Le Canard enchaîné daté du 13 janvier 2010 a monté en page de couverture celle qu’il faut peut-être tirer… Sous les pieds de Michel Lucas et du groupe Crédit mutuel (bancassurance). Déjà actionnaire de presse du temps de « Petite prune » (Pierre Pflimin), avec le quoditien L’Alsace, le Crédit mutuel a fait depuis plus et mieux. Sous la houlette de Michel Lucas, dg du groupe et de multiples filiales, le groupe présidé par Étienne Pflimin (avec, pas loin dans le domaine de la presse, Rémy Pflimin), est devenu un prédateur papivore, à l’instar de feu Hersant père. Va-t-il aussi s’offrir Les Échos ?


De la rétorsion de bas étage…  Selon Le Canard enchaîné, le groupe coopératif (mutaliste) Le Crédit mutuel aurait résilié 1 200 abonnements aux Échos et retiré toute publicité (pour le CIC, premier annonceur du journal économique, notamment). La cause ? Certainement pas le fait qu’un article du 6 mai dernier indiquait que Michel Lucas, dg du groupe, était, avec 1 105 008 euros annuels, le dirigeant bancaire le mieux payé de France. Après tout, alors que les bonus sont réduits et les salaires augmentés en proportion, Michel Lucas n’avait fait qu’anticiper une tendance. Il n’empêche, ce n’est pas confraternel du tout, et cela passe pour ce que c’est : une intimidation…

 

Pourquoi est-ce inadmissible ? Quelle que soit la raison réelle de ce qui apparaît clairement être une mesure de rétorsion (à moins qu’il ne s’agisse de mettre en danger Les Échos (groupe LVMH) ou d’influencer la teneur des informations de sa filiale Eurostaf (veille stratégique), cette manière de faire est non seulement détestable, mais porte atteinte à la liberté de la presse. On peut comprendre que le groupe Crédit mutuel-CIC ait des griefs à exprimer. Dans ce cas, s’agissant d’un tel acteur de la vie économique et de la presse, Les Échos se seraient empressés de publier une mise au point. De plus, la presse économique « indépendante » est en danger. Les journalistes des Échos seront en grève mercredi 13 janvier. Les raisons ? Le syndicat SNJ dénonce une baisse des effectifs de moitié depuis la reprise par LVMH fin 2007 qui, pour des journalistes, a consisté à une « prise en mains » par l’actionnaire de la ligne éditoriale.

 

Une décision régalienne. On sait que les mutuelles – en tout cas pour la majorité des grands groupes mutualistes  n’ont plus grand’ chose de mutualiste et que les décisions ne sont plus prises par les sociétaires. Ainsi de la fusion Caisses d’Épargne-Banque Populaire : les sociétaires de la Banque Populaire ont été les premières victimes des incitations à devenir actionnaires de Natixis, la banque d’affaires du groupe. Ce ne sont d’ailleurs évidemment pas les sociétaires qui avaient considéré que 1 200 abonnements aux Échos étaient indispensables : la plupart des sociétaires ne boursicotent pas, la plupart des TPE et PME (c’est pour financer leur croissance que les mutuelles ont aussi été crées) n’envisagent pas d’entrer sur les marchés ni ne nécessitent des conseils pointus de veille économique ou stratégique…

 

Des alternatives, il y en a. Même pour des particuliers, les frais bancaires peuvent représenter le dixième d’un Smic annuel (Michel Lucas s’en moque : il n’en a que peu, et perçoit 68,53 Smic par mois…). Faites vos comptes : les banques en ligne, pourtant rentables, et rémunérant grassement leurs dirigeants, sont parfois dix fois plus avantageuses. En revanche, il existe très peu de véritables banques alternatives réellement « populaires » (les Banques  « populaires » le sont-elles encore ?). Mais la Nef, Société coopérative de finances solidaires, pour n’en citer qu’une, reste proche des idéaux du mouvement mutualiste des origines. Ses prestations sont toutefois limitées (mise à disposition d’un compte chèque, à vous de trouver une carte de retrait ou crédit). Les filiales dites « éthiques » de certains grands groupes bancaires, voire certains organismes de microcrédit, sont souvent critiquées. Notez que la BAS (banque alternative suisse), qui n’encourt d’autre risque l’éventuelle faillite d’un projet aidé, est sortie totalement indemne de la crise des marchés. Et pourtant, si la BAS ne rémunère qu’à 0,25% l’épargne, elle est considérée plus avantageuse, compte tenu des frais et commissions prélevés par les banques traditionnelles. La Banca Etica Universal ne rémunère qu’à un pour cent les comptes courants (et la vôtre, elle fait mieux ?) mais fait coller la rémunération des comptes d’épargne au taux d’inflation italien. Il existe aussi des sites pour sécuriser les prêts et emprunts entre particuliers…

 

Client Crédit mutuel ? Protestez ! Qui vous empêche de vous exprimer, dès à présent, ou lors d’une prochaine assemblée de sociétaires si vous êtes client ou sociétaire d’une banque régionale du Crédit mutuel ? Si vous avez des proches, des amis qui sont clients ou sociétaires, il ne vous coûte rien de les informer (un lien vers un article suffit, et il y en aura d’autres…).

 

Lucas, démission ? Il est évident que Michel Lucas ne risquera rien, quoi qu’il arrive. De toute façon, il pourrait se retrouver à la tête du mini-empire de presse (d’aucuns se demandent si son appétit ne lui fera pas lorgner Ouest-France, premier quotidien français) qu’il a constitué avec la famille Pflimlin. Le groupe englobe déjà, outre L’Alsace et Le Pays de Franche-Comté, Le Progrès, Le Dauphiné, Le Bien public, le Journal de Saône-et-Loire mais aussi de fortes participations, voire la totalité des parts, dans des quotidiens comme Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, &c. Ne comptez donc pas trop sur ces quotidiens pour s’effaroucher des pratiques du Crédit mutuel. Le pacte d’actionnariat avec le groupe Hersant Média, qui court jusqu’en 2012, pourrait aboutir à d’autres acquisitions de parts visant un total contrôle d’autres quotidiens.

 

Liberté, liberté chérie ! Michel Lucas est un Breton d’origine. Mais il se trouvait très proche de la statue de la Liberté de Paris, lors d’un raout de personnalités alsaciennes sur une péniche pour la dernière Saint-Nicolas. Il y avait là notamment Denis Kessler, ancien du CNPF (Medef), celui qui donnait au patronat l’objectif avoué et partiellement atteint de démanteler l’œuvre sociale du Conseil national de la Résistance. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État, était bien sûr présent, mais aussi Marie-Odile Amaury (groupe Amaury, L’Équipe, Le Parisien autrefois « libéré »). Ah oui, au fait, vous pourrez toujours opter pour une retraite à l’âge de 60 ans, mais Michel Lucas vous donne le bon exemple : il a obtenu une clause pour repousser l’âge de son départ en retraite à 72 ans. Faites comme lui : exprimez-vous au moins jusqu’à 72 ans… En lui faisant part de vos réflexions. Vous avez douze ans pour rechercher ses déclarations passées (sur la renationalisation « dangereuse » des banques, par exemple, ou la gestion de l’agressivité des clients…) et à venir. Venez lui en parler en voisin, par exemple… Il saura gérer !