Un tout petit oiseau… On dirait un tout petit oiseau, recroquevillée dans ses plumes, comme pour exister le moins possible, comme pour être transparente, comme pour disparaitre…

Elle est là, face à moi, si jeune, si fragile, si détruite…!

Et j’ai envie de hurler, de hurler ma colère contre ce monde parfois si cruel, contre cet homme qui la détruit…!

Elle n’a que 22 ans, et est déjà mariée depuis 3 ans. Mariage d’amour ? "Je le connais depuis toujours" me répond-elle…. Je connais la chanson… Sauf qu’à peine après 2 semaines de mariage et son arrivée en France, il a déjà commencé… Commencé à la battre, à la violenter verbalement, physiquement…

Un petit oiseau avec malgré tout de la force, et de l’espoir… De l’espoir en ce mari qui va forcément changer… qui redeviendra comme celui qu’elle connaissait, avant le mariage… Toutes les excuses du monde lui sont trouvées : son entreprise qui bat de l’aile, une maman trop envahissante, une cohabitation avec cette dernière difficile…

Elle était alors venue me voir, sans jamais parler de violences, et on avait travaillé ensemble… Un appartement trouvé pour le couple, et l’espoir avait de nouveau grandit…: tout ira mieux !

Puis en début d’année, elle est repassée, encore plus "petite que l’année dernière": le chômage, la maladie de sa belle-mère… tout ne va pas si bien. Mais je ne pensais pas qu’elle vivait l’enfer… comment imaginer, comment savoir quand les mots ne suivent pas…?

Hier elle a poussé ma porte, un regard fuyant, se cachant dans ses cheveux, se recroquevillant sur elle-même..Et elle n’est plus que l’ombre d’elle même… : à peine 40 kg, je ne sais pas comment elle tient… blanche, cernée, toute petite….

Son regard est profond lorsqu’elle arrive enfin à mettre les mots… regard profond et humide, accompagné de sanglots… 3 ans que cela dure, et elle n’a plus d’espoir… C’est fini, l’amour est parti, l’espoir aussi… et le courage d’affronter cette vie a fait place…

Elle va divorcer, prendre sa vie en main, dire non, refuser enfin ses violences verbales, physiques, sexuelles que ni son corps ni son esprit ne peuvent continuer à supporter… Mais elle a peur… et moi aussi !

Facile de dire : je pars, je le quitte, je me mets face à lui et je dis "c’est fini". Encore plus facile de dire : je porte plainte, et je rentre chez moi le soir… Facile à dire, mais la réalité est toute autre…!

J’ai peur pour elle car je sens qu’elle est horrifiée à l’idée de faire ses démarches. Son regard me le dit, ses mots me le confirment : "si je rentre après ça il me tue."

A ce moment, sa scolarité n’est pas une priorité, dommage, mais c’est sa vie qui est en jeu.

Et moi aussi je suis horrifiée tant je comprends l’ampleur de tout cela.

Comment faire dans un si petit département avec de si petites villes où tout le monde se connait ! Un si petit département avec aucune structure d’accueil spécialisée.. Comme l’aider comme il se doit, sans moyens !

Elle est comme un petit oiseau, qui va quitter son nid… un nid devenu trop dangereux pour elle… elle va prendre son envol pour survivre. Le parcours va être difficile, compliqué… Peut-être des chutes… le moins possible j’espère. Et mon envie d’hurler est toujours présente… encore plus peut-être, alors que je suis en week-end, mais que je sais que demain, 9heures, elle sera là, pour cet envol… pleine d’espoir, de peurs et de désespoir.