Réaction d’une proche, ni fortunée (au contraire) et, célibataire, ayant payé un maximum au fisc d’une fait d’une assez longue période de revenus salariaux « décents » (même si sous-rétribuée compte-tenu de ses études aussi longues que celles d’un Jérôme Cahuzac) : « Mais arrêtez-donc de l’emm…, vous ne pouvez pas lui ficher la paix, à ce pauvre homme ? ». Je lui annonçais qu’après s’être enfoncé dans le déni, avoué pas davantage que 600 000 euros placés à l’étranger, Jérôme Cahuzac venait de préciser que la somme était en fait de 685 000 euros. Effectivement, ce n’est pas 700 000… L’intéressé déclare que les gens « l’encouragent ». C’est exact, faute peut-être, de comprendre à quel point il les a spoliés… 

Après tout, moi aussi, j’encourage Jérôme Cahuzac à retrouver une certaine sérénité, à pouvoir se consacrer à des tâches utiles à la collectivité, ce à quoi sa profession initiale de médecin (et non d’artiste capilliculteur) le vouait.

Il ne s’agit pas de traiter le cas Cahuzac, mais plus globalement celui des « ces actions » qui restent « d’une banalité bien triste » dans divers milieux professionnels (que j’ai pu aussi fréquenter, comme lui-même), ainsi qu’il l’a déclaré ce matin en marge de l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. Il a aussi plaidé que, par rapport à un violeur ou assassin d’enfant, il se sentait la conscience beaucoup plus nette. De même sans doute qu’un Tim Cook, d’Apple, un Jobs avant lui, un Bill Gates, de Microsoft, et tant d’autres dont les fondations, galas en faveur de l’enfance n’occultent plus qu’ils ont organisé une évasion fiscale massive…

Leur réaction est concevable. Mais tout comme en premier lieu Jérôme Cahuzac, ces grands patrons savent fort bien comment un État finance l’aide à l’enfance, la police et la justice qui peuvent détecter, puis mettre hors d’état de nuire un Marc Dutroux, couvrir ses frais de détention, voire lui apporter un soutien médico-psychiatrique.

L’État fixe un budget. Soit des dépenses de fonctionnement et d’investissement. Puis des recettes qui, en fonction de sa nature, des espérances de pérennité de la carrière politique de ses dirigeants, répartit la ponction fiscale de manière à ne pas s’enfoncer dans un déficit incontrôlable par un recours aux emprunts devenant insupportables à rembourser pour les générations futures.

C’est très simple : qui échappe à l’impôt en reporte la charge sur ses concitoyens, qui fraude finit par réduire les services publics, notamment l’aide à l’enfance. Dutroux a fait x victimes, Cahuzac y, mais sans le moindre contact physique entre lui et ces enfants. Abusif ? Non, pas vraiment…

Après le passage au pouvoir de Margaret Thatcher, on a vu, dans des bassins autrefois d’emploi, revenir des maladies contagieuses, la malnutrition touchant en particulier les enfants. La situation perdure en certaines « poches » de pauvreté, et bien au-delà du Royaume-Uni. 

Parfaitement légal, moralement douteux

Notez que Jérôme Cahuzac aurait absolument pu, tout à fait légalement, se soustraire à l’impôt. Il lui aurait fallu s’adresser à davantage de conseillers et avocats fiscaux (tels un un Nicolas Sarkozy, mais des proches de la famille Le Pen ont fait l’affaire, à moindre prix), monter des sociétés écran, mais irréprochables… à ce bémol près qu’on a du mal à en concevoir l’utilité sociale, collective…

Hier lundi, un ensemble de grands patrons britanniques ou exerçant au Royaume-Uni, ont tancé le Premier ministre David Cameron reprochant l’évasion fiscale des grandes compagnies. Ils lui ont déclaré en substance : n’évoquez surtout pas la morale, faites en sorte que les règles soient les mêmes pour toutes et tous internationalement, et consultez-nous avant toute mesure pour que nous vous en pointions les effets pervers…

Ces grandes compagnies ont aussi un argument récurrent : l’emploi. La clinique Patricia et Jérôme Cahuzac rétribuait bien au moins une secrétaire, un assistant, qui, eux, payaient sans doute plein pot des impôts (au moins une taxe d’habitation, comme leurs employeurs).

