Alors que l’on vient de commémorer les 42 ans de la disparition du guérillero argentin, la polémique concernant la face cachée du Che reprend de plus belle. C’est pourquoi je n’entends pas dans cet article encenser Ernesto Che Guevara – d’autres s’en sont déjà chargés – mais je désire mettre en exergue les critiques émanant d’historiens, d’exilés cubains et, plus grave, d’anciens compagnons d’armes du médecin révolutionnaire.

Enfin, je dis médecin, mais nombreux sont ceux qui affirment que le Che n’a jamais terminé ses études de médecine, et relèvent qu’il avouait lui-même qu’il lisait beaucoup de livres mais n’ouvrait jamais un ouvrage de médecine. Les barbus de la révolution cubaine, plaisantant de ses piètres qualités de médecin, l’avaient même surnommé sacamuelas, l’arracheur de dents (Che Guevara, A Revolutionary Life).

Concernant sa vie de révolutionnaire à Cuba, même si son courage n’a jamais été remis en question, l’histoire fera de lui le pantin des frères Castro qui le manipuleront jusqu’à son voyage final en Bolivie où il périra, trahi par ces mêmes paysans qu’il prétendait venir libérer.

De cette vie révolutionnaire que beaucoup imaginent glorieuse, ses anciens compagnons d’armes nous rapportent aujourd’hui des faits beaucoup plus déshonorants. Ainsi, Luciano Medina, estafette personnelle de Fidel Castro à l’époque de la lutte pour la prise du pouvoir, nous raconte que lors des combats dans la Sierra Maestra le comandante Guevara tuait comme on avale un verre d’eau. « Avec lui, c’était vite vu, vite réglé. Un matin, vers 9 heures, nous déboulons au Rancho Claro, une petite exploitation de café appartenant à un certain Juan Perez. Aussitôt, le Che accuse le fermier d’être un mouchard à la solde de la dictature de Batista. En réalité, le seul tort de ce pauvre homme était de dire haut et fort qu’il n’adhérait pas à la révolution. Une heure plus tard, le malheureux cultivateur est passé par les armes devant sa femme et ses trois enfants de 1, 3 et 4 ans. Les voisins étaient traumatisés, indignés. Et nous, la troupe, nous étions écœurés. »

Mais le côté le plus sombre de la vie du Che concerne la période où il fut responsable de la prison de la Cabaña, période durant laquelle il va superviser et ordonner l’exécution de près de deux cents prisonniers. C’est là qu’Ernesto Che Guevara acquerra le titre peu envié de carnicerito de la Cabaña (le petit boucher de la Cabaña) pour les nombreuses exécutions qu’il ordonnera dont les registres ont scrupuleusement enregistré les noms des victimes ainsi que les dates et heure de mise à mort.

Selon les anciens compagnons d’armes du Che, ce dernier ne se contentait pas d’appliquer les directives de l’état-major, mais il s’empressait d’ordonner immédiatement les exécutions après ce qu’il faut bien appeler des simulacres de procès. De plus, Ernesto Che Guevara utilisait également la torture et les sévices moraux envers tous ceux qui tombaient entre ses mains, qu’il s’agisse de membres de l’ancien régime, mais également de simples fonctionnaires, ou même de guérilleros qui après avoir lutté contre la dictature refusaient de la suivre dans cette dérive sanglante.

Voici le témoignage de Fausto Menocal qui avait été accusé à tort d’être un mouchard à la solde de Batista : « J’ai dû rester debout quarante heures, jour et nuit, sans manger, sans boire, devant le Che, dans son bureau. C’était un long couloir où des hommes en armes allaient et venaient, pour lui faire signer des ordres et recueillir ses instructions. Ils se moquaient de moi lorsqu’ils me voyaient. C’était Guevara lui-même qui m’interrogeait. Un soir, après avoir été enfermé dans une cellule, il est venu me voir pour me dire : "Écoutez, Menocal, nous allons vous fusiller cette nuit." J’ai été amené devant le peloton d’exécution. On m’a attaché à un poteau, on m’a bandé les yeux, puis il y a eu une décharge de fusils. Alors, on est venu tirer le coup de grâce. J’ai senti sur ma tempe un grand coup. C’était en fait un coup porté à la crosse du fusil, à la suite de quoi je me suis évanoui. » Finalement, Fausto Menocal sera gracié parce qu’il était membre de la famille d’un ancien président de la République de Cuba et, comme beaucoup d’autres, il prendra le chemin de l’exil.

