Avec 36 000 retours Google sur son nom, François Amanrich, candidat probable à la présidentielle, n’a pas tout à fait réussi son pari. Wikipedia attendait encore, ce week-end, une page à son nom mais il est toutefois mentionné sur la page « Stochocratie ». La désignation des représentants politiques par le tirage au sort est une idée fort ancienne (puisque soutenue par Aristote) mais aussi très actuelle, car la sortition est une réalité (restreinte à des groupes locaux) au Québec, et que la gauche britannique la préconise pour pallier aux inconvénients des référendums et votations diverses (en Suisse et en Californie principalement).

Ne me demandez pas qui est François Amanrich dont vous entendrez sans doute reparler, lundi soir, si les 500 parrainages qu’il a réunis pour se présenter au premier tour de l’élection présidentielle sont tous validés. Il semble qu’il s’en faudra de peu.

Mais son système, qui consisterait à constituer toute la classe politique par tirage au sort (avec des restrictions) et à organiser des référendums « globaux » (sur tout un ensemble de questions), dont les « magistrats » (les élus) seraient chargés de faire respecter les orientations, n’est absolument pas farfelu. Amanrich est d’ailleurs loin d’être le seul à le suggérer. Montesquieu, déjà, de son temps…

Sur quoi se détermine-t-on ? Sur des idées, des concepts, des propositions ?

Ou plutôt sur le fait que les réformes sont préconisées par des élites partisanes et des groupes de pression que l’on croit susceptibles d’avoir assez de poids pour les mettre en œuvre ?

Pourquoi en France, n’est-il pas tenu compte des votes blancs alors que le vote « Aucun d’entre eux » (None of the Above) s’applique pour des candidats ou des résolutions dans certains États américains et des pays démocratiques ?

Le Royaume-Uni, berceau de la démocratie occidentale moderne, envisage une réforme de la nomination des Pairs du Royaume qui introduirait un certain dosage de tirage au sort. Mais, déjà, l’anoblissement par la Reine permet de faire siéger certains « New Lords » issus de la société civile, qui se sont distingués non pas par leur affiliation partisane ou leurs poids économique mais par leur notoriété, notamment dans les bonnes œuvres, ou découlant de faits exceptionnels.

De même, une grande partie de la gauche intellectuelle britannique soutient l’idée d’un tirage au sort afin d’obliger les Commons, les députés, à débattre de propositions issues de la société civile. En France, la réforme d’abolition du Sénat, rejetée par référendum, a conduit à créer un  Conseil économique et social où siègent surtout des notables et des syndicalistes des milieux salariés et patronaux. Ses recommandations sont de pure forme et une classe politique professionnelle, très sollicitée par des groupes de pression, fort peu issue du système proportionnel (quelque peu indirectement cependant pour les sénateurs), décide en fait de ce que le gouvernement lui soumet.

La proportionnelle, même intégrale, n’assure pas forcément la représentation du peuple. Seuls les partis ou les formations disposant d’une puissance financière, ou de l’appui d’un grand parti (ainsi des deux partis radicaux, soutenus par le PS ou l’UMP), parviennent à fabriquer de nouveaux notables qui, ensuite, s’allient ou se rallient pour mener une carrière politique.

Pourtant, même avec le système actuel, certaines réformes voulues par l’opinion parviennent à se concrétiser. Ainsi de l’enseignement des langues régionales, qui n’est plus considéré un enjeu partisan, car des élus de tout le spectre représentatif se déterminent à présent pour ou contre selon leurs seules convictions.

Un système mixte permettrait, imagine-t-on, de dégager des décideurs véritablement indépendants, ne pouvant faire carrière qu’en se distinguant par leur travail législatif et social, et trouvant la possibilité de se faire élire ensuite selon d’autres modes, en candidats indépendants ou affiliés à l’une ou l’autre des grandes formations.

La clérocratie selon Amanrich

Pour le MCF, mouvement des clérocrates français fondé en 1999, qui avait déjà tenté de présenter François Amanrich en 2002 et 2007, tous les élus doivent être désignés par tirage au sort. La population étant invitée régulièrement à se prononcer par référendum (« tous les deux-trois ans », selon Amanrich), le programme n’est plus seulement celui des grandes formations politiques. Le système vise à réduire l’abstention, qui peut être souvent majoritaire, et à élargir la base des représentants, pour la plupart (87 % des dirigeants selon le MCF) des fonctionnaires actuellement.

