Hannah Arendt, le film de Margarethe Von Trotta nous fait revivre le procès d’Adolf Eichmann. La couleur du film est annoncée dès le début ; 11 mai 1960, un bus qui roule à toute allure, feux de route allumés vient briser le silence d’une nuit ténébreuse ; il ralentit puis stoppe quand jaillissent des cris d’effroi : c’est le kidnapping  par les services secrets israéliens de Eichmann  qui vivait depuis une dizaine d‘années, réfugié en Argentine. 

Responsable de la déportation de millions de juifs, plus particulièrement de la logistique de la solution finale, son procès se tiendra à Jérusalem. Animée à la fois par le regret d’avoir manqué le procès de Nuremberg et surtout par cette furieuse envie de comprendre les mécanismes susceptibles de conduire un être humain à commettre de telles barbaries, il suffira à Hannah Arendt (Barbara Sukowa), auteur de l’ouvrage à grand succès, «  du totalitarisme » , de lever le petit doigt pour obtenir du New yorker l’opportunité de couvrir ce procès retentissant. 

Comme son compagnon de vie, Henrich Blûcher, elle émet quelques réticences quant à ce procès qui  pourrait  basculer vers une forme de « procès show » ; et tous ces rescapés de la Shoah de nouveau exposés à une situation abominable qui de surcroît, n’a pas de rapport direct avec Eichmann.  

Le film émaillé de scènes, de vie conjugale comme de vie professionnelle, fait le portrait d’une femme ouverte, attachante, en perpétuelle ébullition intellectuelle. Son addiction à la cigarette apparemment vitale, semble propice à la fécondité de son raisonnement. En dehors de sa participation active à des discussions virulentes entre amis et collègues, Hannah Arendt a besoin de solitude ; une pensée qu’elle ne peut forger sans le passage par la case solitude, comme le lui avait bien dit son maître à penser Heidegger, à l’heure où elle n’était encore qu’une philosophe en herbe.

Avec une acuité incomparable, elle est là lors du procès, à scruter minutieusement le visage de ce criminel de guerre encadré par des policiers, dans une cage de verre; pas la moindre mimique, ni la moindre parole ne lui échappent. Et pour  lever tout doute qui la taraude, elle n’hésite pas à revisionner inlassablement  sur écran de télévision, les images d’archives du procès. Après s’être profondément imprégnée de toutes ces données, elle fume et pense ; pense et fume interminablement. Aux harcèlements du New yorker de plus en plus impatient de son retard, elle oppose l‘indifférence. 

Puis, une fois passé le temps de latence, nécessaire pour la gestation de sa pensée, elle publie. Hannah Arendt, ne voit en l’accusé particulièrement coopératif, qu’un simple type insignifiant ; à ses yeux, il ne ressemble en rien à ce « fauve », ni à « cet ennemi du genre humain », encore moins à ce pervers ou ce monstre habité par des intentions démoniaques qui, selon la Cour, aurait agi avec ardeur et passion pour exterminer une race ; là où le bât blesse, c’est de déduire qu’il a agi en possession de l’intégralité de son caractère humain, orienté par sa seule médiocrité ; dénué de cette aptitude à penser qui seule selon elle, peut enfanter le Bien, ce convoyeur de la mort n’était que le rouage d’une machine d’une grande complexité ; un déficit de sa pensée qui malheureusement s’est avéré encore plus catastrophique que tous les mauvais instincts du monde! 

Il saute aux yeux que ce n’était qu’un de ces banals fonctionnaires zélés, obnubilés juste par la politique du résultat, désireux de faire carrière et nullement de faire le mal pour le Mal ; obeir aux ordres selon la procédure administrative était sa devise : « les choses se seraient passées autrement, si le courage avait été structuré hiérarchiquement, j’aurais été plus courageux et les choses se seraient passées autrement » ! L’injonction d’être courageux lui aurait fait cruellement défaut… 

En plus de son inaptitude à penser, Eichmann était amputé de l’imagination jusqu’à ne plus réaliser l’ampleur de l’horreur infligée à ses victimes.  L’engrenage en définitive a pris le dessus sur toute autre considération. En somme, en l’absence de pulsions de haine ou d’antisémitisme, la monstruosité résiderait plutôt dans cette soumission passive à la hiérarchie. C’est à partir de cette analyse que  Hannah Arendt parlera de concept de la « banalité du mal ». La philosophe dénoncera aussi la collaboration de certains Conseils juifs avec les nazis, sans laquelle le nombre des victimes de la Shoah n’aurait jamais pu être atteint. 

En porte à faux avec sa communauté, elle s’est attirée des foudres d‘une violence psychologique inouïe : harcèlements, lettres de menaces, ostracisation, intimidations, qui la laisseront inflexible. Après ce déferlement de haine, il y a ce monologue dans un amphithéâtre, d’une beauté saisissante, au terme duquel elle sera ovationnée par ses étudiants, subjuguée à l’unanimité par la profondeur de sa pensée universelle, aussi libre que l’air. Une belle ode à la liberté de pensée.

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