Avec une abstention sensiblement égale, mais peut-être mouvante, il est très difficile d’analyser finement les résultats du second tour des cantonales. Ce qui ressort des commentaires de la presse semble très superficiel, voire fallacieux. Les grands vainqueurs de ce second tour, du fait d’une déroute sans doute plus importante qu’annoncée du parti majoritaire, sont peut-être des élus « centre-droit » ou « centre-gauche », voire localement de rares écologistes, indépendamment de leurs étiquettes. Tout compte fait, on constate surtout une France virant à babord… tout doux.

Premier constat, le FN a mobilisé beaucoup moins qu’il pouvait l’espérer. Certes, il n’était pas présent dans tous les cantons, certes, sur le seul nom de Marine Le Pen des candidates et candidats totalement inconnus, absents, voire obscurs, ont fait de bons résultats. Mais la perspective de voir un candidat FN l’emporter n’a que peu mobilisé à « gauche » et au centre, tandis que, assez logiquement, celle de voir passer un « socialo-communiste » a pu gonfler les résultats du second tour, au profit soit de l’UMP, soit d’un divers droite.

Les deux élus FN ne sont pas de parfaits inconnus. Patrick Bassort (Carpentras Nord) a fait campagne. Sur quels thèmes ? La sécurité, l’immigration, oui, mais surtout « la question des maisons de retraite et du grand âge », un thème que ne désavouerait pas Marie-Claude Bompard, maire de Bollène, dissidente du FN, réélue confortablement à Orange-Est. Et puis, il s’était prononcé très modérément sur le projet d’implantation d’un centre nautique, avait critiqué sans éclats de voix le projet de construction d’une seconde mosquée à Carpentras. Patrick Bassot est conseiller municipal de Carpentras, il avait été proche de Dominique Louis (div. droite), il a fait suffisamment profil bas pour une pas effaroucher, et a su se montrer assez présent, mais pas trop. En face, Baylet (PS) améliore les résultats du premier tour de près d’une dizaine de points. Jean-Paul Dispard (Brignoles, Var), l’emporte par cinq voix devant un sortant communiste, maire de la localité, n’ayant que peu de réserves de voix si ce n’était celles d’abstentionnistes, et qui avait élu à la faveur d’une triangulaire. J.-P. Dispard bénéficie d’un recul de l’abstention et peut-être d’un fort pourcentage des blancs et nuls (7,83 %). Discret candidat FN aux dernières régionales, très peu mis en avant par le FN varois, il a bénéficié des apports de voix de l’UMP. Au moment de l’élire, les « déçus de la gauche » qui avaient conforté « l’effet Marine » du premier tour lui ont-ils ou non fait défaut ?

Car l’essentiel est là : le vote protestataire du premier tour s’est-il confirmé ? L’OPA sur un électorat flottant, plutôt issu de la gauche, a-t-elle généré des dividendes ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas eu de sursaut abstentionniste, ou bien peu. La possible perspective de voir une Marine Le Pen radieuse entourée de ténors du FN, nouveaux élus, a-t-elle tant mobilisé ? Force est de constater que le FN n’enthousiasme pas autant qu’il le laisse supposer.

Divers sondages (IFOP, BVA) établissent que le FN est désormais perçu, pour une très forte minorité, voire une courte majorité, tel un « parti comme les autres ». Est-ce vraiment porteur pour le FN ? Dédiabolisé, certes, mais plus crédible, plus apte à mettre en œuvre un programme qui énonce des promesses susceptibles d’être tenues ? Pas forcément. Comme les autres, donc aussi peu fiable, aussi peu susceptible d’apporter autre chose qu’un changement de têtes et une variante de ton.

Sophia Aram a présenté ses excuses aux auditeurs de France Inter pour avoir qualifié de « gros c… », non pas tous les électeurs du FN, mais ceux qui ramènent les problèmes d’emploi, d’inégalité, de précarisation à la préférence nationale. En fait d’excuses, elle en a remis une couche. Il se trouve que les nouveaux électeurs du FN n’ont pas été vraiment confrontés à la base traditionnelle du Front. Les candidats frontistes n’ont pas vraiment fait campagne, les deux élus paraissent des gens convenables, et Marine Le Pen semble vouer de la considération à tous les électeurs. Ce qui risque de se passer, au fur et à mesure que Marine Le Pen devra détailler son programme, c’est que ces nouveaux venus, que l’accusation d’être fascisants ne fait plus frémir car ils ne se sentent absolument pas concernés (et de fait, très peu se disent racistes, intolérants, jusqu’au-boutistes), n’aient pas très envie de passer à leurs propres yeux pour des naïfs. Ou de paraître assimilés à celles et ceux qu’ils risquent de fréquenter s’ils en venaient à s’engager davantage dans les officines locales frontistes, dominées par de petits notables proprets, bien cravatés, au verbe haut et aux dents longues.

