… Ou pourquoi il est grand temps que l'industrie du jeu vidéo assume ses audaces !

La sortie du jeu Manhunt 2, développé par le studio Rockstar et édité par Take Two a suscité dans l’industrie du jeu vidéo un débat dont l’importance aura échappé à ceux qui considèrent encore ce médium comme un loisir infantile réservé aux adolescents immatures ainsi, et c’est plus inquiétant, à l’industrie du jeu vidéo elle-même, qui en dépit de son poids économique (supérieur à celui de l’industrie américaine du cinéma) et de son importance croissante au sein du temps de loisir semble peu encline à défendre sa liberté sur les plans culturels et créatifs face à des pouvoirs publics qui ont encore du mal à se situer par rapport à ce phénomène et au public qu’il touche.

Le cas de Manhunt 2, un jeu prévu sur Wii (Nintendo), Playstation 2 et PSP (Sony) dans lequel le joueur incarne un scientifique enfermé dans un asile de fous dont il doit s’échapper par tous les moyens aussi sanglants et violents soient ils et dont le jeu n’épargne au joueur aucun détail, est emblématique de cette situation.

En effet, le jeu a été classé « adults only » par les organes de régulation aux Etats Unis ce qui rend de fait sa commercialisation impossible et en Europe, il a été interdit à la vente sur leurs territoires respectifs par l’Angleterre, l’Irlande et l’Italie. Mais au-delà de ces mesures, contestables comme nous le verrons par la suite mais qui reflètent des choix politiques nationaux, il y a les déclarations des constructeurs des deux plateformes de jeu, Sony et Nintendo, dont l’aval est nécessaire pour sortir le titre, qui affirment ne pas vouloir d’un jeu interdit aux mineurs sur leurs machines et qui ont mis leur veto au lancement du produit.

Conséquence : le jeu dont la sortie était prévue pour le 10 juillet restera dans les cartons aux Etats Unis et en Europe. A partir de là, deux solutions sont envisageables : soit l’éditeur demande aux développeurs de se remettre à l’ouvrage et sortir une version expurgée du titre, ce que dans les autres médias on appellerait de la censure, soit le lancement est purement et simplement annulé.

Dans les deux cas, nous avons une perte financière substantielle pour un éditeur et malgré ce que certains voudraient faire croire il est peu probable que la publicité générée par le scandale ne parviendra à compenser les pertes liées à un retard de commercialisation et une mis en danger de la liberté créatrice d’un studio connu pour ses productions ambitieuses destinées à un public adulte (la série des GTA, Manhunt 1).

C’est pourquoi cette situation qui rappelle le mini scandale en Angleterre lors de la sortie du jeu « Carmaggedon » en 1997 et qui risque de créer un dangereux précédent dans l’industrie mérite quelques éclaircissements.

Oui, Manhunt 2 est un jeu violent à la violence extrême et gratuite, inutile de le nier. Mais pas plus violent et gratuit que la série des « Saw » ou « Hostel » au cinéma ou encore que de nombreuses autres productions littéraires ou télévisuelles somme toute plus accessibles qu’une console à 250€ et des jeux à 60€.

Oui, Manhunt 2 s’adresse clairement à un public adulte et oui, il appartient encore aux psychologues de déterminer si le danger du passage à l’acte en cas d’exposition répétée à des actes violents excède les bienfaits de la catharsis via une violence virtuelle.

« Mais sur Wii, il y a passage à l’acte, entend on dans la bouche des détracteurs : on mime avec la Wiimote les coups de hache que son personnage assène à l’écran. »

C’est cette notion de passage à l’acte, liée à l’interactivité qui distingue les jeux vidéo des autres productions culturelles, qui est souvent invoquée comme justification de la censure et de l’interdiction.

Je veux juste poser une question : y avait il passage à l’acte lorsque un soir en rentrant du travail, un gamin de dix ans qui jouait près de mon immeuble a fait mine de me tirer dessus avec sa mitraillette en plastique avant de la retourner contre ses petits camarades en criant « vous êtes tous morts » ?

Y a-t-il passage à l’acte quand l’acteur jouant Brutus fait mine d’enfoncer un couteau dans le dos de l’acteur jouant Jules César ?

