Figure célèbre, tant en Grande-Bretagne qu’en France ou en Russie de son vivant, le chevalier (ou la chevalière) d’Éon a connu une immense postérité grâce aux cruciverbistes (trois lettres, dont deux voyelles et une consonne courante sont toujours bonnes à caser). Voici qu’un portrait contemporain, acquis par une galerie d’art de Londres, pourrait être acquis par la National Portrait Gallery et lui offrir une nouvelle gloire.

Acquis par un galeriste londonien, Philip Mould, lors d’une vente aux enchères à Manhattan (NY), l’anonyme « portrait de femme » du dix-huitième siècle est désormais considéré être celui du fameux chevalier d’Éon, longtemps obligé de se produire – avec sans doute son mitigé consentement – en tant que chevalière, travesti en femme.

Singulier destin que celui de cet agent secret de Louis XV (et peut-être de Louis XVI) qui, son autopsie l’a révélé en 1810, était bien un homme tout à fait normalement constitué. Avocat, écrivain, courtisan, il commença en 1756 une carrière de diplomate, soit d’honorable correspondant, à la cour de la tsarine Élisabeth de Russie. Elle donne des bals costumés où il est prescrit de se travestir en adoptant les costumes du sexe opposé. Peut-être y prendra-t-il goût…

Devenu capitaine de dragons, c’est bien sûr sous l’uniforme masculin qu’il combattra et sera blessé. Il est ensuite envoyé à Londres entant qu’observateur et diplomate.

Quelque peu extravagant, il tombe en disgrâce et se travestit. Ce qui n’empêche pas qu’il reparaît à la cour de France en uniforme, mais Louis XVI l’exile à Tonnerre en lui enjoignant de rester habillé en femme.

Retourné en Angleterre, il mourra, âgé de 82 ans, toujours travesti, servant de dame de compagnie à une veuve, mais ne dédaignant pas à l’occasion de se battre en duel et en jupes, parfois sur des scènes théâtrales (et le peintre Stewart l’aurait ainsi fait poser en « femme au chapeau », comme il faisait le portrait d’autres acteurs ou actrices de l’époque).

Le portrait retrouvé montre d’évidence une ou un Français. Il est attribué à Thomas Stewart, un artiste anglais. C’est en le restaurant qu’il est apparu que le personnage, portant une robe et un col de dentelle, mais aussi une décoration rarement attribuée aux femmes (l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis, dont Éon fut décoré en 1763), ne pouvait être que le singulier chevalier.

Il avait été assez souvent portraituré, surtout sous forme de gravures plus ou moins fantaisistes. Des paris furent pris à la bourse de Londres sur son sexe, mais il se refusera à confirmer ou infirmer les hypothèses. D’ailleurs, aux archives notariales de Paris, sur des documents, il signait indifféremment chevalier ou chevalière d’Éon et non point de son nom complet (Charles-Geneviève d’Éon de Beaumont).

Il avait été mis aux arrêts (ou plutôt en résidence, et sommé d’adopter des habits féminins) à Tonnerre et le château de Béru, à partir de juin prochain, lui consacrera une exposition. Sans pouvoir sans doute montrer le fameux portrait qui risque de rejoindre la National Portrait Gallery.