Chaque premier mardi soir du mois, je m’efforce de vous faire part du sommaire de Siné Mensuel. Ce mois, ce fut raté pour des raisons « indépendantes de la volonté de la rédaction » (on va dire comme cela). Allais-je tourner la page, honteux de faire dans le réchauffé ? C’était limite. Mais l’actualité m’offre l’occasion de me raccrocher aux branches… du cactus de la stèle du fondateur, le caricaturiste Bob Siné, au cimetière de Montmartre à Paris.

Prémonitoire ? Assurément. Mais pour qui ? Bob Siné ou Siné Mensuel ? En tout cas, certainement prématuré. Mais puisque chacun sait de la mort de Philippe Pétain fut annoncée trois fois de suite prématurément par une agence de presse, je ne vois pas pourquoi Bob Sinet ne mériterait pas de son vivant l’annonce de son décès par Come4News. D’où le titre : « Bob Siné bientôt inhumé ». 

Mais rassurez-vous, Bob Sinet, dit Siné, se porte – à cette heure en tout cas – plutôt bien, et Siné Mensuel est paru mercredi dernier avec tout plein de choses intéressantes au sommaire (voir infra). En revanche, non, ce n’est pas (vraiment) un canular, la stèle de Bob Sinet et de ses amis se dresse bien au cimetière parisien de Montmartre.

Il s’agit d’un cactus censé évoquer un doigt d’honneur surmontant l’inscription « Mourir ? Plutôt crever ! » (dont l’éponyme est l’intitulé d’un célèbre film consacré au personnage). Un petit film réalisé sans trucage et dont l’acteur unique est Benoît Délépine (voir sur YouTube) en fait foi, et mon malhabile photomontage aussi.

L’École réamidonnée

Mais foin de prétexte à la mords-moi-le-nœud : Siné Mensuel nº 12 daté septembre est dans les kiosques et si vous ne l’avez pas déjà entre les mains, évoquons son sommaire.

La une de couv’ était sans doute sous presse avant que ne soient annoncés les chiffres et proportions des Français se situant au-dessous du seuil de pauvreté.

Mais cela résume bien la situation – qui ne fera sans doute qu’empirer – car c’est vraiment la dèche : pouvoir d’achat en régression (sauf pour les mieux lotis) pour la fin du mandat de Sarkozy, pas de redressement en vue sous François Hollande.
Siné, au vu des premières mesures de Hollande (ok, il est sélectif, pointe surtout les négatives) estime dans son édito que c’est plutôt mal barré. On peut craindre de le cran de ceinture supplémentaire conduise à réduire ses achats de presse écrite.
Je ne sais si cela affectera Siné Mensuel, mais en tout cas, pour écarter la tentation, abonnez-vous.

Christian Laval et Guy Dreux, sur deux pages, commentent La Nouvelle École capitaliste, qu’il ont cosigné avec Pierre Clément et Francis Vergne chez les éditions de La Découverte. Depuis Bourdieu, pas grand’ chose de changé, si ce n’est que, selon ces sociologues, les ministres de l’Éducation successifs ont accentué encore l’alignement sur les préconisations de l’OCDE et de la Commission européenne afin que les programmes calquent davantage les souhaits du patronat.
Ce n’est pas tout à fait faux, mais dans les faits, je crains que cela soit plus complexe. Qui lit encore les directives ? Qui fait encore vraiment semblant de les appliquer ? La réalité est que la dèche s’approfondit et que la plupart des chefs d’établissement et les profs fait ce qu’elle peut afin de faire avec. Si les profs n’explosent pas les budgets, c’est le principal, on ne va pas trop les chipoter sur ce qu’ils transmettent. Sauf que… s’il n’y a plus de prof d’histoire, par ex., là, ce n’est pas celui de maths qui va se substituer.

La matrice à travailleurs flexibles et dociles se heurte encore, à mon sens, à la résistance des enseignants. Mais seront-ils à même de tenir ? Pour les auteurs, tant qu’il ne sera pas assigné à l’école de bâtir une autre société, ce n’est pas gagné.

La télé repolakisée ?

Bob et Catherine Sinet reviennent sur la période de la télé de Michel Polac (ils collaboraient à son émission Droit de Réponse, †1987). TF1, soit Bouygues, en aura raison. On comprend fort bien pourquoi. Polac devint tricard un peu partout dans le privé, et s’il avait prof dans le public, on lui aurait assigné un placard, loin des élèves (ou alors, dans une section Arts du théâtre vivant de rue, ad hoc, vers Montargis, histoire de faire la part du feu). Catherine Sinet aurait sans doute gagné à faire un encadré signalant, sur le site de l’Ina, les meilleures émissions de Polac.
J’ai la flemme de faire une compil ici, mais le lien vers la première émission, celle du 12 déc. 1981, c’est . Sur le site de l’Ina, une recherche sur « Droit de réponse » fait remonter 61 vidéos, une bande audio (du Masque et la plume, on ne sait trop pourquoi, sauf judicieux apparentement).  

Sur Droit de Réponse, de nos jours, il serait peut-être question de Les Anarchistes espagnols 1868-1981, d’Édouard Waintrop, paru chez Denoël. Noël Godin, dit L’Entartreur, nous en entretient dans sa chronique ainsi que du Une résurgence anarchiste, paru chez Acratie, ainsi que du DVD Un autre futur (de Richard Prost pour Redhic).

