Cahuzac, Tapie : enregistrements et dénis de réalité

Le gouvernement se retrouve avec deux affaires d’enregistrements de conversations téléphoniques sur les bras dont et l’un et l’autre semblent bien réels. L’existence de l’un, celui d’une « voix » attribuée par Mediapart – et d’autres, admettons à tort, par simplification – à Jérôme Cahuzac, n’a pas été démentie. La réalité de l’autre, celui du Pdg du groupe Rossel à Philippe Hersant en présence de Bernard Tapie, ne l’est pas non plus formellement mais sa teneur est démentie par le communiqué du cabinet d’Arnaud Montebourg selon lequel « l’offre de l’alliance Tapie-Hersant n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur ou de défaveur de la part de la République ». Eh bien, franchement, c’est très maladroit. Si ce n’est la République, l’État, prenant en compte l’attitude du groupe Hersant Medias et de Bernard Tapie par le passé, aurait dû mieux veiller aux intérêts des banques (et de leurs déposants), et des salariés des titres de presse du pôle sud de GHM.

Il y a quelque imposture à se féliciter, comme l’a fait Jean-Marc Ayrault, que Bernard Tapie et Philippe Hersant reprennent des titres de presse que le même Philippe Hersant a grandement mis en danger et qu’un Bernard Tapie, qui avait fait une première fois sa fortune sur la reprise de sociétés en difficultés en les dépeçant et en vouant au chômage nombre de leurs salariés, ait les mains libres pour faire de même.

Mais revenons d’abord sur l’affaire Cahuzac. Pour le lectorat du Parisien, lors d’une consultation en ligne, oui, à près de 90 %, l’affaire Cahuzac affaiblit le gouvernement. Une fois n’est pas coutume, on voit un chirurgien formé grâce aux contribuables embrasser une spécialité, la capilliculture chirurgicale, peu essentielle pour la Santé publique, puis se lancer en politique et devenir un ministre estimé compétent et travailleur, tant mieux.

Ce n’est donc pas tout à fait un formidable gâchis, comme celui qui voit tant d’ingénieurs, polytechniciens ou autres, se caser dans la finance avec les si bénéfiques résultats que l’on a pu constater. 

Mais s’il se trouvait que le dit ministre ait été motivé d’abord par le souci d’accroître sa fortune, y compris par des moyens que la morale publique est censée réprouver, oui, c’est plus qu’embarrassant pour le gouvernement. Même si ce n’était pas le cas, la perception l’emporte, le ressenti prédomine, et l’affaire n’a pas (ou plus) besoin d’être jugée par des tribunaux pour que la question soit tranchée. C’est, semble-t-il, ce qui se produit.

De plus Mediapart insiste. Le gouvernement serait suffisamment inquiet pour lancer une procédure de vérification fiscale – à tout hasard – visant non pas le seul ministre Cahuzac mais l’ensemble des membres du gouvernement (de long mois, sept, après leur nomination), mais la qualifie « de routine ». Mediapart relève que, ayant interrogé Jérôme Cahuzac le 4 décembre dernier, celui-ci avait « affirmé que son patrimoine avait déjà fait l’objet, comme celui de tous les ministres (…), de vérifications approfondies de l’administration fiscale. ». La routine serait donc récurrente. Pourquoi pas ? On y croit très fort.

Mediapart indique aussi que Gérard Ranchon, du cabinet Norminter, expert-comptable de J. Cahuzac, était dans les locaux de la Direction réginale des finances publiques de Paris-Sud le 19 décembre. Visite de courtoisie, consultation banale ou convocation ? On n’en saura rien, Gérard Ranchon se retranche derrière le secret professionnel. Mediapart avance que lui a été notifiée toute une série de questions sur le patrimoine immobilier du ministre (deux appartements avenue de Breteuil, une maison à Pujols), sur un prêt familial présumé soldé mais qui aurait toujours fait, depuis 2001, l’objet de déductions fiscales, et enfin la possession d’objets de grande valeur (des montres de collection).
Bref, chacun en pensera ce qu’il juge utile d’en penser. Glissons.

Bernard Tapie, l’insurgé

Il n’était pas criminel, mais fautif, de la part du gouvernement, de ne pas intervenir dans la cession du pôle sud du groupe GMH à lui-même et à Bernard Tapie. Sont (étaient) en jeu les emplois à La Provence, Var-Matin, Corse-Matin, Nice-Matin, et de deux titres de l’ex-groupe France-Antilles. Certes, l’État ne peut pas tout, mais il ne lui est pas interdit d’essayer.

Mais aussi, et non pas déjà surtout, on peut se demander d’où proviennent les fonds de la reprise. Pour Philippe Hersant, qui a mis 25 millions d’euros sur la table alors que son groupe, avec les intérêts, a cumulé 230 millions de dettes auprès des banques, on peut s’étonner. Voici donc que l’État, qui aurait laissé des banques subir de lourdes pertes pour soutenir l’emploi (GMH détenait aussi un pôle nord et un pôle est, constitué d’un maillage de quotidiens régionaux de première importance), se satisfait que les banques – donc leurs déposants, épargnants – encaissent une perte de 180 millions d’euros, et sauvent la mise de Philippe Hersant.

