La page électorale tournée, la question qui se pose à l’UMP est « quel appareil, quel équipage pour l’UMP ?». Question appareil, ce ne sera pas l’Airbus Sarko I : même si des fonds provenant de riches donateurs renflouent la tirelire largement ébrèchée, faire étalage de moyens extravagants susciterait, après l’affaire Bygmalion, quelques suspicions… Pour l’équipage, alors que Sarkozy a beaucoup débauché chez Fillon, Juppé, Bertrand et même Mariton, il faudra un commandant de bord très présent aux manettes sachant museler les trop bavards, atténuer les discordances. Il serait question d’un Mazarin, ou plutôt d’un abbé Dubois, en la personne de l’ex-commissaire de police Frédéric Péchenard

L’UMP, combien de divisions? On ne sait… Combien d’adhérents à jour de leur cotisation ? Là encore, y compris des gens ayant retourné leur carte ont pu voter ou choisir de s’abstenir… Mais les effectifs sont faibles. Peut-être un peu plus de 200 000 cotisants réels, en étant généreux.

Cela étant, peu importe. Faute de militants, on trouve toujours des sympathisants (et surtout sympathisantes, d’ailleurs, âgées et donc disponibles) pour remplir les bus et les voitures de la SNCF. Nicolas Sarkozy n’a rien à craindre, il continuera de faire salle comble.

On pouvait s’étonner qu’un vote électronique demande trois-quarts d’heure de dépouillement. Mais l’épisode est révolu, car du moment que les candidats ne l’ont pas contesté – même si Mariton a exprimé quelques timides réserves – le scrutin est un fait acquis, bien ou mal n’importe plus.

Le problème, pour Sarkozy, c’est qu’il a réussi à convaincre nombre d’opposants potentiels de se ranger derrière, laissant miroiter tel ministère à l’un, telle future prébende à l’autre. Son nouveau deal d’ouverture tient davantage à une volonté de blanchir les lignes ennemies qu’à confier de véritables postes de décisionnaires à des ralliés.

Les fonctions à l’UMP conféreront un certain prestige, permettront de gonfler des notes de frais, mais ne peuvent guère être fort rémunératrices en raison de l’état officiel des finances.

Que les diverses sensibilités des affiliés de circonstance s’expriment discrètement, en petit comité, n’inquièterait guère le futur candidat à la présidence. Bien au contraire :chacun pourra croire entendre ce qu’il espère, partant du principe que les dires parfois fâcheux du candidat pour le bon peuple ne l’engageront en rien.

Par exemple, si tous les partisans de la Manif pour tous avaient été persuadés que Nicolas Sarkozy reviendrait profondément sur les actuelles modalités du mariage dit « homosexuel », Mariton n’aurait pas fait son plein de voix (il a dépassé de plus d’un point ce dont il était par avance crédité).

Mais il faudra que l’appareil soit verrouillé pour éviter que des nuances, voire des contradictions, contrecarrant les déclarations publiques de Nicolas Sarkozy, ne soient proférées haut et fort, ex catedra.

Or, pour ne prendre qu’elles, comment une Dati ou une Morano peuvent-elles encore exister et attirer l’attention ? Renchérir sur les fortes paroles d’un Nicolas Sarkozy, en les paraphrasant, n’attire guère les micros et caméras. Laisser présupposer ses intentions reste le rôle dévolu à Hortefeux.

C’est donc à un ancien de l’antiterrorisme et de l’antigang (ce qui lui avait permis de laisser le maire de Neuilly se mettre en valeur lors d’une prise d’enfants de maternelle pour otages) qu’un poste crucial est promis. Qu’il soit ou non nommé directeur-général ou à d’autres fonctions importe peu, ce sera certainement lui qui régira la boutique.

Car on doute fortement que Sarkozy ait la velléité de s’occuper de l’intendance, si ce n’est pour aller récolter des donations, ou désigner qui doit succéder à Bygmalion.

Le différend avec de Villepin étant réglé, Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de l’ex-Premier ministre chiraquien, sera sans doute aussi publiquement réservé qu’un Fillon campant à Matignon. Sauf s’il subodore que sa relative discrétion ne sera jamais récompensée.

Mais on ne voit plus trop comment Sarkozy va convaincre l’électorat. Sur le social, son quinquennat n’a laissé que le souvenir du régime des heures supplémentaires. Déjà, la proportion des salariés en ayant bénéficié n’était guère massive et rétrospectivement, un certain nombre finit par réaliser que c’était surtout un moyen de ne pas concéder des augmentations durables. Ensuite, le travailler davantage pour gagner davantage peut certes convaincre des chômeurs… à condition qu’ils retrouvent un emploi ou se trouvent des clients pour leurs autoentreprises. Mais comme la robotisation avance à très grands pas, non seulement dans le domaine industriel mais en de multiples secteurs, faute d’instaurer les 32 ou 30 heures, il ne reste plus qu’à faire miroiter que deux demi-emplois cumulés amélioreront le pouvoir d’achat. Tant bien même l’Allemagne serait-elle persuadée de relancer de grands travaux à l’échelle européenne que ceux-ci emploieront beaucoup moins de personnes qu’auparavant. Voyez le volume des tunneliers pilotés par des équipes réduites.

D’ailleurs, la fibre sociale est bien incarnée à présent par le Front national (le très libéral site Atlantico compare Marine Le Pen au Georges Marchais du PCF d’antan), au moins dans les esprits de ses électeurs.

Reste donc le sociétal, l’immigration (guère plus jugulable par des dispositions réglementaires que sous le précédent quinquennat ou l’actuel), et « les valeurs ». Sarkozy pourra plaider pour les récitations, les dictées et l’ânonnement des tables de multiplication dans les écoles, l’étude étendue de Victor Hugo et des Dumas en cours de français au détriment de Montaigne ou Flaubert et Zola, sans forcément convaincre que le FN ne ferait encore plus drastique.