Le mécanisme consiste à faire élire par des unités de base de 3 000 personnes une vingtaine de conseillers lors d’un vote à bulletin secret. C’est ensuite qu’intervient le tirage au sort. On a donc au départ des volontaires, ou postulants, puis certains filtres permettent d’éliminer celles et ceux qui ne manifestent pas d’intérêt ou de compétences. Dans la mesure où les postulants sont élus par 3 000 personnes seulement, ils sont supposés connus ou susceptibles de se faire connaître aisément…

Bien sûr, tout système est critiquable, et il en est de même de celui désignant des jurés pour les procès d’assises.

Dans De l’esprit des lois, Montesquieu relevait déjà que « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie. ».

La question de la désignation du sénat par tirage au sort a déjà été abordée sur Come4News (voir, de Bernard29 « Pour un Sénat clérocratique ? »). Notre blogueur Zelectron imaginait un contrôle des élus par des retraités de moins de 75 ans. J’avais aussi abordé la question de la démocratie directe en signalant l’initiative du groupe britannique Compass qui propose qu’un millier de tirés au sort puisse imposer des e-petitions (voir « Quand les Athéniens s’atteindront »).

De la démocratie directe

Favoriser la démocratie directe n’est pas simple, et c’est onéreux. Le système des référendums d’initiative populaire n’est pas vraiment adapté pour traiter des grandes réformes, comme par exemple celle du système bancaire ou celle portant sur le cumul des mandats électifs. Même à l’heure de l’Internet et du vote à distance, un référendum, décidé par le parti au pouvoir, coûte fort cher et tend à ne poser pour questions que celles qui arrangent ceux qui en décident.

Tirer au sort des membres de groupes de réflexion, qui se mettraient d’accord, en consultant des experts, sur les grandes questions à poser à la population, ne serait pas si farfelu.

Je ne sais si la candidature d’Amaranich sera validée. Selon le site du MCF, il semblerait que non (517 signatures recueillies mais il en manquerait 11 au final). L’idée fait pourtant son chemin. Le tirage au sort des personnes délibérant de la tenue et des questions à soumettre à référendum pourrait n’intervenir qu’après que des pétitions en ligne aient suscité un nombre suffisant de réponses…

Trop souvent, en France, l’électorat se détermine davantage sur les bonnes mines et promesses des candidats que sur leurs programmes, dont beaucoup ne voient pas vraiment ce qu’ils impliquent ou même s’ils sont applicables. En revanche, sur les grandes questions, cet électorat n’est pratiquement jamais consulté et parfois même sa volonté est détournée. D’incessantes consultations favoriseraient l’abstention et seraient budgétairement très lourdes à supporter.

La possibilité d’envisager un tirage au sort pour réformer partie du processus électoral a aussi été débattue, sans conclusion, au sein du Front de Gauche (notamment sous l’impulsion d’Étienne Chouard, proche des Alternatifs et d’Attac). Les primaires à gauche, en Italie et en France, sont aussi une forme de manifestation de l’expression populaire. Bref, une réflexion renouvelée sur le devenir du processus démocratique s’amorce, et on peut raisonnablement penser que le MCF, en proposant un candidat, y a pour une part contribué. Après tout, en Angleterre comme en France, la démocratie que nous connaissons a été longtemps considérée aussi utopique que le suffrage vraiment universel ou le vote des femmes. Cette démocratie actuelle a même mis fort longtemps à s’instaurer en Grèce puisque, dans l’Antiquité, les seuls citoyens et non tous les habitants votaient ou étaient tirés au sort.

Le projet belge de démocratie directe (democratiedirecte.be) prévoit aussi, pour partie, la désignation par tirage au sort des « mandataires des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ». Comme l’exprime Étienne Chouard, les dérives et abus du système actuel découlent de « notre propre négligence » et non « d’un quelconque complot » : « il ne tient qu’à nous de reprendre le pouvoir que nous cédons trop aveuglément pour l’instant. ». Se pencher sur la question du tirage au sort est déjà un moyen de se départir d’un désintérêt qui laisse à d’autres le soin de déterminer notre devenir à notre place…