Compte en Suisse : les sacs de Cahuzac

Eh oui, Jérôme Cahuzac, ancien président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale, et actuel – jusqu’à quand ? – ministre du Budget, aurait eu un compte en Suisse, à l’UBS, transféré en 2010 vers l’Asie. C’est du moins ce qu’affirme, sans trop de conditionnels, Fabrice Arfi, de Mediapart. Après Éric Woerth, héraut de la lutte contre la fraude fiscale, voici Jérôme Cahuzac pris la main dans le sac de ses « sacs » ? Pas brillant, et très gênant après l’affaire Lamblin…

Au fait, elle en est où, l’affaire El Maleh-Lamblin ? Indulgence du fisc et de Jérôme Cahuzac à l’endroit d’André Abergel, Maurice Botton, Albert Hanouna, Robert Sellam, Florence Lamblin (et Isaac Khaski ?), Thierry Librati, Thierry Schimmel Bauer, Antony Pacini ?

Entre détenteurs de comptes en Suisse et dans les paradis fiscaux, on se comprend ? Pourquoi avoir été si sévère à propos de Florence Lamblin, élue EELV, qui planquait de l’argent en Suisse et indulgent quand il s’agit de Jérôme Cahuzac ?

Parce que cet homme de grande prestance, rigoureux dans le traitement des dossiers, parfaitement affable (il nous avait reçu dans son bureau à l’Assemblée l’an dernier), est plus sympathique qu’une vulgaire négociante en joujoux et godemichés qui ne livrait pas toujours la clientèle tout en encaissant les chèques ?

Ou tout simplement parce que les faits que Mediapart lui impute ne sont pas tout à fait clairs comme de l’eau de roche et qu’il faut donc attendre les réponses aux questions qui lui ont été posées ?

Questions précises,
démenti formel

Ces questions, les voici :

• Pourquoi ne pas avoir déclaré ce compte en Suisse, ouvert à l’époque où vous étiez conseiller du ministre de l’industrie, Claude Évin ?
• Pouvez-vous nous préciser l’origine des fonds ?
• Avez-vous envisagé la clôture de ce compte fin 2000 ?
• Avez-vous été informé que votre prédécesseur, Éric Woerth, avait été informé en juin 2008 ?
• L’ancien ministre ou l’administration vous ont-ils alors alerté ?

Il manque une question : « détenez-vous un compte à Singapour ? ».

Jérôme Cahuzac, à la suite de ses questions à la fragrance très « copains et coquins » aurait depuis inondé de textos Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart. Woerth n’aurait rien su : on lui cachait tout, on ne lui disait rien. Le ministre du Budget aurait rencontré Mediapart mardi 4 décembre, au ministère du Budget. Et il a tout démenti : une information, un démenti, deux informations ?

Voui, mais, auparavant, Cahuzac aurait admis avoir eu un compte chez UBS « pas forcément la plus planquée des banques ». Le compte, selon Mediapart, aurait été transféré à Singapour. Et il aurait pu financer, auparavant, l’achat d’un appartement.

Bref, qui croire ? 

Jérôme Cahuzac était naguère médecin-capilliculteur (posant des implants masquant la calvitie), puis député-maire de Villeneuve-le-Lot. Dès juin 2008, un agent du fisc, Rémy Garnier, s’inquiète des liquidités de celui qui allait devenir, en 2010, président de la commission des Finances à l’Assemblée, puis, à présent, ministre du Budget, chargé de traquer les fraudeurs fiscaux.

Sous dossier 0 901 621-5, l’inspecteur Garnier dépose un memorendum qui serait toujours dans les archives du TA de Bordeaux. Il n’est pas très sûr de la validité de ses sources et demande un examen approfondi de la situation fiscale de Cahuzac, Jérôme, ci-devant député.

En remerciement, l’inspecteur reçoit un simple « avertissement ». Il est à présent à la retraite.

L’argent de Jean-Michel Jarre ?

Le ci-devant Cahuzac aurait, fin 2000, déjà détenu un compte chez UBS à Genève. On se sait s’il l’avait utilité déjà pour acquérir son appartement parisien de l’avenue de Breteuil, en payant cash, alors qu’il affirmait à La Gazette de la Vallée du Lot l’avoir financé aux deux-tiers grâce à un emprunt. Or, il est avéré qu’en octobre 1994, Cahuzac verse l’équivalent de 6 000 euros, soit les deux-tiers du prix d’achat d’alors, en apport personnel. Le prêt ne représente que le tiers de la somme. Bon, il est possible qu’il ait été aidé par des personnalités du monde du spectacle, par exemple, avec des prêts privés. N’allait-il pas par la suite divorcer pour épouser la fille du musicien Jean-Michel Jarre et de Dany Saval ?