Ce n’est pas banal alors que la banque détenant la majorité des créances n’est autre que la BPCE, issue de l’union de deux banques « mutualistes », les Banques Populaires et les Caisses d’Épargne, dont les sociétaires ont donc été finalement, quoi ? spoliés ? dépouillés ? grugés ? L’actionnaire de Natixis, le sociétaire de la BRED, tant d’autres, vont retrouver combien sur les 25 millions d’euros que les dirigeants de la BPCE ont engagé dans GMH ? Sachant aussi que François Pérol, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, dirige l’ensemble, et aurait, selon Mediapart, appuyé fortement (c’est une litote) la solution retenue, actionnaires de Natixis, sociétaires des Banques Populaires ou des Caisses d’Épargne, et même simples épargnants ou déposants devraient se poser des questions. Ils subissent sans récriminer.

Les ex-salariés des sociétés liquidées par Bernard Tapie s’étonneront sans doute aussi, tout comme les journalistes, ouvriers du Livre, employés administratifs de presse du pôle sud du groupe GHM, d’apprendre par Mediapart que Claude Bartelone, président socialiste de l’Assemblée nationale, aurait pesé en faveur de la solution Tapie.

En soi, on ne peut reprocher au gouvernement d’avoir échoué : si le Crédit mutuel, à présent le plus important patron de la PQR (avec le groupe Ouest-France), qui a déjà repris de nombreux titres de presse de GMH, n’était pas intéressé, il n’y avait plus guère que le groupe belge Rossel à tenter d’activer. Certes, c’était peut-être préjudiciable à la pluralité des titres de presse, déjà très (et même trop) concentrés, mais faute d’autre solution… Il s’est trouvé que le groupe Rossel était au départ très tiède, qu’il a estimé n’avoir pas les capacités suffisantes. Dont acte.

Du Pdg du groupe Rossel, Bernard Tapie dit « que la directrice adjointe du cabinet de Montebourg l’avait contacté pour le pousser à faire une offre d’achat », ce que l’intéressé ne démentira sans doute pas puisqu’il l’aurait confié lors d’une conversation téléphonique enregistrée. On veut bien concevoir, et même admettre, que le gouvernement n’avait pas pour seul objectif de préserver des emplois, et que contrer un Bernard Tapie en cheville avec Borloo, de l’UDI, n’était pas étranger à sa démarche.

On ne sait toujours pas vraiment d’où proviennent les fonds de la reprise. Bien sûr, Bernand Tapie a bénéficié d’une ahurissante transaction, qui l’a totalement renfloué. Mais sont-ce bien ces fonds qui sont à présent partiellement engagés ? De l’autre côté, on a laissé le groupe GHM s’enfoncer dans les dettes, ne pas régler ses créanciers, et voici Philippe Hersant, qui fait des affaires en Suisse, en mesure de déposer 25 millions d’euros sur la table.

Ce n’est pas du fait de l’actuel gouvernement, mais ce dernier entérine, et le Premier ministre se félicite de cette solution.

Eh bien, c’est « enregistré ». Doublement. Si le triplement guette, oui, c’est plus qu’embarrassant pour le gouvernement, et même l’Élysée.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

9 réflexions sur « Cahuzac, Tapie : enregistrements et dénis de réalité »

  1. Ajoutez à cela que, ce dimanche, [i]Le Parisien[/i] titre « Cahuzac a conseillé le laboratoire Pfizer ».
    « [i]Lorsqu’il a effectué ses contrats pour Pfizer, Jérôme Cahuzac avait quitté le poste de responsable du médicament au cabinet du ministre des Affaires de la santé, Claude Evin (de 1988 à 1991). Mais, en 1998-1999, alors qu’il est député et rapporteur du budget de la santé pour le PS, apparaissent dans les comptes de sa société deux factures d’un montant global de 250 000 F, sans que l’on sache qui les a payées. Interrogé, l’entourage du ministre n’a pas répondu.[/i] ».

    Le Parisien résume des informations déjà détaillées par Mediapart. Qui pointait l’action de Cahuzac Conseil en faveur d’une sorte de lotion miracle ou poudre de perlinpinpin censée améliorer la vigueur sexuelle. Il s’agissait du Tot’hema ( « [i]un vieil élixir d’Innothera à base de fer, censé traiter l’anémie, que le laboratoire vendait surtout en Afrique dans les années 1980, comme remède à la fatigue sexuelle (avec un taureau sur la boîte d’emballage[/i]). ».

    Là, dans [i]Le Parisien[/i], pour Pfizer, il s’agit du Tahor. Celui-ci est jugé efficace, mais « [i]TAHOR 80 mg comprimé ne présente pas d’amélioration du service médical rendu par rapport aux autres statines disponibles.[/i] ». Le Tahor (ou Lipitor), c’est le quart du chiffre du laboratoire américain. C’est le médicament le plus vendu au monde.
    En mai 2012, « [i]dans plusieurs pays d’Europe, expir[ait] le brevet de l’anti-cholestérol de Pfizer, le Tahor appelé aussi Lipitor[/i]. ».

