Comme un vol de corbeaux sur Venise…

 

                                                Noirs corbeaux arrivant à Venise  

                        Venise, sombre avenir…

                Chacun a visité ou visitera cette ville si particulière où régna la République. Les Doges et leur Palais, ses Plombs pour récalcitrants, et ses gondoles pour amoureux.

                Pour les touristes étrangers, ce qui s’y passe ne change rien aux découvertes culturelles qui enchantent leurs séjours. Il n’en va pas de même pour la Vénétie et ses citoyens.

                Le sujet n’a pas fait les unes de France et c’est bien dommage à l’heure où M. Le Pen grimpe dans les sondages, comme si les thèmes et ses idées étaient présentables, admissibles voire souhaitables. Ses dénonciations proposent de faire disparaître les problèmes sans avoir la moindre solution réaliste dans notre situation actuelle.

                En Vénétie, nous avons un exemple de ces disparitions inquiétantes. (Certains auront sans doute en mémoire les décisions de B. Mégret jadis maire de Vitrolles.)

                Pour comprendre ce qui suit, rappelons que Battisti est au Brésil, que Lula refusa de l’extrader vers l’Italie où il est attendu pour rendre compte de ses activités terroristes anciennes. Il avait passé auparavant quelques temps chez nous, avant que l’on s’en débarrasse.

                Quel que soit le jugement que l’on puisse porter à cette affaire, les décisions de la Vénétie restent inquiétantes. Et ce n’est pas le débat actuel sur Céline qui doit cacher la forêt noire. Aussi vous est-il proposé le message de R Ferrucci à méditer. Cela pourrait devenir une situation française le jour où nous aurons oublié de nous indigner à temps.

« Chers amis,

je vous envoie la page de la Repubblica de ce matin, où l’on annonce la terrible nouvelle de la décision du Président de la Région de Vénétie, Luca Zaia (Ligue du Nord) d’interdire dans les bibliothèques et dans les écoles la diffusion et la lecture des livres des auteurs qui, en 2004, ont signé l’appel pour Battisti. Mais pas seulement ça. Des bibliothécaires ont témoigné avoir reçu l’ordre depuis des mois de ne pas donner en lecture des livres considérés comme non-éducatifs. Des dizaines d’écrivains comme Roberto Saviano, Andrea Camilleri, Gian Antonio Stella, Marco Travaglio, moi-même, ainsi que désormais les signataires de l’appel pour Battisti comme Tiziano Scarpa, Massimo Carlotto, Wu Ming, Valerio Evangelisti, Giorgio Agamben, ont déjà disparu de plusieurs bibliothèques de la région. Ils sont au catalogue, mais impossible de les prendre en lecture. Ce "projet" fasciste est né dans ma ville, Venise, où se trouve le Palais de Région, et où l’attaché à la culture de la Province de Venise, un ex-fasciste pas trop ex, a lancé l’idée lundi passé. Tiziano Scarpa et moi-même sommes déjà intervenus, dans le Corriere del Veneto (le supplément en Vénétie du Corriere della Sera). La Vénétie est devenue depuis longtemps l’atelier où expérimenter un nouveau modèle de "démocrature". C’est dans ma région que naissent toujours les lois les plus racistes et intolérantes. C’est ici que le pouvoir expérimente jusqu’où il peut aller. Et chaque fois, il va toujours un peu plus loin, il ose toujours un peu plus. C’est inutile de vous dire ce que signifie l’interdiction des livres. Fahrenheit 451, vous vous souvenez ? Bon, en Italie, on y est. La Vénétie est à l’image de ce que sera le post-berlusconisme : quelque chose de bien pire et dangereux. Et tout ça a lieu dans l’indifférence presque totale d’un pays habité par des gens rendus idiots après une trentaine d’années de télévision berlusconiste. C’est un appel à l’aide que je vous lance, mes chers amis, et je vous dis aussi de faire attention. Ce virus italien peut, un jour, arriver en France, même si je suis sûr que les racines de la démocratie françaises sont bien plus fortes que celles de la démocratie italienne, qui n’a plus rien de démocratique. Merci de votre attention. Je suis à Paris du 23 au 31 janvier, disponible pour vous expliquer directement cette terrible histoire. Roberto Ferrucci, au nom de plusieurs écrivains de Vénétie et d’Italie (Deux de mes romans ont été publiés en France en 2010 : « Ça change quoi » (Seuil) et « Sentiments subversifs », (Meet) Pardonnez mon français à l’italienne.»

Une lecture utile, non ?