Cette nuit, je m’éveillais, l’esprit encore hagard, à demi perdu dans le songe que je quittais à peine. Je remis les meubles à leur place, retrouvais ma place dans le temps, mais un détail restait en suspens dans ma mémoire, un élément du rêve qui me poursuivait dans l’éveil. Je l’identifiais : c’était la sonnette stridente de l’interphone du petit immeuble dans lequel je vivais. A mes côtés, mon compagnon dormait, silencieux. La nuit était pleine encore, l’aiguille du réveil n’en était qu’aux trois heures. Dans l’inertie nocturne, ma mémoire était seule indice pour orienter mes souvenirs des évènements, de ce qui avait poussé mon esprit hors du songe. Je me souvins de fragments : la sonnette qui avait résonné dans ma tête n’était qu’un morceau de rêve. Mon esprit alors alerté, par réflexe, de ce qu’il avait lui-même créé, me fit sortir de la brume pour me plonger dans la nuit de notre chambre, comme si cette sonnette pouvait avoir retentit réellement, et qu’il fallait que je m’éveille pour y répondre. Ainsi est l’esprit humain, ses pouvoirs si étranges et inconnus de nous qu’il nourrit nos propres illusions, et mélange merveilleusement le rêve et la réalité.

Je me souvenais de ma mère qui me racontait il y a quelques années ses mésaventures nocturnes. Longtemps, elle avait été technicienne chez un opérateur de téléphonie historique. Pendant ses nuits d’astreinte, elle devait être prête à partir pour le central téléphonique quand le travail l’appelait pour résoudre des pannes. Longtemps après qu’elle est finie de travailler, rejoignant la retraite, elle était encore obligée de débrancher le téléphone car la nuit, elle rêvait que celui-ci sonnait pour l’appeler à une panne. Or, quand bien même le risque d’être appelé n’existait plus depuis longtemps, son esprit la réveillait encore la nuit, lui faisant croire à un appel. Et l’unique moyen de le rassurer était de couper le téléphone.

Alors que je m’étends dans le lit, dans l’attente que le sommeil me gagnât à nouveau, je devenais attentif à la chambre :

Compagne de mes insomnies, l’aiguille des secondes qui marquait de ses pas sonores le temps qui s’écoulait alors que j’espérais, enfiévré, que le sommeil m’étreignît à nouveau et m’emportât loin de l’attente, dans ses circonvolutions voluptueuses.  Enfant, je l’entendais déjà quand je ne trouvais pas le sommeil. Dans la chambre que je partageais avec mon père, le « tic-tac » était émit par un réveil rond à deux pieds métalliques, avec un contour rouge rassurant. Dans ma chambre d’adolescent, c’était une pendule offerte par ma grand-mère dont l’aiguille des secondes avait la forme d’une vache. Partout où je dormais, il y avait une pendule qui produisait ce son rassurant, ce temps qui passe alors qu’on attend le sommeil.

La lumière qui filtrait par les rideaux de la fenêtre de la rue dessinait des figures claires sur le plafond, comme des tâches de Rorschach. Ils avaient un aspect hypnotique mais loin d’endormir mon esprit, ils l’excitaient, lui donnaient matière  penser, et je me souvenais de ces même figures dans chaque chambre que l’on occupe, au-dessus de chaque rideau par lesquels la lumière des réverbères, ou de la lune, dépose un filigrane blanchâtre sur le plafond.

Puis bientôt, sans même qu’on s’en redît compte, le sommeil nous gagne à nouveau, et on ne garde que l’impression vague, au réveil, de n’avoir que peu dormi, de n’avoir fait qu’un trop rapide voyage aux songes, et de s’être fait un peu voler sa nuit.

"Nuit étoilée", Van Gogh (1988)