Les médias, dans les contextes démocratiques, assurent des rôles qui transcendent le « informer-former-divertir » ronronnant qui est bien souvent servi pour justifier les ukazes en matière de presse comme celle du ministre de la communication du Cameroun Issa Tchiroma Bakary qui a fermé la radio Sky one le lundi 17 août 2009.
Qu’est-ce que le 4ème pouvoir, pour un média, si ce n’est la capacité à être l’arbitre du jeu de rapports de forces parfois inexistants dans un contexte de régime présidentialiste comme celui du Cameroun où le chef du pouvoir exécutif, le président de la République, phagocyte et contrôle les pouvoirs législatif et judiciaire ? Si ce n’est cette capacité à être l’ultime recours de ceux qui au Cameroun, comme ailleurs, ploient sous le faix de l’injustice, voient leurs droits piétinés sans avoir la possibilité de recourir à la justice, à la force du droit, justement parce que la société dans laquelle ils vivent a souvent consacré le droit à la force (c’est ceux qui ont l’argent, le pouvoir, qui font bien souvent la loi).
Quel est le rôle d’un média, encore plus dans un contexte comme celui de l’Afrique et du Cameroun si ce n’est, aussi, de participer à la construction (parfois en déconstruisant les vices du système) d’un Cameroun meilleur, en s’attaquant dans la légalité, sans user d’armes ni de violences, aux injustices ? Qui s’est gaussé des dépenses coquettes d’une Sarah Palin lors de la dernière élection présidentielles américaine en évoquant ses frasques comme Gouverneure de l’Alaska, qui a failli faire tomber Bill Clinton dans une affaire de sexe avec une stagiaire à la Maison Blanche (affaire Monica Lewinsky)…Les exemples foisonnent en effet où les médias dénoncent, concilient, débloquent et font sortir de crises quelles qu’elles soient.
Aujourd’hui, plus qu’hier, les médias en plus de remplir leur rôle d’informer en général, sont astreints à la nécessité d’être assez créatif, imaginatifs, efficaces, et donc professionnels dans un certain sens, pour conquérir l’audience qui dans un paysage concurrentiel, est le critère de longévité et de rentabilisation de l’industrie médiatique. En clair, un média, ou plus précisément, un programme a de l’audience ou n’existe pas. Une émission inscrite dans la rentrée de programme de tel média n’arrive pas à avoir le taux d’audience souhaité, pour rivaliser avec le programme du même segment horaire dans une chaîne concurrente ; elle ne survivra pas longtemps, au demeurant quelque bien châtiée et « bien comme il faut soit-elle ».
C’est à ce jeu que jouent TF1, M6, France2, Canal+ sur le PAF (paysage audio visuel français). A l’origine de l’émission Le Tribunal de Sky One radio, il y avait la volonté de trouver un concept de programme proche de Sans Aucun Doute de Julien Courbet en France sur TF1 et RTL pour la version radio. L’émission prit le nom de « SOS Action » en 2007. Pour la produire, j’avais alors exigé de Joseph Angoual Angoula le promoteur de Sky One radio les moyens qu’il fallait pour une telle production : des conseils juridiques, des frais de production pour les journalistes-enquêteurs, la logistique en terme de téléphones adaptés et crédités pour les coups de fils, MD et micros miniaturisés, etc. Nous ne nous entendirent pas et je déclinais l’offre. La barre avait été sans doute mise trop haute pour le contexte camerounais de ce « sans aucun doute » local qui devait jouer le rôle de médiation, de résolution de conflits, de dissuasion par la mise à l’antenne le cas échéant, d’ « injustices avérées » que se coltinent, Dieu seul sait combien de Camerounais, pour abus de confiance dans des affaires, licenciements abusifs, injustices diverses, excès de pouvoirs, etc.
Au Cameroun, les taxis portent jusqu’à 7 passagers au lieu d’un seul en France ou 4 comme le prévoit le constructeur d’une berline…C’est le contexte local qui oblige à « customiser » ainsi les véhicules, par manque de véritables transports en commun en zones urbaines… Le « Sans aucun doute » camerounais dont je rêvais sous la forme de « Sos action », s’est transformé en « Le Tribunal ». Une transformation sémantique, sans doute moins subtile, indubitablement plus agressive, avec un contenu qui parfois devenait explosif avec la personnalité de son présentateur Duval Lebel Eballe. Un présentateur qui a, malgré tout ce qu’on peut lui dégueuler comme « manque de professionnalisme » sur le fond, il n’est pas inutile de le rappeler, a réussit à positionner son programme dans la bataille de l’audimat dans la ville de Yaoundé, où « Le Tribunal » a fait un buzz, battant à l’évidence, des records d’audience, toutes classes confondues, écouté également partout dans le monde (en Europe) grâce à un streaming sur le site internet de la radio Sky one.
Lorsqu’on veut noyer son chien …
L’émission a très vite commencé à déranger, pas seulement certains autres animateurs et journalistes des chaînes de radio concurrentes dont l’audience s’est trouvée rognée, mais aussi certains propriétaires de radios privés qui voyaient s’éroder leurs recettes publicitaires. Mais, de manière plus décisive, l’émission a rendu ultra-populaire son présentateur, et s’est attaquée à des intérêts bien gardés jusqu’ici par les légumes du système politico-économico-médiatico-mafieux qui « gère » le Cameroun. Qu’un ambassadeur du Congo se formalise du traitement accordé au « Tribunal »-du peuple- au dossier d’une Congolaise en difficulté au Cameroun, qu’il écrive au ministre des relations extérieures (Affaires étrangères), qui lui-même écrit au ministre de la Communication, pour qu’il ferme, in fine, ce programme ou même la radio, cela correspond-t-il au circuit de protestation normal en la matière ? Sans preuve d’infraction pénale en l’occurrence, ou de menace à « l’ordre public », est-ce au ministère de la communication de s’immiscer aussi hardiment dans la programmation d’une radio à capitaux privés ? Le Conseil camerounais des médias, à l’image du CSA en France n’aurait-il pas eu le premier son mot à dire sur la « dérive médiatique » de l’émission Le Tribunal dont le ministre camerounais des relations extérieures fût le premier à parler?
A ce rythme, Gala, Paris Match en France, seraient déjà mille et une fois fermés, ou tout autre média français, pour avoir « maltraité » (mal traité) une actualité ou information relative à une personnalité nationale ou étrangère. Il aurait été plus élégant, et sans doute légal, d’user autant de droit de réponse, que d’une procédure judiciaire pour divulgation de fausses nouvelles, diffamation, etc. Car le prétexte de « ordre public » dont se fait fort un collaborateur (conseiller juridique) du ministre Issa Tchiroma Bakary pour exercer des pouvoirs de police administrative apparaît comme un argument spécieux et scandaleux pour fermer une radio dans un Etat de droit comme le Cameroun.
A l’ère du journalisme citoyen, de l’explosion de l’offre en matière de médias au Cameroun, il urge que les donquichottes de pacotille du « journalisme bien comme il faut », au demeurant insipide, inefficace et donc inutile aujourd’hui se rassurent, qu’ils se rassurent que demain ne leur appartient plus.
L’américain Arthur Miller, prix Pulitzer en 1949 n’avait pas tort déjà de penser que « un bon journal, c’est une nation qui se parle à elle-même », et avec « Le Tribunal », quelque imparfaite que fût l’émission, le peuple se parlait à lui-même, sans exclusive. S’il le faisait violement, inélégamment, peut-être avait-il des raisons.