Les trois premières réalisations du cinéaste franco-tunisien Abdellatif Kechiche « la Faute à Voltaire, l’Esquive, la Graine et le Mulet » ont marqué les esprits, et conquis le public à ma grande joie, tant je trouve ce réalisateur talentueux.

Là où beaucoup de réalisateurs auraient succombé à la tentation de présenter l’histoire de la Vénus Noire en une vaste fresque romanesque, Abdellatif nous offre un film sans concession. Un pari pour le moins osé dans le cinéma français contemporain.

Un long métrage aussi poignant que symbolique.

Abdellatif réussit à faire vivre au spectateur le calvaire endurée par cette jeune femme, et nous surprend par ces audaces et la cruauté de son propos.

Bien au-dessus d’un simple plaidoyer humaniste, le réalisateur raconte avec tact et intelligence le destin d’une jeune artiste que l’on n’a pas su regarder.

Yamina Torres donne à cette Vénus hors norme une douceur et une « opacité » mystérieuse, le tout en parvenant à déjouer le voyeurisme du sujet redonnant ainsi à Saartjie toute sa complexité et sa dignité.

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« Tout au long du XIXe siècle, l’idée d’une primauté naturelle des Blancs, qualifiés de « race supérieure », s’est répandu en Europe pour justifier l’expansion coloniale, en s’appuyant sur des exhibitions de « sauvages », toujours mises en scène, mais fonctionnant comme des démonstrations vivantes de cette « évidence ». Cela a forgé des stéréotypes qui circulent encore aujourd’hui dans les esprits ».

La « Vénus Hottentote », de son vrai nom Sawtche, est née en 1789, l’année de la Déclaration des Droits de l’Homme. Elle était la fille d’un père khoisan et d’une mère bochiman.

Remarquée pour les traits distinctifs de sa morphologie (stéatopygie (fesses surdimensionnées) et macronymphie (organes sexuels protubérants, Sawtche allait devenir rapidement un objet de curiosité, mais aussi de convoitise.

En 1994, au lendemain de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, l’ethnie des Khoisan demande officiellement à Nelson Mandela que leur soit restituée la dépouille de Saartjie Baartman. Des premières négociations sont entreprises, sans grands résultats. La France faisant valoir l’inaliénabilité, selon la loi, des collections nationales et l’intérêt scientifique de la dépouille. L’affaire dort dans les tiroirs bureaucratiques des diplomates tandis que le squelette de Saartjie continue à prendre la poussière dans les caves du Musée de l’Homme.  

En 2001 le sénateur d’Ile de France, Nicolas About, s’empare du dossier et interpelle à l’Assemblée Nationale le secrétaire d’état au patrimoine et à la décentralisation culturelle de l’époque, Michel Duffour.  

Après moult péripéties, le 9 aout 2002, une cérémonie œcuménique célébrée selon les rites khoisans, ainsi que ceux de l’Eglise du Christ de Manchester (la jeune femme avait été baptisée dès son arrivée sur le sol anglais) a lieu en présence du président Mbeki et de nombreux dignitaires près du village de Hankey (Eastern Cape). Il aura fallu deux siècles pour que Saartjie puisse enfin trouver le repos.

Vénus Noire est un film impressionnant, qui nous éprouve, qui affirme la dignité humaine comme valeur du monde.

On peut y discerner un certain parallèle avec « Eléphant Man » de David Lynch, d’ailleurs le prologue de Vénus Noire est un clin d’œil à ce magnifique film débordant d’humanisme.

Abdellatif  s’impose comme l’un grands cinéastes du renouveau de la production hexagonale.

A voir absolument !

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Le synopsis :

Paris, 1817, enceinte de l’Académie Royale de Médecine. « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ».

Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l’anatomiste George Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration.

Sept ans plus tôt, Saartjie quittait l’Afrique du Sud avec son maître, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et entravée, elle était l’icône des bas-fonds, la « Vénus Hottentote » promise au mirage d’une ascension dorée…

La bande-annonce:

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