Étienne Liebig sort, chez Michalon, un nouvel essai intitulé Les Nouveaux Cons. Lesquels « se renouvellent à chaque génération (…) contaminent tous les milieux. Bobos, profs, retraités, syndicalistes, militants de droite et de gauche, féministes, artistes, psychanalystes, jeunes de quartier, &c., personne n’est épargné. ». Personne n’est indemne, pas même soi-même, relève Liebig. Ce qui autorise à « jouer au con », mais jusqu’à un certain point, un certain stade, un certain second tour.

Dans les mairies, au moins les plus importantes, ces prochains jours, abstentionnistes et votes blancs seront analysés. Cela s’effectue à partir des listes électorales, bureau par bureau, en tenant compte de la composition sociologique des divers secteurs. Plus globalement, au niveau départemental, les vieux clivages seront scrutés, notamment pour vérifier si la tendance à la « rurbanité » infléchit les dichotomies entre l’électorat urbain des beaux quartiers et des autres, entre l’électorat rural des cantons denses et ceux dont l’habitat est dispersé. On en tirera peut-être des projections pour les cantons qui n’étaient pas appelés à renouveler leur conseiller général, mais dont on suppute l’évolution démographique de 2008 (précédentes élections cantonales) à 2012.

Ce qui apparait pour le moment, c’est que, finalement, tant dans la plupart des villes que des « campagnes », les candidats centre-droit et centre-gauche (ceux du PS et même ceux du PC gestionnaire), ont bien résisté. En revanche, hormis dans des fiefs, l’UMP, désormais considéré parti des riches et des affaires, droitisé à la limite de l’extrême – soit de la droite du FN, que les candidats UMP eux-mêmes en soient d’accord ou non – semble durablement désavoué. Cela se vérifie dans les Hauts-de-Seine où, sous étiquette UMP ou autre, le centre-droit s’est opposé à la « sarkozye ».

Le FN, c’est assez net, a progressé en voix. L’Ifop, qui ne se livre pas qu’à des sondages, relève que « la progression de près de 11 points du FN ne peut s’expliquer sans reports significatifs d’une partie de l’électorat de gauche. ». Oui, globalement, mais où ? Là où un UMP risquait d’être reconduit ? « Quelle que soit la configuration du second tour, » souligne l’Ifop. Il n’empêche que « la porosité avec une partie de l’électorat UMP » semble la plus évidente, déterminante.

Mediapart s’est livré à une analyse sur 39 cantons et en tire la conclusion que « le Front national a aussi séduit à gauche ». Ce n’est pas faux.  Mais la progression est surtout forte là où le candidat PS (ou assimilé) était éliminé. Est-ce bien là l’indice que « le discours de Marine Le Pen a porté » ?Mediapart titre un peu rapidement ainsi. Pour infliger un camouflet à Sarkozy et l’UMP, un tabou est tombé : il peut s’agir d’un vote tactique (dans des départements où l’UMP reste fort, tout ce qui l’affaiblit est bon à prendre), mais surtout viscéral.

À gauche, aussi, on a pu se dire : tant qu’à récolter un clone du FN, autant avoir l’original. Cette tentation, très minoritaire, réfrénée, jouait déjà lors… de la réélection de Jacques Chirac, pour une frange de l’électorat de gauche. Mais il n’est pas sûr du tout que Marine Le Pen conservera ces voix lors de la présidentielle. Pour les législatives, il pourrait en être autrement… À moins, peut-être, qu’en cas d’élimination de Nicolas Sarkozy, très peu de députés UMP ne se réclament encore de cette formation, et aient réussi à prendre leurs distances, à faire oublier leur étiquette sarkozyste.

Une tendance semble se dessiner : si, au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen se retrouvait face à Nicolas Sarkozy, le « Front républicain » serait celui de l’abstention ou du vote blanc.

Ah, on l’oublierait presque : le Front de gauche ne s’est pas mal défendu. S’il réussit à s’adresser aux électeurs du FN en leur tenant peu ou prou le langage qu’ils ne sont pas des niais mais des leurrés en puissance, et parvient à les faire douter d’eux-mêmes, du discours apparemment antilibéral du Front, à faire pressentir qu’il est bien « un parti comme un autre », il n’est pas sûr qu’il s’attire des voix. Mais il pourrait réussir à faire comprendre que l’abstention n’a pas touché que les partis traditionnels lors de ces cantonales : le « qu’ils dégagent tous » s’adresse aussi au FN. Ce qu’il faudrait aussi analyser, ce sont les résultats des cantons où il avait pu s’implanter autrefois. Certes, il progresse dans la plupart. Mais pas au point de l’emporter. On l’oublie, là où il était influent, plus ou moins conforté par la droite, qu’a-t-il au juste obtenu ou changé ? Après l’UMPS, le SFUMPN ? Le FN compte désormais non seulement des dissidents, mais, lui aussi, déjà, des déçus, des déserteurs, des évadés. Perdus pour tout le monde ou rancuniers ? Au fait, l’effet Royal, il en est où ? Où sont passés les volontaires de Désir d’avenir ? Les enthousiastes obscurs et sans grade ? La dynamique Marine, en un an, peut aussi lasser…