    Bon, la facture de Cahuzac Conseil, c’est les patients qui l’ont payée en achetant le médicament.

  2. « Ce n’est donc pas tout à fait un formidable gâchis, comme celui qui voit tant d’ingénieurs, polytechniciens ou autres, se caser dans la finance avec les si bénéfiques résultats que l’on a pu constater.  »

    Ce « gâchis » justifierait-il les assassinats d’ingénieurs commis par certains militants de l’extrême-gauche ?

  3. Voici très peu, ce dimanche soir, [i] Reuters[/i] a remanié légèrement une dépêche « Doutes sur l’avenir de l’équipe gouvernementale », en se livrant à l’analyse des médias que j’ai précédemment effectuée (tout le monde pouvait la faire, [i]Reuters[/i] a bien réagi, voilà tout).
    Voir :
    [url]http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5E8NN2DR20121223[/url]$
    Et là, toute la presse française ou presque, dédouanée, reprend.
    Ce qui fait que tout ce qu’a pu dire et redire [i]Mediapart[/i] tout récemment est repris. Voire amplifié.

    Il ne se trouve que le sénateur-maire de Dijon, aujourd’hui, à apporter son soutien à J. Cahuzac, mais uniquement pour vanter ses qualités (pas sa sincérité, par ex.) gouvernementale.
    François Rebsamen a estimé, ce qui n’est pas faux :
    « “Il est une pièce essentielle ([i]du Gouvernement[/i])”, [i]indique-t-il d’emblée. Avant de tirer un premier bilan de son action, en pleine atmosphère de crise [/i]: ”Le marathon du budget 2013, c’est lui. La compétence technique dans un Gouvernement parfois taxé d’amateurisme, c’est lui. La lutte contre l’exil fiscal, c’est encore lui.” ».

  4. Si tout se termine bien ou pas trop mal pour Mediapart, le journal en ligne pourrait enchaîner en tapant cette fois sur le NPA, histoire que chacun comprenne, ou apprenne, qu’il est impartial, parfaitement indépendant, et informe ses lecteurs en toute objectivité et avec grand professionnalisme sans entrer dans certains jeux de pouvoir.

    En prime, cela l’aiderait pour la suite, car il va bien devoir faire la preuve de sa bonne foi vis-à-vis de Cahuzac.

  5. Bruguière, maintenant :

    [url]http://www.parismatch.com/Actu-Match/Societe/Actu/EXCLU-Affaire-Cahuzac-La-charge-du-juge-Bruguiere-contre-Michel-Gonelle-454023/[/url]

    Quand je pense qu’on m’a jadis remis des photos super compromettantes en me recommandant de m’en servir pour tenir à distance certaines pourritures…

    J’ai jamais pu. J’aurais dû.

  6. Je ne vois pas bien en quoi les supposés enregistrements Gonelle et tapie pourraient « inquiéter » le Gouvernement.

    J’ai souvenir d’une vidéo autrement compromettante, la fameuse cassette « Méry ». Elle avait fait….pschitttt !!

    Tartiner sur Cahuzac ou Tapie, c’est du temps gâché !

    jf.

  7. Eh bé… ça évolue vite…

    Aujourd’hui, Bruguière est quasiment désigné comme la personne qui aurait transmis l’enregistrement à Mediapart :

    [url]http://fr.news.yahoo.com/affaire-cahuzac-lex-juge-bruguière-dit-avoir-reçu-122310070.html[/url]

    C’est bizarre, je sentais bien du Karachi là-dessous, j’ai posé la question dans un commentaire qui n’a pas été publié, hier ou avant-hier.

  8. [url]http://aquitaine.france3.fr/2012/12/24/jean-louis-bruguiere-dernier-protagoniste-de-l-affaire-cahuzac-170159.html[/url]

    [quote]Dans l’interview donnée au correspondant de l’AFP, M. Gonelle a cependant assuré: « Il prétend avoir détruit cet enregistrement, c’est une attitude singulière pour un magistrat et ce n’est pas crédible ».

    Il a ajouté: M. Bruguière « évoque son éthique, cela fait rire tous ceux qui le connaissaient et en particulier ceux qui ont participé à sa campagne électorale en 2007 », quand l’ex-juge s’était présenté face à Jérôme Cahuzac aux législatives dans le Lot-et-Garonne.

    « Il a fait campagne aux frais du contribuable avec sa voiture blindée et ses gardes du corps, il a fait peur à tout le monde, c’est un manipulateur qui n’a pas d’éthique », a-t-il dit.

    Selon M. Gonelle, M. Bruguière lui a envoyé à la fin de sa campagne « une lettre manuscrite pour me remercier ». « Il ne m’a jamais évincé, c’est moi qui ai pris mes distances avec lui au cours de la campagne parce que son entourage n’était pas très recommandable, il y avait des repris de justice ».
    [/quote]

    En tous les cas, il n’y avait pas le Chinois : libéré à tort (pour faire le ménage ?), il en avait profité pour tuer du flic => retour au trou !

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