Mais qui rétribue en fait les ouvrières ou les employés ? L’entreprise ou le consommateur final et le contribuable qui fait en sorte qu’ils puissent se rendre à leur travail à un prix supportable, puissent se soigner sans se ruiner s’ils tombent malade, faire prendre en charge l’éducation de leurs enfants, &c. ?

Le Sénat américain s’aperçoit aujourd’hui (mais c’était déjà connu, quand la dette américaine était mieux supportable par d’autres, soit des TPE, PME et contribuables lambda) qu’Apple échappait presque totalement à l’impôt sur les bénéfices et plus-values en se déclarant non-résidente dans tous les pays où ses activités s’exercent. Certes, il y avait bien deux firmes en  Irlande, réglant moins de dix millions d’USD sur 22 milliards engrangés (qui, parmi les contribuables non exonérés d’impôt règle un si faible pourcentage), mais trois autres, fantomatiques, sises à la même adresse (et encore, il a été tardé de déclarer au fisc irlandais la seconde).

« Apple s’était lancé dans la quête du Saint-Graal de l’évasion fiscale (…) et proclamé n’être imposable nulle part », a résumé le sénateur Carl Levin. Plus petit joueur, Jérôme Cahuzac en appelle à l’indulgence de l’opinion publique…

Les compagnies sont logées sur une zone industrielles, assez loin de Cork, où le terrain, viabilisé à l’aide de subventions consenties par les contribuables, n’était guère cher à l’époque. Les bureaux directoriaux en sont convenables, on ne sait si les rares employés se tapent une fin de parcours sous la pluie après avoir été débarqués d’un bus au loin.

Les subterfuges employés sont légaux et on peut se demander si des homologues américains prédécesseurs d’un Jérôme Cahuzac n’ont pas habilement œuvré pour qu’il en soit ainsi. Ce qui ne les empêchait guère, par ailleurs, tel un Jérôme Cahuzac, de proclamer qu’ils luttaient contre l’évasion fiscale. « Ma vie se résume-t-elle à cette faute et à ce mensonge ? J’espère que non&nbps;», s’est interrogé celui qui fut aussi un boxeur amateur de très bon niveau.

La mienne ne se résume pas non plus à avoir dû trimer à Bremen, Allemagne, en tant que laveur de vaisselle tout à fait légalement déclaré, pour financer voyages et études, mais ne pouvant le faire valoir pour ma maigre future retraite, tout comme j’ignore si je fus ou non déclaré, en France ou le plus souvent à l’étranger, pour des petits jobs fort temporaires puisque je touchais la paye au jour le jour en francs ou devises et rarement plus de trois-quatre semaines. J’imagine aussi fort bien que ma mère ne déclarait pas ces revenus marginaux. Même mineur, personne n’est censé ignorer la loi. Devenu majeur, mais toujours à charge, j’ai dû omettre de lui signaler combien je touchais pour vendre Le Monde à la criée (et je ne sais absolument pas si les cotisations afférentes ont été ou non répercutées à la Cnav).
Plus tard, Jérôme Cahuzac restait médecin généraliste conventionné et cotisant à une caisse de retraite alors qu’il implantait des chevaux en tarifs libres. Je n’entre pas dans les détails, ce fut disséqué dans la presse. Il se déclara généraliste en 1992 au sortir de ses fonctions au ministère de la Santé.

Su depuis 2000

Lors des auditions de la commission d’enquête parlementaire, ce matin, Fabrice Arfi, de Mediapart, a confirmé que deux services de renseignement « savaient depuis 2000 que Jérôme Cahuzac avait un compte en Suisse ». Dominique Baert (PS, qui a longuement fréquenté Jérôme Cahuzac) a donc posé la question « Avez-vous la conviction qu’Éric Woerth était informé en 2008 et en avez-vous la preuve ? ». Edwy Plenel ne pourra répondre directement. Soyons clair : on peut se demander si les services de renseignement travaillent pour le compte des ministres (souvent) ou pour leur propre compte (soit ceux de qui les dirige).
Mais aussi sur l’ampleur de l’évasion fiscale. De tels services ont pu soit estimer d’eux-mêmes qu’ils ne pouvaient passer leur temps à établir et étayer formellement, indubitablement, leur informations, soit se voir signifier que le jeu n’en valait pas la chandelle.