Y a-t-il passage à l’acte quand un amateur d’armes à feu vide son chargeur dans la tête d’une cible en carton sur un stand de tir ?

Dans ces cas et dans de nombreux autres qui miment la violence et utilisent à des degrés divers une technologie comme interface, ne s’agit il de rien d’autre que du jeu, de la simulation ?

Mais que les choses soient claires, oui, en ce qui concerne l’industrie du jeu vidéo, il faut qu’il existe un système de contrôles et une signalétique, au même titre que ce qui existe déjà pour les autres médias et la pornographie, pour éviter qu’un jeu puisse être accessible à un public auquel il n’est absolument pas destiné. Pour les jeux vidéo, il existe déjà des classifications claires et pertinentes établies en lien avec les pouvoirs publics (PEGI en France) qui indiquent clairement à quelle catégorie d’âge le produit s’adresse. Pour le reste, c’est le travail conjoint des vendeurs et des parents que de s’assurer qu’un produit n’aboutisse pas dans des mains qui n’étaient pas censées le recevoir.

Mais non, non et encore non, il ne faut pas empêcher et pire encore, décourager des créations comme Manhunt de voir le jour. Dans la mesure où elles n’enfreignent pas la législation en vigueur et ne sont vendues qu’à un public responsable qui les achète en toute connaissance de cause, elles participent à la pluralité de la création artistique et permettent justement à l’industrie du jeu vidéo d’explorer de nouveaux horizons, de repousser certaines barrières ainsi que de se débarrasser de cette image de divertissement infantile qui lui colle à la peau.

Dans une librairie, on peut trouver, pas au même rayon bien sûr, « les aventures de Babar » et « Salo ou les 120 journées de Sodome », au cinéma, la salle passant « Les choristes » à côté d’une autre passant « Saw ».

Pourquoi devrait-il en être différent pour le jeu vidéo ?

 

En vérité, les points les plus inquiétants qui ressortent de ce débat sont :

D’une part, la frilosité pour ne pas dire la lâcheté d’une industrie et plus précisément des constructeurs qui ne se donnent même pas la peine de défendre et d’expliquer aux pouvoirs publics et à l’opinion les audaces de leurs créateurs et de soutenir leurs créations, courant ainsi le risque de scier la branche créative sur laquelle repose en large partie le succès de cette jeune industrie.

D’autre part, il y a cette incompréhension totale à l’égard de ce que représente aujourd’hui l’industrie du jeu vidéo dans sa diversité et dont découlent les mesures prises à l’encontre de Manhunt 2.

Il y a cette idée tenace que les jeux vidéo ne touchent que les enfants car dans « jeu vidéo », il y a « jeu » et c’est bien connu, les adultes ne jouent pas d’où la nécessité de protéger les joueurs, pour leur bien, d’un contenu choquant et « inapproprié ».

Pour information, selon the ESA (Entertainment Software Association), l’âge moyen du joueur est de 33 ans et j’ose espérer qu’à 33 ans, on est capable de prendre du recul par rapport à une action effectuée sur on écran, aussi violente soit-elle, et la réalité.

En vérité, je crois que cette industrie a un énorme problème d’image que sa croissance rapide et des affaires comme celles-ci, sans compter les tragédies qu’on lui impute régulièrement, ne vont rien faire pour arranger.

C’est pourquoi c’est à nous, joueurs, journalistes, membres de l’industrie, et avant tout citoyens de nous faire entendre et d’expliquer la réalité et la diversité du jeu vidéo aujourd’hui de « Manhunt 2 » à « Nintendogs » en passant par « Okami ».

C’est à nous d’interpeller l’opinion, les pouvoirs publics et même nos business partners quand on tente de censurer pour des raisons déplacées d’ignorance et de moralité un jeu pour public averti et nous empêcher de vivre notre loisir comme nous l’entendons.

Et c’est à nous de nous élever contre cette infantilisation, ce déni de responsabilité morale et personnelle et surtout toute tentative de museler ce médium qui nous procure des heures toujours renouvelées d’aventures et de plaisirs pour n’avoir jamais à redire ni à entendre :

« Messieurs, les censeurs, bonsoir ».