En politique étrangère, dont Françaises et Français seront peut-être forcés de redevenir préoccupés, on ne voit pas Sarkozy s’opposer à Poutine davantage que sur la question de la Géorgie, ni influencer les conservateurs britanniques ou faire mieux que Hollande contre le terrorisme islamiste. Promettre de regonfler le budget de la Défense sera-t-il vraiment crédible ? Quant aux effectifs, les moyens ne permettraient pas plus à Sarkozy qu’à Ségolène Royal de rétablir un service militaire (dans quels locaux d’ailleurs, après toutes les fermetures de casernes depuis dix ans ?).

Pour paraître tenir l’estrade sans laisser penser qu’ils abondent les propos à venir de Juppé ou Fillon, voire de Bertrand et quelques autres, les UMP voulant rester en vue et faire de l’audience vont tenter de faire preuve d’imagination. Sarkompatible ou pas ?

Imagine-t-on un Sarkozy se comportant en Monsieur Loyal animateur de débats sur le mode d’un sous-préfet s’efforçant d’amener des élus locaux à une synthèse ? Il sait certes se montrer très pragmatique, mais cela suppose de se cantonner dans le banal et le déjà redit en matière d’idées fortes.

Quant aux investissements à venir, on commence à s’apercevoir de l’ampleur des dégâts provoqués par les partenariats public-privé, l’autonomie d’universités privées de dotations d’État, la faiblesse des hôpitaux et la précarité de moyens des maisons de retraite qui ne peuvent attirer les super-riches. Hormis privatiser encore davantage, avec les conséquences plus fortement constatées à l’usage, ou renoncer à honorer la dette, la marge est étroite et le verbe ne suffit plus à l’élargir. Question mesures réduisant encore davantage le pouvoir d’achat de la grande majorité des ménages, Fillon se chargera d’en rajouter. En 2011, il n’avait pas « de baguette magique » pour l’améliorer, et en 2015, il lui faudra maquiller la trique en bâton de berger. Cela ne l’empêchait pas de se contredire et d’avancer, sur directive de l’Élysée, qu’il avait progressé de 6 % (en réalité, de 3 %, lui répliquait Guéant, oubliant de préciser qu’il stagnait depuis 2007).

Si Sarkozy, comme tout autre s’y risquant, n’a plus grand chose à promettre qui soit susceptible de remonter le revenu des huit-dixièmes des ménages, il lui faudra bien le laisser miroiter. Ce, sans être contredit sur le champ dans son propre camp. S’il en faisait trop, les ralliés éprouveront bien du mal à se rester coi, s’il n’en faisait pas assez, ses adversaires à droite souligneront qu’il est aisé de rassembler sans réelles perspectives innovantes.

Le rôle dévolu à Péchenard permettra-t-il que l’air de l’UMP reste respirable pour l’ensemble des composantes qui apparaissent encore plus hétéroclites qu’avant l’élection interne ? Par ailleurs, lors de la campagne municipale à Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet s’est créée de nombreuses inimitiés. Elle fait depuis preuve d’un peu trop de poigne au groupe municipal au gré de celles et ceux qui se contentent pour l’instant de maugréer. Elle n’est plus décidée à s’en laisser trop compter et entend bien se mettre au premier plan des seconds rôles derrière Sarkozy. Ce qui éclipse pas mal de monde. Chargée de superviser la réorganisation des statuts et de concocter une primaire au résultat voulu d’avance, sa tâche ne sera guère aisée. Ardu de faire adopter à tout le monde le profil béni-oui-oui d’un Woerth. Et pourtant, même lui n’a su s’empêcher de lâcher qu’il y avait eu « volonté d’empêcher le retour de Sarkozy ». Alors qu’on attendait de lui, comme l’a montré Estrosi, de nier cette évidence.

La première difficulté rencontrée par Sarkozy sera, ce lundi, les questions des parlementaires qui vont lui demander s’il entend vraiment ramener les députés au nombre de 400. L’idée est séduisante (moins pour les électeurs des départements peu peuplés) et si François Hollande l’obtenait des siens, il remonterait sans doute dans les sondages. Mais si Sarkozy s’enferrait, l’UDI, qu’il a gangrénée au point de marginaliser le Modem de Bayrou, pourrait se rebiffer, et engranger des investitures. De plus, le nouveau secrétaire général du FN, Nicolas Bay, a désormais les coudées plus franches pour débaucher du côté de Mariton ou même de celui de la jeune garde d’une droite décomplexée qui peut redouter une marginalisation. Nicolas Bay a nourri et approfondi de nombreux contacts à l’UMP.

Car ce qui compte le plus, ce sont les postes. Pas forcément les seuls électifs. Or les dirigeants des grandes entreprises sont rares à croire que Sarkozy pourra de nouveau l’emporter. Concéder des fauteuils de cadres supérieurs peu avant 2017 ne les enchanterait guère, en tout cas moins qu’en 2011. Même si Sarkozy était réélu président, il n’est pas assuré d’obtenir une large majorité législative. Il a affirmé sa présomption de « ne laisser personne de côté ». Les sièges, et même les strapontins, peuvent venir à manquer… Déjà, avec sa politique d’ouverture à des transfuges du PS, il avait fortement mécontenté dès son investiture. Mais depuis, même les commissions Machin et les hautes autorités Bidule ont été réduites en nombre.

C’est, beaucoup plus que ses éventuelles gamelles judiciaires – qui s’éloignent peut-être du fait de son élection – son plus lourd handicap.