Car figurez-vous que traquer la fraude fiscale est rentable ou non selon les cas. C’est d’ailleurs le point de vue d’un conseiller fiscaliste, Philippe Crevel, dont la collaboration au Cercle des épargnants consiste aussi à signaler les moyens légaux (et largement connus) d’optimiser son imposition. Dans Atlantico, il estime que « le coût de recouvrement de toutes les pertes fiscales serait prohibitif. ».
Car notamment, les plus gros fraudeurs ont les moyens de s’entourer d’une pléiade d’avocats fiscalistes, de passer de première instance à appel puis en cassation (ce qui n’est pas du tout à la portée de tout le monde).

Pour l’énoncer crument, gouvernements et parlements successifs n’ont guère en vie de se mettre à dos les barreaux (dont leurs membres sont souvent issus) en mettant tant de beau linge au chômage, faute de niches fiscales, d’arrangements possibles à conseiller à leurs clients. Et que dire de ces multiples chargés d’affaires, gestionnaires de patrimoine, souvent issus des mêmes moules (Sciences Po, Droit, quand ce n’est pas de l’administration fiscale elle-même).

Ce qui amène à une réflexion sur l’emploi, la croissance, son utilité publique, dont je vous épargne la sempiternelle redite.

Enjeux citoyens

Jérôme Cahuzac se fait son regretté homonyme, Savary (donc non point Alain, le défunt ministre), dans ce que Daniel Bernard, de Marianne, qualifie le « Cahuzac Circus » du « pycho et du buzz ». C’est bien le problème : on s’interroge sur le devenir de l’ex-ministre du Budget, sur ce qu’il pourra encore bien révéler de lui-même (sur lui-même) dans son livre à paraître.

Alors qu’Edwy Plenel souligne : « la personnalisation (…) autour d’un seul homme » est une manière de « dévitaliser » et « dépolitiser ». Soit « d’enlever tout enjeu civique » à ce qui relève d’une « réflexion sur la démocratie », on nous joue la faute de l’abbé Cahuzac (sans la mise en perspective sociale d’Émile Zola de ses abbé Mouret et Albine).

La fraude, qu’on annonce pour bientôt punie jusqu’à sept ans de prison (attention à régler auparavant les affaires Wildenstein, à préciser ce qu’on entendra par délit de complicité), et l’évasion fiscale légale, ne sont pas seulement « pas bien ». 

Elles ne privent pas les dirigeants que de chauffeurs et personnels de maison, mais favorisent le parasitisme et pèsent sur le niveau des services publics rendus à la population. Les attentes aux urgences, c’est aussi elles, les enfants renvoyés des cantines scolaires, c’est elles, mais aussi celles et ceux qui les alimentent.

Dans le cas de Jérôme Cahuzac, nous avons aussi à nous interroger. Quel intérêt de se livrer à tels dépassements d’honoraires de la part de confrères médecins ou chirurgiens (tenez, 1 500 euros en sus pour une assez simple ablation d’un kyste au sein, soit une intervention d’une demi-heure) si la plupart de leur produit était trop ponctionné par le fisc ? Quel intérêt s’ils n’étaient pas négociables (le plus souvent en espèces) ?

Posez les problèmes en termes de santé et sécurité publiques modifie quelque peu, pour le moins, l’appréhension des choses. Il ne s’agit pas de faire de Cahuzac un bouc émissaire, de désespérer la Margot qui se tient à ses côtés, mais d’éclairer tant le pays que ses élus quant à leurs responsabilités.

Divers élus ou ministres (et ex-élus ou ex-ministres), de tous bords, dont d’ailleurs Michel Gonelle qui a tant tardé à soulager sa conscience onze ans après, et dont la défense consiste à dire qu’il n’a pas « l’âme d’un enquêteur », ni sans doute vraiment, en dépit de sa profession d’avocat, d’un redresseur de torts en assumant les risques, ce qui se conçoit, de même que le juge Brugière, mais aussi des hauts fonctionnaires, ont témoigné par leur inaction, voire complaisance, d’un laxisme qu’ils ont sans doute estimé bénin.

