que les politiciens scient la branche sur laquelle ils sont assis. ».

Toute comparaison avec des faits existants ou ayant existé en d’autres pays voisins de l’Espagne serait bien évidemment fortuite, nulle et non avenue, et résultant du pur hasard.