Le spectacle "A la recherche de Joséphine" est présenté par Jérôme Savary au Casino de Paris. Je l'ai découvert lors de son avant-dernière. Ce spectacle était l'occasion de présenter essentiellement la France de l'entre-deux guerres et le personnage si particulier que fut Joséphine Baker. J'y étais donc allé pour retrouver une ambiance légère, frivole.
Ce fut donc avec une certaine surprise que je découvrais un spectacle mêlant le passé et le présent, dressant une histoire des noirs contre le colonialisme et le racisme. Bref un spectacle mêlant notre manière contemporaine de voir (ou mal voir) les choses avec un évènement du passé qui présente quand même la particularité de s'inscrire dans une ambiance que nous perdons avec le temps.
Le dernier spectacle de Jérôme Savary porte sur Joséphine Baker tout en évoquant les thèmes du colonialisme, du racisme, de la condition des noirs dans les colonies européennes et sur les terres des futurs Etats-Unis. N'ayant lu aucune présentation du spectacle, je suis venu y assister avec simplement l'envie de découvrir l'univers de cette chanteuse-danseuse.
Le spectacle est en deux parties.
La première partie introduit tout d'abord l'histoire. Nous sommes dans la Nouvelle-Orléans dévastée par le cyclone Katrina de 2005. A bord de sa barque, le vieil Old Joe raconte l'histoire du peuple noir depuis l'époque coloniale, l'abolition de l'esclavage et la formation des Etats-Unis jusqu'à la lutte contre le racisme aux Etats-Unis. En parallèle, un producteur part sur ces terres dévastées à la recherche d'une jeune femme qui incarnerait Joséphine Baker dans une nouvelle « Revue Nègre », ce spectacle qui fit vibrer le tout-Paris des années 1920. Cette jeune femme n'est autre que la petite-fille d'old Joe, une jeune femme magnifique et d'une voix merveilleuse.
La première partie met essentiellement en valeur le vieil Old Joe, la mémoire du temps passé, qui raconte la tragédie de la condition noire. Freinant les ardeurs du producteur européen, il dresse le récit d'un peuple noire malmené mais fier et à l'origine d'une véritable culture. Son récit est empreint de tragédie, lourd et pesant, se veut plus ou moins culpabilisant. Il est accompagné d'une musique maintenant une certaine tension mais surtout d'un fond de scène sous la forme d'un rideau sur lequel des images défilent. Celles de la Nouvelle-Orléans dévastée par le cyclone, celles du Ku Klux Klan et de ses réunions, celles de Martin Luther King et de son célèbre rêve.
La première partie du spectacle a en tout cas tout pour décevoir. C'est à la suite de son voyage sur place que Jérôme Savary décida de modifier son projet initial pour raconter une histoire traversant l'Histoire, mêlant le passé et le présent. Une manière catastrophique de débuter un spectacle. La première partie se résume à un discours caricatural incarné par un personnage qui ne l'est pas moins. La colère d'un peuple nous est décrite sous la forme d'un groupe de jeune beuglards mêlant des gestes de révolte aux attitudes contemporaines d'un rap rebelle et brutal face à un producteur blanc qui prend les allures d'un colonisateur. Les danses sont mièvres, il n'y a pas de champ mais des cris immondes qui, à force de se regrouper, casse les oreilles du public. Il faut être ouvert et laisser sa chance à un spectacle qui débute. Mais la première partie doit, elle, faire l'objet d'une véritable compassion.
Quoiqu'il en soit, la transition est étrange. Le vieux Old Joe finit par conseiller à sa fille de quitter ces terres inondées et sans espoir et de partir pour Paris. Le producteur français cumule sur lui les stéréotypes du nobliau, du blanc colonisateur, de l'opportuniste. Il se faisait huer, malmener par un peuple rebelle qui finalement se plie et part pour Paris chercher le succès.
Bref, l'entracte nous laisse simplement l'occasion de nous remettre d'une première partie ennuyeuse et bien inintéressante. A force de mélanger les genres et les époques, elle se solde par une série d'anachronismes, d'idées présentées sous une forme caricaturale et facile. Il reste qu'elle posait quand même les jalons de ce qui rendra la seconde partie si intéressante. Incontestablement, les danseurs dansent bien, l'héroïne a une voix magnifique.
La seconde partie alterne entre les récits du grand-père et la revue montée par le producteur européen. Joséphine Baker monte sur scène. Cette seconde partie prend la forme d'un spectacle qui présente à la fois les musiques et les danses d'une communauté noire rebelle ainsi que les chants et les danses, si connues et si appréciables de Joséphine Baker. Long spectacle, cette partie nous entraîne dans un univers scénique véritablement formidable. Nous retrouvons la frivolité d'une danseuse-chanteuse exceptionnelle, l'insouciance affichée de l'entre-deux guerres, la légèreté dans le traitement des sujets coloniaux en Afrique et en Asie. Une légèreté qui contraste avec la lourdeur des récits du vieil Old Joe qui n'en finira pas de dérouler l'histoire du racisme, pourtant hors sujet dans ce type de spectacle.
L'ensemble se révèle moyen. A sa charge, naturellement, tout ce qui est hors sujet et oppressant. Le récit de la condition noire était-il vraiment utile dans un spectacle chargé de faire revivre la très grande Joséphine Baker ?
A sa décharge, tout le reste. Les personnages ont tous été bien construits. Le producteur joue un rôle à la fois humoristique, maniant subtilement le grotesque dans son physique et dans ses attitudes, mais aussi sérieux et même impressionnant puisqu'il anime avec brio cette seconde partie qui soulève par la légèreté de son humour, la magnificence des costumes et des voix. Nicole Rochelle est éblouissante en Joséphine Baker. S'imprégnant totalement du personnage, sa voix superbe, ses bonnes facultés de danse en font une héroïne splendide.
L'univers de Joséphine Baker a sans doute été abordée beaucoup trop rapidement. On ne nous montre que les chansons archi-connues, les pas de danse, la robe en banane et tout ces aspects que l'Histoire populaire a retenu. Au détriment, sans doute, de la profondeur du personnage et de son passé, son histoire que l'on était venu chercher. « A la recherche de Joséphine » est devenu une recherche d'une nouvelle Joséphine montrant que le temps présent part dans son passé exploiter quelques unes de ses icônes.
La seconde partie mêle, cette fois plus habilement, le passé et le présent pour les joindre dans une quête d'humour omniprésent et bon enfant qui se moque gentiment de tout. A la splendeur des costumes et des décors s'ajoutent les qualités des danseurs, éblouissants dans la seconde partie. L'interactivité était également de la fête. Les divers acteurs sont descendus de la scène pour rejoindre le carré Or du Casino de Paris et tenter de faire chanter et danser quelques spectateurs. L'intention était bonne et les gags n'ont pas manqués. Mais le public a été finalement un peu mou, peu réceptif. On ne s'est pas levé pour danser et on a trop peu chanté. Le public est demeuré un peu spectateur, passif, ce qui montre que même la seconde partie a été un demi-succès.
On vient à ces spectacles pour y trouver une occasion de chanter et danser à l'unisson, une ambiance bon enfant, légère et frivole qui contraste avec le sérieux des spectacles plus contemporains. Peut-être serait-il utile que nos parents et nos grands-parents nous racontent ces ambiances passées que nous perdons aujourd'hui sans même nous en rendre compte. Cela devient une urgence : mélanger les genres n'est pas une bonne chose.