Ou qu’ils se seraient volontiers accordé à eux-mêmes ? Ce que la commission d’enquête, voulue pour faire marquer des points à l’UDI et l’UMP contre le gouvernement, ne cherchera sans doute pas à établir, à moins que son président, Amédée de Courson, qui est à la droite ce que René Dozière est la gauche, se sente véritablement l’envie d’entrer dans l’histoire.

Écoutons donc Michel Gonelle :« la quasi-totalité de la classe politique a pris la défense de Jérôme Cahuzac, dans tous les groupes, hélas (…) Ceux qui ont été mis en accusation dans la presse, ce sont les journalistes de Mediapart, Rémy Garnier [ndlr., toujours pas réhabilité, sinon par les médias, fort mollement ailleurs que sur Come4News], et votre serviteur. ». Il invite à ne pas oublier tous ceux qui « étaient sur le banc des défenseurs ». Ceux pour qui la fraude fiscale n’est qu’une petite embrouille, ou la condition de la profitabilité des entreprises, pour le bénéfice de leurs dirigeants et actionnaires.

La fraude et l’évasion influent sur les taux de TVA, la pression fiscale, y compris locale, et même sur la fameuse compétitivité. Ce qui ne va pas aux infrastructures, aux universités et centres de formation, échappe à l’effort d’investissement. On n’entend pas beaucoup la droite se plaindre aussi que cela favorise l’immigration, tant qualifiée que très peu qualifiée (et non, il ne s’agit pas de ressortir l’affaire de l’employée de maison de Jérôme Cahuzac régularisée sur tard). On pourrait détailler les conséquences induites à l’infini. 

Sur RMC, Jean-François Achilli considère que cette commission « ne servira à rien ». Ah si, « en tant que Franc-Comtoise » (le ministre des Finances est l’élu de Montbéliard), Marie-Christine Dalloz sera très attentive « à ce que dira Pierre Moscovici ». Moi aussi, surtout si on le confronte à des témoins affirmant que l’administration fiscale était au parfum depuis 2000.

On ne tentera sans doute pas de savoir ce qu’il aurait pu se produire si Michel Gonelle avait pu agir plus rapidement : l’affaire d’un député-maire de chef-lieu de canton n’aurait-elle pas été discrètement ou non traitée, mais sans le tapage actuel, sans que, puisque « les gens comprennent », cela lui coûte ses sièges ?

Le Premier ministre belge, Elio Di Rupo, a considéré qu’en matière de fraude fiscale, il convient de se concentrer « sur ce qui est atteignable » et qu’en matière de comptabilité séparée (répartie selon les pays) des multinationales, l’atteignable est « presque impossible ». Qui l’a donc rendu tel ? Ne seraient-ce pas aussi « les gens qui comprennent » ?

En cours de débats, devant la commission, Amélie Verdier, directrice du cabinet de Jérôme Cahuzac (et de son remplaçant), s’est vue rappeler qu’elle ne pouvait invoquer le secret fiscal puisqu’il n’est opposable que par l’administration fiscale. La cheffe (et non directrice) du cabinet avait expédié un courriel à son ministre : « je viens d’être appelée par le dircab’ du préfet… » à propos d’un contact entre Michel Gonelle et Edwy Plenel. Mais cela ne suffit pas à laisser croire que l’administration s’est mobilisée pour couvrir Jérôme Cahuzac. On en vient à l’affaire Rémy Garnier… Amélie Verdier découvre son mémoire de 2008. Et trouve les informations « fantaisistes ».
Clac, LCP interrompt le direct au profit de son journal. Cela n’intéresse plus guère que Mediapart, les directs de L’Express et d’autres (en comptes rendus écrits) ont été interrompus.
Bref, les débats de la commission s’étaleront sur des mois, tout le monde dira qu’il était très difficile de faire la part des choses avant les aveux de l’intéressé, ou que les alertes n’avaient pas été prises au sérieux, ou qu’elles ne justifiaient pas une investigation longue et coûteuse particulière. 

Quand à Jérôme Cahuzac, peut-être entrera-t-il à la direction des affaires fiscales d’une multinationale. Les gens comprendront…