On est en plein, avec l’épisode Woerth, dans l’UMBPS (pour UBS, UMP, PS). Tandis que Moscovici et Cahuzac proclament qu’ils viennent de proposer à Michel Barnier et Algirdas Semeta un ensemble de propositions pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale, plaident pour le partage de l’accès des fichiers des pays de l’Union européenne, et une nouvelle directive plus drastique, voici donc l’un des protagonistes soupçonné de faire filer sa cagnotte à Singapour.

« Je poursuivrai tous ceux qui reprendront cette calomnie gravement diffamatoire », twitte l’intéressé.

Deux hypothèses : Mediapart s’est fait intoxiquer ; Mediapart a de vraies billes.

Pour le moment, Le Parisien et L’Express, Le Monde, ont fait été de cette « calomnie gravement diffamatoire », sans trancher. Sur le mode du Figaro et de la presse régionale : « le ministre dément. ». Pas fou, le ministre. La presse suisse embraye.

« Mediapart que j’ai souhaité rencontrer n’a pas accepté de produire le moindre document étayant leurs informations délirantes. À supposer qu’ils existent, je peux par avance qualifier ces soi-disant documents comme des faux grossiers construits et colportés dans l’intention de nuire. ».

Voui, mais Fabrice Arti insiste : « le ministre suppose que si des documents existent, ce sont des faux… énorme comme défense. ».

Ben, voui et non. Se faire intoxiquer, dans la presse, c’est très courant. Sauf qu’autrefois, les vrais-faux ou faux-vrais étaient beaucoup plus faciles à détecter. En général, Mediapart publie (en fac-similé) les documents qu’il a pu détenir. Là, ce n’est pas le cas. Il se peut que des documents aient été montrés, mais que leur photocopie n’ait pas été autorisée. Ce qui peut s’expliquer. On se souvient qu’un chroniqueur-investigateur économique du Monde s’était fait condamner pour subtilisation et recel de documents authentiques.

De son côté, Woerth indique au Figaro qu’il n’a « jamais eu connaissance du moindre document ou témoignage concernant la situation fiscale de Monsieur Cahuzac lorsque j’étais ministre du Budget. Pour moi, cela n’a jamais été un sujet. Si l’administration fiscale avait eu des soupçons, les vérifications auraient suivi leurs cours. ». On peut effectivement penser que, s’agissant d’un député socialiste, Woerth aurait été mis au parfum.

La presse étrangère, dont Gândul (Roumanie), s’est empressée de relayer l’info. Heute (Autriche) aussi. De même qu’El Pais, Der Standard, &c.
Bref, restons dans l’expectative. On peut tout imaginer. Y compris une tentative de mettre l’existence de Mediapart en danger… Car on ne veut croire qu’un socialiste visant le portefeuille de Cahuzac ait tenté une telle manœuvre (quoique… cela s’est vu, de tels coups tordus).

Car le titre n’est complaisant à l’endroit d’aucune des formations politiques en présence. Pas même le Front de Gauche (et Mélenchon n’arrête pas de se déclarer victime de Mediapart, entre autres). Ce qui est sûr, c’est que Mediapart n’aurait jamais risqué un « coup » journaliste de ce niveau sans quelques garanties. Affaire à suivre, donc, et qui sera forcément suivie… de très près.

Un truc devrait intéresser les confrères et consœurs : écrire que Cahuzac aurait détenu un compte en Suisse est une chose. Poursuivre en indiquant que les fonds auraient transférés à Singapour en est une autre. Que l’on sache, Mediapart n’achète pas ses infos. Faut-il chercher le bedeau (le Suisse ou résident en Suisse) ? Ou du côté de Google, Amazon, Starbucks, et d’autres multinationales que Cahuzac avait dans le colimateur ? Revanche du groupe de pression des brasseurs dont les produits seront taxés ? Depuis les affaires de Broglie, Boulin, &c., en France, on aura tout vu…

Ponce Pilate

On s’intéressera aussi au fait de la rencontre entre Woerth et Cahuzac. Quand, au juste ? Car ils se seraient rencontrés (Cahuzac reprend la formule : « les yeux dans les yeux »). C’était avant (et ça, c’était avant) ou après l’article de Mediapart ?

N’empêche, il ressort aujourd’hui que Cahuzac aurait employé une assistance philippine sans papiers dans son cabinet médical et qu’il aurait été condamné pour avoir employé aussi une femme de ménage dépourvue de papiers : comme un vulgaire restaurateur encarté à l’UMP. Qu’il détient deux appartements de grande surface à Paris dans de beaux quartiers. Que, comme Dray, il détenait de nombreuses montres de collection (à plus de deux-trois milliers d’euros la tocante, oh, pardon, le garde-temps).

Cela donne quand même l’impression que certains se tiennent moins par la barbichette qu’ils ne forment une caste cohérente. Pauvre Lamblin, petite joueuse ! Qui a enterré le dossier de la vente de l’hippodrome de Compiègne (vendu au forceps par Woerth) ? 

