03H00

03H25

03H45

Les heures, les demi-heures défilent sur le cadran de mon réveil. 

06H45

Je me lève et pourtant mon réveil n'a pas encore "sonné".

Je prends une rapide douche pendant que mon mari prépare le petit déjeuner.

Je prends un rapide petit déjeune, je n'ai pas faim. J'ai la sensation d'avoir une boule dans l'estomac.

Nous faisons un peu de rangement et nous partons. Nous n'avons échangé que  quelques banalités.

Nous sommes en avance, heureusement car à quelques kilomètres de notre domicile, nous avons la surprise de constater la présence d'une déviation au moment où nous allions prendre la voie rapide qui doit nous emmener à Nancy. Nous sommes obligés de parcourir 15 kilomètres de plus. Tant mieux, cela repousse un peu l'inéluctable.

Mon mari conduit tranquillement mais je le sens nerveux. J'ai très envie qu'il me cause comme il le fait d'habitude, qu'il m'emmène dans ses rêves, dans ses délires mais il ne dit rien. Habituellement, il est toujours plein de rêve, plein de projets, plein de folie.

Nous sommes presque arrivés à Nancy. Il y a un fort ralentissement. Nous sommes presque à l'arrêt. Pourvu qu'il n'y ait pas un accident.

Mais non la circulation se remet en route et elle redevient fluide. Le ralentissement n'était du qu'à la curiosité des automobilistes.

Nous arrivons à l'hôpital de Nancy Brabois. Tient, il y a des travaux, Il n'y a plus de parking. Nous suivons la circulation tels des moutons et nous entrons dans une construction récente. Un parking à étage. Sans doute payant puisque nous sommes obligés de prendre un ticket pour rentrer.

Je peste, je me dis que nous venons de parcourir une centaine de kilomètres et il va nous falloir encore payer un parking. Quelques minutes de colère me font du bien. Je ne pense plus à la raison qui nous amène ici.

Nous sommes un peu perdus dans cet immense centre hospitalier. Nous ne reconnaissons rien et pourtant, nous y sommes déjà venus il y a six ou sept ans. Nous rencontrons un agent de sécurité qui aimablement nous indique notre direction. Je pense qu'il est d'origine maghrébine. Il est d'une grande gentillesse. J'ai une petite pensée pour les racistes: "Quelle bande de CONS!" 

Curieux ce à quoi on peut penser d'un seul coup. 

Mais la réalité me rattrape aussitôt, je suis de plus en plus angoissée.

Il y a deux semaines, lors d'une mammographie de contrôle, le radiologue a découvert en mon sein droit un chapelet de grosseurs. Des examens de contrôle ont été pratiqués. Ils ont confirmé le diagnostic.

Ma mère est décédée d'un cancer du sein il y a une dizaine d'années. Elle n'avait pas soixante ans.

CANCER, le mot est dit. Un mot vulgaire, il me fait peur. Mon mari et moi ne l'avons pas encore prononcé à voix haute.

J'ai expliqué à nos enfants que je devais passer des examens. Comme d'habitude, mon fils a posé des questions mais ma fille n'a rien dit. Elle est comme son père, elle a bien du mal à exprimer ses sentiments.

 

– C'est la première fois que vous venez ? C'est la secrétaire qui me parle. Je suis au centre de cancérologie Alexis Vautrin de Nancy. J'ai l'impression de flotter dans un cauchemar.

– Non lui dis-je. je suis déjà venue pour un examen il y a cinq ans. Je précise que je l'avais déjà indiqué lors de l'appel téléphonique au cours duquel j'avais demandé le rendez vous.

– La secrétaire médicale nous pose diverses questions.

– Une personne entre dans la pièce. il ne salue personne. Nous sommes sans doute invisibles.

– La secrétaire perd de sa superbe et lui adresse un "Bonjour docteur" respectueux, presque craintif.

– Le médecin répond à peine.

– Nous sommes invités à nous rendre dans la salle d'attente. 

 – Mon mari se décide à parler. Il me parle de mes amies, de problèmes de famille. Heureusement nos enfants vont bien.

Hier soir mon mari m'a demandé pardon de ne pas arriver à me parler de la grosseur qui hante mon sein droit. Il pleurait presque. Il est extrêmement sensible. Il n'arrive pas accorder une confiance totale à qui que ce soit. Il est  souvent en souffrance même s'il essaie de le cacher. Je pense qu'il souffre d'empathie.

Nous sommes heureux ensemble.

Pourquoi moi? Je ne bois pas. Je ne fume pas. Je n'ai aucun comportement à risque, mon IMC est excellent. Nous habitons dans un département rural loin de la pollution des villes.

– 09h10 une aide soignante arrive. Je la suis. Mon mari reste dans la salle d'attente. Pourquoi aide soignante? Elle est peut être infirmière.

Elle m'emmène en salle de radiologie. Nouvelle radio du sein. Elle est gentille.

La radiographie terminée, on m'emmène dans une autre salle pour effectuer le prélèvement sous anesthésie locale.

Nous passons devant la salle d'attente, je jette avec un sourire mon soutient gorge à mon mari. Il sourit mais on voit qu'il se force.

Tient c'est "l'autre con " le médecin qui ne nous a pas dit bonjour.

L'infirmière est gentille, elle me tient la main durant le prélèvement.

Le médecin ne parle pas ou lorsqu'il parle, il est assez peu correct avec l'infirmière. J'ai envie de lui dire mais j'ai peur. Je suis comme paralysée.

Le prélèvement terminé, je rejoins mon mari. Cela 25 ans que nous vivons ensemble et pourtant nous faisons encore beaucoup de choses ensemble. Nous faisons merveilleusement l'amour. Bien mieux que lorsque nous nous sommes connus. Nous prenons maintenant le plaisir que seule la confiance peut apporter.

Que va-t-il se passer si j'ai un cancer ? Voudra-t-il encore de moi ? Il m'aime vraiment donc cela ne va pas poser de problème.

Oui mais m'aime-t-il vraiment ? Et si nous n'arrivions pas à supporter l'épreuve et qu'il se détache de moi ?

A la suite d'un un cancer, une de mes amies n'a plus qu'un sein. Elle a tenté une reconstruction mammaire qui a échoué. Elle a du retirer l'implant. Elle est maintenant très complexée. Et……

Ca y est c'est fini, non pas mon cauchemar mais la biopsie.

Je rejoins mon mari dans la salle d'attente. Nous quittons l'hôpital.

Il me demande si j'ai eu mal, me pose quelques questions banales voire ridicules. Il ne sait vraiment pas quoi me dire. Il est comme paralysé. Je ne le reconnais plus.

Nous n'aurons pas les résultats avant deux semaines. Deux longues semaines.

Deux semaines d'angoisse.

La vie et cruelle. Il y a encore deux semaines, nous étions heureux. Toute notre famille était en bonne santé. Nos enfants ont de bons résultats scolaires. Ils ont un certain charisme, ils ont des amis. Bien que n'ayant que des revenus que corrects nous nous débrouillons financièrement.

Et d'un seul coup, cette situation s'écroule comme un château de cartes. Une mammographie de routine et notre petite vie paisible s'évanouit.

Comme si cela ne suffisait pas, nous subissons une énorme déception familiale. Nous sommes écoeurés.

Mon mari est obligé de prendre des calmants pour dormir. Il s'y était toujours refusé jusque là.

Maintenant nous attendons.

Attendre attendre attendre ……….

C'est dur d'attendre.