Un autre témoin important de cette période, le père Javier Arzuaga, aumônier de la prison de la Cabaña, rompra finalement le silence après près de cinquante ans de mutisme. Dans Cuba 1959 : La Galera de la Muerte (Cuba 1959. Le couloir de la mort), publié en 2007, l’homme d’église qui a accompagné cinquante-cinq condamnés dans leurs derniers instants affirme que de nombreux exécutés étaient innocents. Il souligne également que : « Le Che n’a jamais cherché à dissimuler sa cruauté. Bien au contraire. Plus on sollicitait sa compassion, plus il se montrait cruel. Il était complètement dévoué à son utopie. La révolution exigeait qu’il tue, il tuait ; elle demandait qu’il mente, il mentait. À la Cabaña, lorsque les familles des condamnés rendaient visite à leurs proches, Guevara exigeait sadiquement qu’on les fasse passer devant le mur d’exécution encore couvert de sang. »

Le père Javier Arzuaga rapporte également qu’il demandait souvent au Che d’être indulgent, mais que celui-ci se moquait de lui et ne revenait jamais sur ses décisions. Il se rappelle plus particulièrement le cas d’un jeune garçon de tout juste 16 ans qu’il a tout fait pour sauver, mais que Guevara condamna à mort sans la moindre compassion. Javier Arzuaga révèle qu’il a tellement été traumatisé durant cette période qu’il a dû abandonner la Cabaña en mai 1959 pour aller suivre un traitement psychologique à Mexico.

Huber Matos, un commandant de la révolution, estime quant à lui que : « Je crois qu’en définitive cela lui plaisait de tuer des gens. Au début, dans la sierra Maestra, nous avons noué une amitié qui reposait sur des affinités intellectuelles. Comme lui, j’avais une formation universitaire. Mais, quand j’ai su ce qu’il faisait à la Cabaña, j’ai pris mes distances. Tout le monde savait ce qui se passait là-bas… » Huber Matos, malgré son grade sera condamné à vingt ans de cachot, à la fin de 1959, pour avoir dénoncé la dérive autoritaire du mouvement.

Ernesto Guevara fut aussi l’instigateur du système cubain de camps de travail forcé, ayant créé le premier de ceux-ci à Guanahacabibes afin de "rééduquer" les opposants à la révolution cubaine. Pour Régis Debray, fils d’un avocat parisien qui partira à Cuba pour participer à la révolution et qui suivra le Che jusqu’en Bolivie, « C’est lui, et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail correctif ».

Lorsque son compatriote Luis Paredez López s’inquiétera de la tournure sanglante que prend la révolution cubaine et des exécutions quotidiennes et massives que rapporte la presse internationale, le Che lui répondra dans une lettre datée du 5 février 1959 : « J’aimerais que vous vous informiez par une presse qui ne soit pas tendancieuse afin de pouvoir apprécier dans toute sa dimension le problème que cela suppose. Les exécutions sont non seulement une nécessité pour le peuple de Cuba, mais également un devoir imposé par ce peuple. »

Évidemment, pour Ernesto Che Guevara la presse non tendancieuse est celle dirigée par les organes de la révolution, cette même presse qui fait ses gros titres des nombreuses sentences de peine capitale prononcées après des simulacres de procès. C’est ainsi que les tribunaux révolutionnaires prononcent leur verdict pratiquement en public, faisant au Che une publicité peu élogieuse qu’il ne fuira jamais. D’ailleurs, à la Cabaña les procès ont lieu en présence des journalistes. Quelques instants suffisent souvent pour envoyer à une mort certaine des hommes ayant servi la dictature de Batista, mais aussi des gens qui n’y ont joué aucun rôle important. Il suffit parfois d’une dénonciation anonyme, de quelques cris de vengeance, pour que la sentence soit prononcée et presque immédiatement mise à exécution.

Si la majorité des mises à mort sont exécutées par des soldats, des "volontaires" seront également mis à contribution. Parfois, ce sont des membres de la famille des « martyrs de la Révolution » qui sont invités à faire partie du peloton d’exécution. Ce sera le cas d’Olga Guevara, la sœur d’un révolutionnaire tué sous la dictature de Batista, qui sera "invitée" à faire partie de ceux qui vont exécuter un des condamnés à mort. Mais cette dernière refusera publiquement : « Ce militaire-là a tué mon frère et trente habitants de Pilón, mais je ne pourrais pas tirer sur lui de sang-froid. » Elle sera une des rares à refuser cet "honneur" et à oser critiquer publiquement la dérive de la révolution cubaine.

La renommée du petit boucher dépassera rapidement les frontières de Cuba, et Ernesto Che Guevara sera même interrogé à ce propos par plusieurs délégués latino-américains et par celui des États-Unis après un discours devant l’assemblée générale des Nations unies le 11 décembre 1964. Le révolutionnaire répondra sans hésiter : « Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que cela sera nécessaire. Notre lutte est une lutte à mort. »

Il semblerait que les propos Guevara aux Nations unies et sa revendication publique des actes les plus les atroces de la révolution ne sont pas pour rien dans son départ forcé de Cuba.