Peut-être Polac inviterait-il Michel Warschawski, correspondant de Siné Mensuel en Israël, qui nous évoque le lynchage en pleine rue de jeunes arabes aux cris de « Le Juif a une âme, l’Arabe est un fils de pute ». Les faits sont les faits, et les chemises brunes pas toujours du côté de la Norvège. On verrait peut-être aussi chez Polac un Ina Hamel, de retour du Monténégro, développer que Bruxelles (la Commission) ferme les yeux sur les contrebandes de cigares et cigarettes, tout en trouvant très bien d’augmenter le prix officiel des divers tabacs. 

La France déchristianisée

Je n’ai pas été fort convaincu par le reportage de Blandine Flipo qui s’est infiltrée dans la mouvance catho intégriste Civitas. Elle a dû craquer avant ses homologues qui avaient tenté de se retrouver embedded du côté du Front national. Faut dire que les méthodes – dignes des pires recollections ou retraites spirituelles infligées aux élèves de l’enseignement catho de naguère – sont musclées, et que, si on a les genoux fragiles, avant de se faire un cal plus cornu qu’un front de musulman intégriste, faut s’accrocher. Anti-avortement, chez Civitas, on ne serait pas trop choqué de castrer écologistes, libre-penseurs, socialocommunistes, et bien sûr homosexuels (avec ablation des ovaires pour les lesbiennes). Ben, à moins d’être sourd et aveugle, en gros, on le savait déjà.
Félicitations cependant à la consœur, tenir six semaines dans cet environnement confiné, il fallait le faire.

Plus intéressant m’a semblé l’éclairage d’Harold Smith sur les dessous financiers du rapprochement entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Le titre résume : « le fric convoité des lefebristes ». Les fonds planqués à l’UBS et la Zuger Kantonalbank (comté de Zoug, le plus prisé des évadés fiscaux) valent bien quelques messes.

Étienne Liebig relève que si Marseille compte bien une rue Saint-Dominique (comme Paris), elle fait l’économie d’une voie Honoré Daumier, pourtant natif de la Phocéenne. En sus, Dominique de Guzman, né à Caleruega, près de Burgos, était un étranger venu massacrer « nos » cathares avant de fuir le fisc à Bologne. Mais bon, la démonstration pêche par anachronisme, l’Inquisition étant postérieure à son décès.
C’est vous dire qu’en dépit d’historiographies douteuses, l’Internet et les polémistes de Siné Mensuel ne remplaceront pas les profs d’histoire de sitôt. Sauf si, bien sûr, on finissait par obliger ces derniers à user d’approximations et raccourcis « pédagogiques » pour tenir les budgets (voir supra) et caser quelques siècles en une demi-heure de cours.Vingt siècles en quatre heures, et quatre heures pour la seule fonction nbval() ou nb.si () d’Excel ? Va-t-on bientôt arriver dans cette moyenne ?

Débaptiser les rues Saint-Dominique ? Au profit d’une voie Kab, satiriste juif ? Perso, je préférerais des rues Georges Darien (†1921). Pour le moment, elles n’existent que sous la plume d’auteurs de romans noirs, et encore, je viens peut-être de l’inventer. 

La France islamisée ?

Là, c’est juste histoire de faire mon kéké, et de botter en touche pour faire oublier que je n’ai aucune idée pour conclure cette trop rapide présentation du sommaire du nº 12. Il n’existe pas encore de rue Abd-El-Kader à Amboise ou à Pau, mais ce protecteur des chrétiens de Syrie compte quelques voies françaises à son patronyme (une à Toulon, une à Bruay-la-Buissière, sans compter la petite place parisienne sise, depuis 2006, près de l’Institut du Monde arabe à Paris). Il fut question d’en créer une à Meythet, près d’Annecy, localité s’honorant d’une rue Abbé-Pierre, et d’une autre, René-Dumont. C’était – l’émir algérien, pas René Dumont – l’un des rares francs-maçons à être décoré de l’ordre de Pie IX.

Peut-être que Tourcoing se dotera d’une rue Mahjoub Ben Bella, du nom de ce peintre local de renommée internationale, arrivé en France en 1966. Il existe déjà une rue Mimoun à Sarlat-la-Canéda, du nom du marathonien olympique, et paraît-il une bonne cinquantaine de lieux (stades, écoles…) portant son patronyme. Il s’est fait ériger, en bon catholique (converti ? j’imagine), une chapelle dans le cimetière de Bugeat, en Corrèze.

Faut ramer pour trouver une conclusion : une stèle Sinet au cimetière de Montmartre, une chapelle Mimoun à Bugeat ? Quel rapport ? Aucun. Enfin, si, peut-être, tirée par les cheveux, une conclusion provisoire serait envisageable. Je laisse à plus talentueux que moi le soin de la faire.

Un nouveau Georges Brassens peut-être ?

Allez, en France, tout fini par des chansons :

C’était l’oncle Martin, c’était l’oncle Gaston
L’un aimait les Tommies, l’autre aimait les Teutons.
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts.
Moi qui n’aimais personne, eh bien je vis encore.

(…)

Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin:
Un petit
forget me not pour mon oncle Martin,
Un petit
vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston,
Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons…