"Camille Claudel 1915", le film de Bruno Dumont commence là où s’achève celui de Bruno Nuytten , avec l’internement de la sculptrice. Après l’échec de sa passion tumultueuse avec Auguste Rodin, Camille Claudel, qui avait refusé de pactiser avec l’ordre social, se retrouve abandonnée de tous, aussi bien de son amant que de sa famille. Déstabilisée par  quelque dix années de vie recluse seule dans son atelier, marquée par l’apparition de signes de paranoïa, Camille affaiblie, se laissera interner par sa famille dans un hôpital psychiatrique.

Et le film de Bruno Dumont nous relate juste un morceau de vie de cette artiste de génie datant de l’époque du début de sa séquestration. Une descente infernale aux enfers ! Le film est tourné dans un hôpital du sud de la France avec de vrais malades, sans acteurs, ni artifices, dans le plus grand dépouillement.  Les  expressions de tous ces visages filmés en gros plans, parlent à n‘en plus finir de la déchéance humaine ; ils s’avèrent infiniment plus éloquents, plus puissants que tous ces assemblages de mots. 

Manger, s’asseoir, observer, écouter, pleurer, paniquer, ainsi ou presque se résume la nouvelle vie de Camille (Juliette Binoche). Elle qui a connu sa grande heure de gloire, se retrouve  là à végéter, perdue dans les affres de la détresse carcérale, au milieu de toute une galerie de malades mentaux à la pathologie souvent lourde. Quant au cadre, ce joli milieu minéral, il est aussi bavard que ces regards hagards qui l’environnent : il suffit d’être attentif  au langage qui est le sien . Camille sait déceler sa grâce, sa splendeur et c’est là où le bât blesse : sous l’effet du zoom, son égarement s’avère béant et elle est tétanisée de peur.

Assise sur un banc adossé à un très haut mur en pierres dans la cour de l’hôpital, il y a face à elle un arbre assourdissant ; il est tellement beau, noyé dans cette lumière. Il y a aussi ce ciel d‘un bleu éblouissant, ces paysages merveilleux, ces forêts de pins, ces rocailles, ces chants de grillon, cette musique du mistral ; tous ces délices du sud de la France qui rendent  insupportable son sevrage forcé. 

Et que dire de la douleur ressentie devant cette poignée de terre qu’elle malaxe avec amour avant de la rejeter furieusement : sculpter signifierait abdiquer et elle n’est pas dans cet état d’esprit ; elle veut à tout prix sortir de cet endroit terrifiant, retourner sur les lieux de son enfance. Totalement lucide, elle souffre éperdument du sort injuste, atroce qui lui est infligé par sa propre famille ; et elle ne désespère pas de sortir un jour de ce mouroir. Après la guerre, espère-t-elle…

Alors que ni mère, ni sœur ne lui rendent visite, son ultime espoir se porte sur son célèbre frère, Paul Claudel (Jean-Luc Vincent, un sosie de Fabrice Luchini avec en plus une moustache).Or ce mystique imprégné de la soit-disant grâce divine, demeure insensible aux supplications intenses de sa soeur déchirée. Engoncé dans son costume impeccable, comme dans ses idées, il est de marbre; inflexible même devant les recommandations du médecin allant dans ce sens, il  regarde Camille moisir, la conscience tranquillisée par des visites de fortune, sporadiques !

Une histoire où le règlement de compte familial aurait sa quote-part. « Famille, je te hais » , c‘est le cas de le dire ! Camille Claudel a dû attendre pendant trente ans dans cet hôpital. Dans l‘indifférence de la famille. Elle est morte à 79 ans. Elle reposerait dans une fosse commune.

Comment une sculptrice de génie qui n’a pas accepté de se conformer à son époque,  n’a-t-elle pas pu réussir à renverser la table et fuir ce lieu maudit ?  La guerre, l’enfermement, la chute y seraient sans doute pour quelque chose dans cette posture d’abnégation qu’elle a endossée  et qui ne lui ressemble pas. Des questions sans réponses. Camille Claudel, symbole de toutes ces femmes bafouées, une tragédie poignante et si brillamment incarnée par Juliette Binoche ! 

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