À moins, comme l’ont relevé certains historiens, que ce ne soit ses propos contre Moscou qui auront finalement décidé les nouveaux dirigeants de Cuba à se séparer d’un de leurs héros. En effet, Ernesto Che Guevara ne pardonnera jamais à Khrouchtchev d’avoir reculé devant la détermination de Kennedy lors de la crise des missiles, le guérillero argentin ne comprenant pas pourquoi les Russes avaient eu peur de conclure SA révolution par un formidable feu d’artifice nucléaire. Le Che finira par insulter publiquement les délégués soviétiques s’en prenant publiquement à leur virilité en des termes orduriers.

Il est évident que le Che devenait encombrant pour le régime cubain et c’est pourquoi Fidel Castro préféra l’éloigner, l’envoyant peut-être même volontairement vers la mort. Car si Fidel a toujours su manipuler Ernesto Che Guevara de son vivant, il l’utilisera encore plus habilement une fois mort en le transformant en martyr de la révolution. Il semblerait en effet que c’est au moment où le nouveau pouvoir à Cuba dut affronter les premiers doutes d’une population fatiguée et exsangue, au moment où les premiers graffitis insultants Fidel faisaient leurs apparitions dans les rues de La Havane que le Líder Máximo eut l’idée de transformer son ancien compagnon d’armes en véritable culte.

En effet, alors qu’il était devenu évident que la guérilla du Che en Bolivie courait à sa perte, Castro ne tentera aucune opération de sauvetage pour récupérer les derniers guérilleros en déroute, songeant déjà à la puissance mythique que la mort de ce héros de la révolution éternelle pourrait apporter au pouvoir en place.

Mais le grand révolutionnaire surprendra tout le monde lors de son dernier combat. En effet, lui qui avait toujours clamé que la mort était préférable au fait de tomber vivant aux mains de ses ennemis, suppliera qu’on le gracie, préférant la prison à la mort au combat. Selon les témoignages des agents de la CIA et des soldats boliviens, après son arrestation, le Che tenta plusieurs fois de sauver sa peau en leur expliquant qu’il valait plus vivant que mort.

Mais Fidel Castro avait besoin d’un héros, et c’est pourquoi il réécrira les derniers instants de la vie de Che Guevara, transformant ses derniers instants en une mort héroïque sans se soucier des nombreux témoignages pourtant fiables. Ainsi, la version officielle écrite à Cuba ne parlera que du courage dont aurait fait preuve Che Guevara devant ses bourreaux en leur criant : « Tirez ! N’ayez pas peur ! » Et même si la différence entre la version réelle et l’officielle peut prêter à rire, c’est celle de Castro qui deviendra la plus célèbre.

On sait maintenant combien l’idée de Fidel Castro de transformer le combattant argentin en martyr de la révolution cubaine fut une idée géniale, car ce dernier est devenu le symbole mondial de toutes les révolutions et de toutes les luttes contre l’oppression.

Mais si le passé de bourreau de Che Guevara a été occulté au profit du mythe du révolutionnaire éternel, pour nombre de Cubains le guérillero restera le petit boucher de la Cabaña, et nombreux sont ceux qui affirment que sitôt bannie la dictature des Castro, ils iront débaptiser les places et les rues de La Havane qui portent le nom de l’Argentin honni !

Entendons-nous bien, comme je l’avais signalé au début de cet article, je ne ne prétends faire ici ni l’apologie du Che, ni son procès, je veux simplement révéler sa face cachée pour avoir une vision globale et réelle du personnage… Comme beaucoup, j’ai moi aussi possédé la célèbre affiche rouge et noir dans ma chambre d’adolescent, et si à l’époque j’ai admiré le révolutionnaire sans trop me poser de question, avec les années je me suis rendu compte que l’on ne peut prétendre aimer quelqu’un si l’on se contente de n’appréhender qu’une partie de sa personnalité en jetant un voile pudique sur ce qu’on désavoue.

Aussi, je pense que tous ceux qui arborent encore fièrement les couleurs d’Ernesto Che Guevara doivent le faire en toute conscience, pour pouvoir affirmer que selon eux les idéaux du guérilléro dépassent de loin la cruauté et les exactions commises par le tortionnaire qu’il était également.

Bibliographie :

http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2007-05-10/che-guevara-histoire-d-un-mensonge-d-etat/924/0/182522

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/du-sang-sur-l-etoile_475196.html

Le Livre noir du communisme, Éditions Robert Laffont, 1997

Che Guevara: A Revolutionary Life, Grove Press, 1997

Che Guevara, l’envers du mythe ; Historia: Le "petit boucher" de la Cabaña

http://www.20minutes.fr/article/182411/Monde-Che-Guevara-un-bourreau-fanatique.php

http://www.histoire-en-questions.fr/personnages/che%20execution.html

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=18111

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=18107