Dans le dixième arrondissement parisien, un contrôleur du fisc rackettait des commerçants depuis un an. Il s’est fait prendre par la police. Rémy Garnier avait, lui, contesté le sabotage de dossiers de contentieux. Jérôme Cahuzac, alors député, était venu au secours de France Prune, une association de coopératives que « Columbo » (surnom local de Garnier) avait contrôlée. Garnier finira au placard, puis Sarkozy lui inflige deux ans de mise à pied. Il lui faudra deux recours en cassation pour être blanchi.

Cahuzac s’en était lavé les mains : « j’avais d’autant moins à m’en mêler que je n’étais plus député en 2002 » (déclaration à Sud-Ouest). Cahuzac sera l’invité de RTL le 6 décembre au matin. En 2002, c’est vrai, il n’était plus que président de la commmunauté de communes du Villeneuvois. Mais les ennuis de Garnier débutent fin octobre 2001. RTL saura-t-elle le lui remémorer ?
L’honneur de Cahuzac est peut-être bafoué, mais celui de Rémy Garnier l’a été tout autant. Sans que Cahuzac, qui disposait de relais, ait tenté de bouger le petit doigt. Son présumé compte en Suisse ou à Singapour, s’il n’existe pas, fera « pschitt ». Le reste subsistera.

Qu’en retenir ?

Selon L’Express citant un collaborateur de Jérôme Cahuzac, si les informations de Mediapart étaient fondées, « il aurait démissionné sur le champ, ça n’aurait servi à rien de faire durer le supplice. ». Bon, admettons. Au fait, Jérôme Cahuzac n’a pas encore démenti détenir un compte à Singapour. Nuance ?

Que retenir dans l’immédiat de tout cela ? Que ce ne sont pas les René Dosière, Gérard Filoche ou Rémy Garnier que le Parti socialiste s’attache en priorité à promouvoir. Qu’on se « rassure », avec Collard ou la nièce Le Pen, c’est idem au Front national. Mais, cela, on le savait déjà.
Ou alors, on aurait été trompés à l’insu de notre plein gré ? Un démenti de Cahuzac ne serait pas mal venu…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

7 réflexions sur « Compte en Suisse : les sacs de Cahuzac »

  1. On verra si cela fait les gros titres comme ce fut le cas pour Eric Woerth ! On aperçoit déjà plus Lamblin ! Pas un mot aux actualités ce soir ! Vous me direz que je coupe les cheveux en quatre ! A suivre ……

  2. Pour précision : depuis, dans un communiqué, Jérôme Cahuzac affirme qu’il n’a non seulement pas détenu de compte en Suisse mais non plus dans aucun pays étranger…

    Bon, à quand une rencontre, puis une autre, en tête à tête entre Cahuzac et Plenel (comme à l’UMP) ?

    L’hypothèse d’une manipulation de [i]Mediapart[/i] est sérieuse. Pour le moment, le site campe sur ses positions sans donner d’autres détails.
    Le précédent : l’affaire Jimmy Saville au Royaume-Uni. Des parlementaires s’étaient retrouvés impliqués dans un présumé réseau de pédophilie.
    Cela avait coûté leur job à des reporters de la [i]BBC[/i] et du Bureau of Investigation (une association de journalistes) qui s’étaient montrés imprudents.
    Sans parler les mouvements à la tête de la [i]BBC[/i].

    J. Cahuzac a réaffirmé sur [i]RTL[/i] que les accusations étaient délirantes et il reproduit sur son blogue-notes un extrait de l’article du [i]Monde[/i].
    « [i]L’avocat de Jérôme Cahuzac a réfuté les informations de[/i] Mediapart, [i]ironisant sur[/i] Europe 1 : « Mediapart [i]nous dit qu’un M. Garnier a accusé Jérôme Cahuzac. M. Garnier a également prétendu dans le même document [/i](…) [i]que Jérôme Cahuzac avait, je cite,[/i] ‘une villa à Marrakech et une maison à La Baule’. Moi je dis pourquoi pas une hacienda au Mexique ? » [i]a dit Me Gilles August, précisant que le ministre allait porter plainte.[/i] « Il a un appartement avenue de Breteuil et une petite maison en Corse qui lui a été léguée par ses parents » [i]et il n’a pas de biens immobiliers[/i] « ni à la Baule, ni à Marrakech, ni au Mexique, ni de compte en Suisse », [i]selon Me August.
    Me August a reconnu que Jérôme Cahuzac avait rencontré Rémy Garnier, argumentant que ce dernier[/i], « qui est en délicatesse avec son administration », « est connu dans la région (…) parce qu’il accuse beaucoup de gens ». [i]Interrogé sur l’affirmation de[/i] Mediapart [i]selon laquelle le ministre aurait clos ce compte suisse en 2010, l’avocat rétorque[/i] : « Il est difficile de fermer un compte dont on ne dispose pas. » »

  3. Le soufflé va retombé très vite……..C’est un « homme de gauche »………donc: Au-dessus de tout soupçon !

  4. Hé oui le Jérôme, il a placé ses économies à gauche, quelque part en Asie… Ah que voulez-vous, ce sont les vraies valeurs de la gauche !

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