Il  y a des journées comme ça, des jours qui font date. Le 11 septembre 2001, le 7 décembre 1941, le 28 juin 1914, le 14 juillet 1789, la liste peut continuer encore longtemps. Arrêtons à celle du 15 mars 44 av. JC. Un jour fatal pour l’homme le plus puissant du monde, du moins, de la partie de la planète que l’on connaît et considérée comme civilisée.

A force d’accumuler des pouvoirs, on crée des jaloux, des envieux, des personnes ne rêvant que d’une chose, celle de s’asseoir à votre place. Jules César, homme d’état romain issu de la petite noblesse, grand stratège militaire et dont le prestige est forgé sur la soumission des peuplades gauloises considérées comme invincibles, ne pourrait dire le contraire. Le glorieux général devient dictateur, dans le bon sens du terme, celui d’un sauveur, et reçoit, in fine, la lourde tâche de panser les blessures laissées à « l’empire » par une République décadente remplie de débauche, de luxure et de querelles intempestives. Bien entendu, il a abusé de sa position pour augmenter le nombre de sénateurs, les faisant passer de 600 à 900. Une occasion de faire entrer dans la haute assemblée des personnes acquises à sa cause et de renforcer les liens de clientélisme. Nous sommes le 15 mars, les ides comme on nomme cela à Rome, une séance du Sénat doit avoir lieu. Une réunion un peu particulière, elle est prévue sur le Champs de Mars dans la Curie de Pompée, lieu historique où se trouve le premier théâtre de la ville, des fontaines et des statues rendant hommage aux illustres personnages qui ont fait l’Histoire romaine. Un endroit dédié à la guerre et à l’art de batailler, les gladiateurs s’y entraînent afin de donner le meilleur d’eux même pour un futur combat dans l’arène. L’ordre du jour doit tourner autour de la mise en place d’un assaut contre les Parthes, peuple d’Asie Mineure. Un autre sujet risque d’animer les débats, l’élection de César en tant que roi. La rumeur court depuis des semaines, rien de fondé, mais une idée assez forte pour outrer les républicains les plus acharnés. C’en est fait, Jules César doit être assassiné ! A la va vite, 25 hommes montent un complot. Le principal meneur de la cabale se nomme Brutus, le protégé de Jules César depuis que sa mère a eu une affaire avec le divin maître de l’urbs, inspiré par son ancêtre qui aurait chassé le dernier roi en 509 av JC. Rien de choquant là-dedans, l’assassinat politique est une coutume à Rome, dès qu’un homme devient un peu trop gênant, toute une panoplie pour passer de vie à trépas existe. Généralement, les corps finissent dans le Tibre, véritable cimetière à ciel ouvert. Les premiers rayons de soleil commencent à sécher la rosée du matin déposée sur l’herbe et les conjurés sont déjà sur le lieu de leur terrible larcin. Les heures défilent et Jules César n’est toujours pas là. Y aurait-il eu une fuite ? Surtout que le complot ne passe plus vraiment inaperçu. Quelques jours plus tôt, Brutus a reçu le soutien de nombreux autres sénateurs approuvant le geste mais ne se mouillant pas d’avantage dans l’affaire. Si Jules César n’arrive pas c’est à cause d’un problème de santé et un mauvais pressentiment. Sa femme, Porcia, est anxieuse, il a fait un cauchemar où elle a vu son mari gisant dans un bain de sang et conseille à son époux de rester à la maison aujourd’hui. Un conseil qu’il aimerait bien suivre, son estomac est lourd, il est un peu barbouillé par le repas un peu trop copieux (et arrosé ?) de la veille. Les comploteurs sont inquiets, ils décident d’envoyer un des leurs pour voir si Jules est toujours chez lui, à la Régia, résidence du Grand Pontife et de l’ancien roi Numa. L’émissaire tombe alors sur un homme loin de la sérénité. Jules César avoue être tracassé par la vision de son épouse, une déclaration dont se moque l’envoyé qui pique au vif l’orgueil de César. Pour montrer qu’il n’a pas peur, il chausse ses sandales et part assister à la séance sénatoriale. A l’inverse de beaucoup de monde, à chacune de ses sorties en public, un véritable bain de foule attend César. Serrer des mains et glisser des petits mots gentils, est devenu son quotidien, recevoir de fleurs, des baisers et des lettres d’admiration est devenu un autre. Parmi la foule s’est glissé un professeur de grec, très chic à l’époque, qui  ayant eu vent du complot, souhaite prévenir le dictateur. Jules César s’empare de la lettre, tendue avec désespoir, mais ne trouve pas le temps pour la lire. Une lecture forte intéressante qui aurait pu changer son destin. Tous les noms des comploteurs y figuraient. Sur le Champs du dieu de la Guerre, les discussions peuvent enfin débuter. Dans une grande salle où trône Jules César, vêtue d’une superbe cape de velours pourpre et orné de lisérés d’or, Tillius Timber, faisant vice de s’avancer vers lui pour lui soumettre une requête, l’agrippe violemment. Aussitôt, la panique s’empare de l’assemblée, les conjurés accourent sur la victime se débattant de toutes ses forces, tandis que les autres élus fuient en toute hâte le lieu devenu scène de crime. Une vraie furie collective, les coups de poignards, cachés dans le  cylindre transportant les documents, fusent, une boucherie sans nom où les assaillants se blessent entre eux.

 

Jules César sait très bien qu’il n’en réchappera pas, sa fin est arrivée et il prononce avec déception sa fameuse phrase : « Tu quoque fili ». Brutus, pourtant aimé et choyé, trahit son mentor dans le but de « sauver » le régime politique dans lequel il base ses valeurs. Toutefois, le meurtre est un échec, alors qu’ils pensaient être accueillis comme des libérateurs, aucune réaction festive ne les attend. C’est dans l’indifférence la plus totale que les assassins ressortent de la Curie pompéenne.


La dépouille de Jules César, tailladée d’une vingtaine de coups de couteaux est enlevée par ses esclaves. Elle est transportée chez elle où un médecin doit faire l’autopsie. Le rêve de Brutus n’est resté qu’une chimère, 5 jours plus tard, les romains descendent en masse dans les rues pour rendre un dernier hommage à l’infortuné. Les sanglots accompagnent le passage d’une comète dans le ciel, César, par cet acte divin, gagne sa place dans le panthéon romain. Moralité de l’histoire, toujours écouter sa femme !